ANALYSES

Défense européenne : la fin de l’éclaircie

Tribune
30 juin 2015
Le Conseil européen qui se tenait vendredi à Bruxelles a pris acte de l’absence de progrès tangibles dans le domaine de la défense européenne. L’un des objectifs du Sommet était pourtant d’évaluer les avancées accomplies en matière de Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) depuis le Conseil européen de décembre 2013, consacré aux questions de défense. Dans les faits, il marque un recul par rapport aux espoirs que les ambitions de 2013 avaient suscités.

Donald Tusk, le président du Conseil européen, a confirmé lors de ce rendez-vous le mandat donné par les dirigeants européens à la Haute représentante de l’Union afin qu’elle rédige une nouvelle stratégie globale de politique étrangère pour l’Union européenne (UE). Federica Mogherini rendra sa copie en juin 2016. Mais les progrès en matière de réflexion stratégique ne peuvent masquer l’inexorable obscurcissement de l’horizon dans le domaine des moyens, des opérations et de l’industrie. Une fois n’est pas coutume la réflexion stratégique devrait donc faire office de « cache-misère ».

Du point de vue stratégique, le travail de réflexion que Federica Mogherini a remis aux chefs d’État fait figure d’analyse fine et plutôt franche des évolutions du contexte régional et international. Il n’inclut pas en retour de priorités stratégiques précises pour l’UE. On peut espérer que la stratégie globale elle-même comble ce manque. A défaut, elle restera un document abstrait délié des réalités capacitaires, opérationnelles et financières.

Le principe de prétérition

Par ailleurs, la stratégie doit être publiée en juin 2016. Il se sera alors écoulé plus de trois ans au cours desquels le « pré-rapport » Ashton sur la PSDC aura précédé les conclusions du Conseil de décembre 2013, qui auront débouché sur un « pré-rapport » Mogherini, qui a été présenté au Conseil de juin 2015, qui devrait lui-même aboutir à une « stratégie globale » en juin 2016 – alors que le prochain sommet de l’OTAN aura lieu à Varsovie en juillet 2016. Et il restera à tirer de ce processus une stratégie de sécurité à proprement parler, c’est-à-dire une feuille de route pour les questions de PSDC. Difficile dans ce contexte d’imaginer un calendrier pour la rédaction de cette feuille de route, alors que l’élan risque bel et bien d’être retombé.

L’un des principaux acquis de la discussion de 2013 était conçu pour éviter aux questions de défense de tomber en désuétude au niveau des chefs d’État et de gouvernement européens. Ceux-ci avaient ainsi pris cinq ans pour évoquer le sujet après l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne. C’est pourquoi les conclusions du sommet de décembre 2013 incluaient une clause dite de « rendez-vous », qui devait permettre aux dirigeants européens de se revoir en juin 2015 et régulièrement par la suite, de manière à opérer un suivi de la nouvelle feuille de route pour la PSDC.

Or les conclusions du Conseil de juin n’incluent pas de feuille de route claire avec des engagements, des points d’étapes et des rendez-vous précis au plus haut niveau politique, le Conseil européen. Cela pose un problème de suivi : à Bruxelles, l’absence de processus conduit souvent à l’absence de résultat. D’autre part, les questions migratoires et celles du « Grexit » et du « Brexit » ont réduit les discussions sur la défense au minimum syndical. Enfin, ce minimum syndical s’est limité à la gestion des affaires courantes et non à l’impulsion nécessaire aux projets d’envergure, qui est pourtant le rôle du Conseil européen.

Dans les faits, le Conseil européen s’est donc à nouveau transformé le temps d’une discussion sur la défense en Conseil des ministres : il n’y a rien dans les tenants et les aboutissants du débat que ne soient pas en mesure de traiter les ministres de la défense des pays européens. La méthode capacitaire, incrémentale et pragmatique selon laquelle Paris a choisi d’avancer pourrait donc avoir trouvé ses limites. Elle permet de mobiliser sur un nombre réduit de dossiers concrets et plutôt utiles, mais elle ne débouche pas sur des projets d’envergure, et in fine sur des résultats à la hauteur des défis que pose actuellement l’état des outils militaires européens : trous capacitaires majeurs, duplications multiples, problèmes aigus de maintien en condition opérationnelle et de déployabilité.

Des blocages et quelques avancées

Il n’y a pas eu d’avancées substantielles sur l’utilisation des groupements tactiques, sur l’article 44 destiné à faciliter la génération de force et le déploiement d’opérations européennes, sur la révision du mécanisme Athéna, qui permet de financer en commun les opérations, sur le dossier des incitations fiscales pour encourager la coopération de défense en Europe, ou sur la standardisation et la certification commune.

A l’inverse, le principe du « train and equip » a été favorablement accueilli. Il consiste à former et à équiper des pays tiers et d’organisations régionales afin qu’ils soient en situation de gérer les crises eux-mêmes, en mettant l’accent sur leurs structures régaliennes. De plus, le Conseil européen de juin a pris acte du rôle accru de la Commission européenne dans le domaine de la sécurité et de la défense en matière de recherche duale (civile et militaire) et d’investissement. Cela est une bonne chose, et peut permettre d’avancer là où les moyens des états membres font défaut.

Parmi les signaux positifs, il convient également de signaler une tendance encourageante du point de vue des dépenses de défense. Au cours des derniers mois, les pays qui ont annoncé des hausses de leurs efforts de défense sont l’Allemagne, les Pays-Bas, la Pologne, la République Tchèque, la Slovaquie, la Roumanie, les États baltes, et la France. Il s’agit là de pays importants. Ces annonces contrastent avec la tendance au déclin des dépenses militaires des deux dernières décennies. Il faudra néanmoins patienter pour évaluer l’impact de ces développements positifs sur les forces armées elles-mêmes, au-delà de l’effet d’annonce. S’ils sont sporadiques et non concertés, ils n’auront pas d’effet en aval sur les outils militaires. De plus, ils ressortent de déterminants divers : la sécurité intérieure est le facteur majeur en France, le maintien en condition opérationnelle en Allemagne, et la crise Ukrainienne dans les États baltes et les pays de l’Est. Enfin, l’engagement d’arrêter le déclin des dépenses de défense n’a pas été pris en contexte européen, mais émane des discussions du Sommet de Newport de l’OTAN en septembre 2014. Il n’existe aucun engagement similaire en contexte européen.
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