ANALYSES

« Si l’on ne fait que de la répression, la lutte antiterroriste ne peut pas fonctionner »

Presse
2 juillet 2015
Dans le contexte des affrontements sanglants dans le Sinaï qui ont opposé l’armée égyptienne aux jihadistes du groupe État islamique, le gouvernement égyptien a approuvé, parallèlement, une nouvelle législation antiterroriste, réclamant entre autres des procédures d’appel plus rapides. Depuis plus d’un an, le régime de Abdel Fattah al-Sissi a placé la lutte antiterroriste en haut de son agenda politique. Sous couvert de cette lutte, il a fait adopter en février 2015 une loi qui a pavé la voie à l’arrestation des personnes soupçonnées d’apporter un soutien aux Frères musulmans. Or force est de constater que le discours sécuritaire obsessionnel et les mesures dont il s’accompagne qui ont permis de justifier la répression se sont révélés inefficaces au regard des situations de crise à répétition. Kader Abderrahim, chercheur associé à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris), basé à Paris, spécialiste du Maghreb et de l’islamisme, explique les limites de ces politiques antiterroristes.

Comment expliquez-vous qu’on en arrive à des situations aussi extrêmes quand on sait que depuis plus d’un an, le président Abdel Fattah al-Sissi a fait de la lutte antiterroriste la priorité de son agenda politique?

Le problème est que si l’on ne fait que de la répression, la lutte antiterroriste ne peut pas fonctionner. On l’a déjà vécu avec l’Algérie, 10 ans de guerre au terrorisme et, au final, il a fallu trouver une concorde politique. En Égypte, la situation est analogue, il n’y a pas de volonté politique de mettre fin à cette répression contre les Frères qui était menée sous le régime de Hosni Moubarak et qui se poursuit sous le président Sissi. Nous sommes pris dans un cycle de violence, terrorisme, répression, et depuis des années le régime fait face à la sédition des Bédouins qui ont fini par prêter allégeance à Daech, mouvement en plein extension dans le Sinaï. La situation politique est donc de plus en plus difficile à gérer.

La politique de répression aveugle de Sissi est-elle directement à l’origine de cette situation dans le Sinaï?

Il faut rappeler que le soulèvement des Bédouins dans le Sinaï est antérieur à l’élection de M. Sissi, donc ce n’est pas lié. Mais aujourd’hui face à la répression tous azimuts, le régime de Sissi a ouvert un nouveau front. Or l’armée ne peut pas se battre contre les Frères musulmans, contre les Bédouins dans le Sinaï, et contre Daech en Libye le long de la frontière égyptienne. N’oublions pas que l’Égypte est un pays pauvre, qui ne peut pas se permettre de consacrer son peu de ressources au renforcement de ses forces armées. Les dérapages sont massifs lorsque l’on met le doigt dans cet engrenage.

Quelles seraient les conséquences d’une lutte antiterroriste inefficace ?

La contestation est déjà visible, on a une opposition des ONG, associations des droits de l’homme, des intellectuels, de la presse victimes de cette répression. Le régime veut maintenant limiter la possibilité des recours en justice, nous sommes dans une période de régression totale. Il faut souligner ici la responsabilité du groupe État islamique qui permet à des régimes sans légitimité aucune, sous couvert de lutte antiterrorisme, de remettre en cause les acquis de la démocratie. Comment combattre avec des outils institutionnels le terrorisme ? C’est là le grand défi des sociétés arabes aujourd’hui. Malheureusement nous sommes loin de l’espoir apporté par les soulèvements de 2011.
Sur la même thématique