ANALYSES

Maîtriser l’information stratégique : l’intelligence économique comme facteur-clé de puissance

Tribune
3 juillet 2015
Par Cynthia Glock, Directrice de la communication, Sommet IES 2015
Dans un monde hyperconnecté où les informations de toutes sortes circulent sans frontière et sans filtre, leur maîtrise est devenue un enjeu capital pour les administrations et les entreprises. C’est l’une des grandes conclusions du premier Sommet de l’intelligence économique et de la sécurité, qui s’est déroulé du 4 au 6 juin 2015 à Chamonix-Mont-Blanc. Savoir qualifier et protéger ses informations stratégiques, mais aussi normaliser leurs usages pour gagner en capacité d’influence, constituent aujourd’hui des facteurs de compétitivité et de puissance incontournables.

Pour de nombreux experts de l’intelligence économique et de la sécurité, nous sommes à l’aube d’une révolution cyber, industrielle et économique, centrée sur la maîtrise de l’information stratégique. Quand Henri Martre a ouvert la voie à l’intelligence économique en France dans les années 90, c’était avec la conviction que la maîtrise de l’information constituerait bientôt une valeur ajoutée de premier ordre pour les entreprises, dans un monde dominé par l’expansion d’internet et des nouvelles technologies de l’information et de la communication. En 2002, lorsque l’intelligence économique s’institutionnalise sous l’impulsion du gouvernement Raffarin, elle se focalise encore sur la veille et la recherche d’information. Aujourd’hui, avec la multiplication des données (big data) et des réseaux, la difficulté n’est plus, comme à l’époque, de savoir où trouver de l’information, mais de repérer la bonne information, facteur de compétitivité, dans le flot de données disponibles.

Qualifier l’information, c’est-à-dire lui attribuer une valeur en fonction de son degré d’importance stratégique, s’avère désormais nécessaire à la prise de décision et à la conduite de l’action. Quelle information est stratégique pour une entreprise ou une administration ? Qui dans l’organisation a la responsabilité d’établir le degré d’importance stratégique ou de confidentialité des informations qui circulent ? En France, peu d’entreprises ont conscience qu’investir dans la valorisation de l’information permet d’être compétitif face à la concurrence. C’est pourtant aux décideurs que revient le choix d’intégrer ce paramètre à leur stratégie de conquête des marchés.

Maîtriser l’information stratégique, c’est aussi savoir la protéger des attaques informatiques. Sur les 400 plus grosses entreprises françaises, seul 1% d’entre elles possèderait un véritable système de protection. Or les attaques sont de plus en plus fréquentes et, plutôt que d’espérer ne pas être attaqué, il devient nécessaire de savoir réagir rapidement. En d’autres termes : ne plus agir en défensive, mais de façon résiliente. Ainsi faut-il désormais se demander : peut-on tout protéger ? Si la réponse est non, qu’est-ce qu’on protège exactement ? Un nécessaire changement est à opérer, au fur et à mesure que l’information s‘érige en bastion pour chaque entreprise ou administration. Un bastion duquel l’individu tendrait à être exclu. Ordinateurs, tablettes, smart-phones : l’information prolifère en tous sens et la frontière entre espace privé et espace public a disparu. Pour cette raison, certains analystes préconisent que l’individu soit toujours considéré comme connecté sur internet, donc perçu comme une potentielle menace pour la sécurité de l’information stratégique.

Maîtriser l’information stratégique enfin, c’est s’en servir pour influencer, dans le but de négocier, séduire, convaincre. Le lobbying est un puissant outil d’influence, que la France utilise encore peu. Ce principe de fonctionnement et les flux public/privé qu’il engendre, est parfaitement admis par de nombreux pays, notamment anglo-saxons, qui en font une règle de fonctionnement dans les organisations internationales. Ainsi les États-Unis dépêchent-ils environ 15 000 lobbyistes auprès des instances européennes à Bruxelles, par exemple, pour peser sur l’instauration de normes et de standards internationaux. Meilleure en diplomatie qu’en « réseautage », de nature plus rentière (misant sur ses acquis) qu’entrepreneuriale, la France a encore du mal à mettre en œuvre ces pratiques, prenant tardivement conscience du pouvoir géopolitique des normes.

Claude Revel, Déléguée interministérielle à l’intelligence économique (D2IE), a pris en main cet écueil en développant le concept d’influence par la norme, dans son rapport « Développer une influence normative internationale stratégique pour la France » du 31 janvier 2013. Le but : proposer des pistes de développement de l’influence française sur les normes internationales, vecteurs de compétitivité essentiels pour les entreprises comme pour les États. La démarche française est originale, car elle fait de l’intelligence économique une véritable politique publique qui défend la discipline au niveau des entreprises, à la fois au niveau territorial, et sur la scène internationale. « La structure d’IE nationale doit être un centre nerveux d’alerte, d’impulsion, d’accompagnement et de suivi de stratégies d’information, de sécurité et d’influence, les trois étant inextricablement liées, affirme Claude Revel. (…) L’influence normative est un pilier et un outil stratégique de cette action d’intelligence économique internationale ».

La courbe de la révolution cyber économique annoncée, qui ne fait que commencer, est exponentielle. Les outils et modèles permettant de transformer l’information stratégique en facteur de compétitivité sont en train d’émerger et la France participe pleinement à cette dynamique. Engagés dans une compétition économique et stratégique, les États et les entreprises sont tous potentiellement ennemis. Bien que des partenariats et des coopérations existent, c’est seul que chacun lutte pour le pouvoir et la conquête de nouveaux marchés. La puissance revient désormais à ceux qui détiennent l’information stratégique.

—————————————————————————————————————————————–

Premier Sommet de l’intelligence économique et de la sécurité : coup d’essai gagnant
Le premier Sommet de l’intelligence économique et de la sécurité, qui s’est tenu du 4 au 6 juin dernier à Chamonix-Mont-Blanc, a enthousiasmé les participants par l’originalité de son format. Parrainé par l’Institut des hautes études de défense nationale, il a réuni une quinzaine d’experts de la haute administration et des décideurs du secteur privé, autour d’ateliers de travail thématiques favorisant les longues plages d’échanges informels et la mise en réseau. Objectif : balayer de façon inédite les grands sujets actuels de l’IE et de la sécurité, tels que l’influence par la norme, les références françaises en matière d’intelligence économique, ou encore la sécurité des systèmes d’information, la lutte contre les prédateurs du cyberespace et la géopolitique de la cybersécurité.
Un succès manifeste, à confirmer à la prochaine édition, même lieu, du 2 au 4 juin 2016.
Sur la même thématique
Caraïbe : quels enjeux pour les opérations HADR ?