ANALYSES

Libye : quel état des lieux ?

Interview
1 septembre 2014
Le point de vue de Kader Abderrahim
Comment peut-on interpréter la démission récente du gouvernement provisoire libyen ? Existe-t-il toujours un Etat libyen ?

On peut aujourd’hui affirmer qu’il n’existe plus d’Etat en Libye. Depuis la chute de Mouammar Kadhafi, les institutions qui avaient émergées à la suite d’élections n’ont jamais réussi à stabiliser la situation et obtenir des milices qu’elles déposent leurs armes pour poser les bases d’un Etat minimal : la situation n’a depuis eu de cesse de se détériorer. La Libye est en train de se disloquer.
Le dernier gouvernement a ainsi démissionné car il n’avait pas les moyens de mettre en œuvre son action. Malheureusement, ce n’est pas le premier à avoir fait ce choix ; ses membres n’ont pas les moyens de travailler, ils sont extrêmement isolés et très marginalisés. Le pouvoir central à Tripoli a très peu d’autorité. Les gouvernements qui parviennent à rassembler, pendant un temps, une majorité autour d’eux, n’ont qu’une durée de vie très éphémère : très rapidement les divergences réapparaissent, qu’elles soient tribales, politiques, économiques ou même guerrières et finissent immanquablement par entraîner leur chute.

Qui contrôle réellement la coalition de milices islamistes nommée Fajr Lybia (aussi connue sous le nom d’« aube libyenne ») ? A quelle fin ?

C’est une question extrêmement compliquée car on s’intéresse à une vraie nébuleuse, qui n’est pas contrôlée au sens strict pour le moment. Il existe certes des accords entre ces milices islamistes sur des bases tribales et post-révolutionnaires (et non politiques). Par conséquent, on ne peut pas dire que ces milices islamistes soient structurées, organisées autour d’un chef avec un projet ou programme politique clair. Elles sont extrêmement divisées mais elles ont été assez habiles jusqu’à présent pour réussir à maintenir un semblant de stabilité à l’intérieur d’un pays extrêmement divisé. On est en présence de milices présentes un peu partout sur le territoire libyen qui sont chacune d’entre-elles contrôlée localement par un chef. Il n’existe pas de réel cœur ni de méta-structure qui pourraient laisser croire qu’elles sont globalement contrôlées.
Si certains évoquent une éventuelle affiliation de cette coalition à Al-Qaïda, la réponse n’est pas claire du tout ; on n’a pas aujourd’hui le recul suffisant pour trancher, même si une recomposition est clairement en train de s’opérer avec l’émergence de l’Etat Islamique qui est sur le point de supplanter Al-Qaïda, son ancien protecteur dont il s’est totalement affranchi. Quant à la question plus large des influences étrangères en Libye, il existe bien des pays ou entités politiques qui y sont actuellement à l’œuvre mais on ne peut pas affirmer pour le moment que l’un d’entre-eux ait pris le pas sur les autres, ni qu’ils soient derrière la nébuleuse islamiste Fajr Lybia. On peut certes affirmer qu’AQMI ainsi que différents groupes terroristes y sévissent mais ils ne le font que dans le cadre de leurs propres intérêts libyens et n’ont pas pour le moment de vision internationaliste.

Quelles conséquences au chaos régnant actuellement en Libye pour les pays voisins ? Cela ne risque-t-il pas d’inciter les pays de la région à intervenir ?

Une intervention des pays voisins apparaît improbable et compliquée. Ils prendraient en effet le risque de mettre le doigt dans un engrenage qu’ils ne maitriseraient absolument pas, la situation actuelle étant un véritable bourbier. Personne n’a aujourd’hui la volonté politique ni les moyens d’intervenir en Libye, que ce soient les Occidentaux, les Algériens ou les Egyptiens, qui pour ces deux derniers, n’ont jamais agi militairement à l’extérieur de leurs frontières. Cette hypothèse apparaît donc irréaliste.
La question des potentiels bombardements aériens sur des positions tenues par des miliciens islamistes est également extrêmement compliquée car les informations à ce sujet sont multiples et contradictoires, si tant est qu’ils aient réellement existé. Certaines fois, ce sont les Emirats arabes unis qui sont tenus pour responsable, d’autres fois ce sont les Qatari. On entretient une forme de flou et c’est sans doute ce qui est le plus dangereux : rajouter de la confusion à la confusion ne fera que complexifier la situation dans le pays.
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