ANALYSES

«L’Algérie est retombée dans ses vieux travers»

Presse
18 janvier 2013
Kader Abderrahim - Libération

Pour Kader Abderrahim, chercheur spécialisé sur le Maghreb et l’islamisme, la brutalité de l’intervention montre que le pays n’avait absolument pas réglé la question de l’islamisme.


Kader Abderrahim est chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et maître de conférences à Sciences-Po Paris. Il est spécialisé sur le Maghreb et l’islamisme.


Pourquoi l’Algérie est-elle intervenue seule ?

L’Algérie a toujours eu cette attitude de ne pas négocier avec les preneurs d’otages. Cette fois encore, ils n’ont pas tergiversé, ils ont réagi comme par réflexe pavlovien, sans souci. Cette position intransigeante date des années 90. Après le coup d’Etat de janvier 1992, les dirigeants ont opté pour une ligne très dure et violente. Ils n’ont jamais cédé, jamais accepté le moindre compromis, même quand les pressions diplomatiques se sont faites pesantes.


La grande différence, cette fois-ci, est que l’attaque a frappé des ressortissants étrangers, mais aussi qu’elle a touché un centre névralgique de l’économie. L’Algérie a pris ça comme une attaque contre sa souveraineté et a considéré que la riposte relevait de sa souveraineté et d’elle seule. Alger a voulu envoyer un message clair – «on ne négocie pas» – et immédiat pour affirmer sa fermeté mais aussi pour prendre de vitesse les Occidentaux qui lui auraient imposé une autre solution. L’Algérie est retombée dans ses vieux travers, l’opacité, le secret. Malheureusement, l’armée algérienne n’est absolument pas formée pour ce type d’opération très risquée. On en voit les conséquences tragiques.


Le contexte politique interne a aussi très certainement pesé. La guerre est ouverte pour la succession d’Abdelaziz Bouteflika, qui veut briguer un quatrième mandat. Le sérail est traversé de tensions, et l’on peut se demander jusqu’à quel point Bouteflika a maîtrisé la chaîne de commandement qui a lancé et conduit l’assaut.


Quelles peuvent être les conséquences pour Alger ?

Comme me le disait un journaliste algérien ce matin, «c’est la cata». Catastrophe en termes d’image, catastrophe en termes économiques, aveu flagrant d’échec dans la lutte contre le terrorisme… L’Algérie avait réussi, ces derniers temps, à rentrer dans un cercle vertueux sur la scène internationale. Elle était redevenue un partenaire pour les grandes puissances, elle était courtisée économiquement. Quelles vont être les conséquences ? Sur le plan diplomatique, cela peut aller de la renégociation du statut de l’Algérie dans l’accord d’association avec l’Union européenne à des questions plus militaires et stratégiques. Les Occidentaux vont être plus exigeants. Sur le plan économique, les investisseurs vont y regarder à deux fois.


Pour le reste, l’Algérie risque de voir ressurgir ses vieux fantômes. Les divisions au sein de la société et du cénacle politique vont être ravivées. La prise d’otages montre bien, et de manière extrêmement brutale, que l’Algérie, quoi qu’elle en dise, n’avait absolument pas réglé la question de l’islamisme. Il n’y a pas eu d’accompagnement politique à la répression. Certains individus ont été cooptés, notabilisés, ce qui ne règle en rien les questions de fond. Elle a cherché à repousser les groupes armés au-delà de ses frontières, ils lui reviennent aujourd’hui en pleine figure. Le problème, c’est que l’Algérie n’a aucune envie de rouvrir cette boîte de Pandore. Pour elle, la seule réponse envisageable est la réponse sécuritaire.


Comment expliquer que l’Algérie ait autorisé le survol de son territoire par la France dans le cadre de l’offensive au Mali ?

De fait, l’Algérie se retrouve entraînée dans cette guerre, probablement à son corps défendant. Abdelaziz Bouteflika l’a sans doute accepté en contrepartie de l’assentiment implicite de François Hollande à son maintien au pouvoir. Je crois que c’est aussi simple que ça, un pur calcul politique de la part de Bouteflika. La visite de François Hollande fin décembre à Alger s’est étonnamment bien passée, ce qui n’a pas été très bien perçu à Alger.

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