ANALYSES

Nouvelles avancées sur la résolution du conflit syrien : quelles perspectives ?

Interview
11 septembre 2013
Le point de vue de Didier Billion
Barack Obama se rallie sur la position russe d’une voie diplomatique, François Hollande reste mobilisé pour sanctionner l’usage d’armes chimiques : se peut-il que Paris finisse par intervenir seule ?
Non, c’est une hypothèse totalement impossible. Le jeu diplomatique international s’est considérablement modifié depuis la formulation de la proposition par les Russes. C’est de ce point de vue une leçon de politique internationale, car cela modifie la donne alors que tout le monde s’attendait à ce qu’il y ait des frappes militaires ciblées organisées par quelques Etats. Dans la conjoncture actuelle, cette initiative politico-diplomatique rebat évidemment les cartes et il est désormais très peu probable que des frappes aient lieu.
En ce sens, la France qui comptait déjà s’affranchir de la légalité internationale si elle avait procédé à des frappes – car elle ne serait pas passée par le Conseil de sécurité – se retrouverait aujourd’hui seule si elle veut intervenir. Obama a considéré que la proposition russe devait être prise en compte, discutée, mise en œuvre et il a demandé hier soir au Congrès de ne pas procéder à un vote sur la question des bombardements. Il est inimaginable que la France puisse organiser seule des frappes ciblées sur des objectifs militaires syriens. Cette hypothèse est réglée au moins conjoncturellement. On a d’ailleurs constaté que la France tentait laborieusement, et sans succès à ce jour, de replacer le dossier syrien à l’ordre du jour du Conseil de sécurité. Souhaitons qu’elle le fasse sans surenchère inutile.

L’opinion publique mondiale semble se rallier sur ce que Vladimir Poutine propose, à savoir la mise sous contrôle internationale de l’arsenal chimique syrien. Se peut-il qu’il s’agisse d’une « ruse » du gouvernement russe comme l’a dit David Cameron ?
L’opinion publique internationale est déjà quelque chose de très difficile à mesurer. Ce que je constate c’est que tous les sondages qui avaient été réalisés au cours des semaines écoulées, au moins depuis le 21 août, indiquaient que notamment dans les pays interventionnistes – la Grande Bretagne, la France, les Etats-Unis – les opinions publiques nationales étaient majoritairement contre une intervention. En France, 64% des sondés se prononçaient contre une hypothétique intervention. Il est évident que cette opinion exprimait une réaction extrêmement raisonnable, puisque chacun comprenait que s’il y avait eu des frappes, non seulement cela ne réglait pas la question de la résolution politique du conflit, mais qu’en outre cela risquait de mettre toute la région dans une situation de chaos incontrôlable.
Les opinions publiques, si tant est qu’on puisse les mesurer avec précision, s’inscrivent dans une sortie de crise diplomatique telle que la proposition russe peut permettre de l’imaginer.
Ceci étant, le conflit syrien n’est toujours pas réglé, la guerre civile continue. Il faudra trouver des solutions politiques et diplomatiques, mais elles auront le soutien de l’opinion publique mondiale, qui les préfère à des aventures miliaires.
L’alternative proposée n’est pas une ruse des Russes. Je suis de ceux qui considèrent, déjà depuis plus de deux ans, que la véritable solution ne peut se trouver sans la participation active de Moscou. On en a là une preuve lumineuse et incontestable. Les Russes, seuls, ne peuvent résoudre la crise syrienne, mais il est impossible de la résoudre sans leur contribution active. Ils ont certes un point de vue divergent par rapport aux Etats-Unis, à la France ou à la Grande Bretagne, mais leur relation historique avec la Syrie, leur influence, les contacts qu’ils entretiennent avec les dirigeants syriens, les rend tout à fait incontournables. Ils se sont replacés de façon assez magistrale au centre du jeu politique et diplomatique. Ce n’est donc pas une ruse, ils font valoir leurs intérêts et le font plutôt judicieusement.

L’ONU compte aujourd’hui sur une coopération du régime de Bachar Al-Assad pour une éventuelle mise sous tutelle des armes chimiques. Cela sous-entend-il une légitimation de son autorité, qui n’était pas forcément acquise parmi la communauté internationale ?
Il n’y a pas de communauté internationale, et la légitimité de Bachar Al-Assad n’est pas remise en cause par une large partie de la population syrienne. On peut tout à fait réprouver les méthodes qu’il utilise, on peut détester politiquement ce qu’il incarne, il n’empêche qu’il est le président syrien. Si on commence à décider que tel ou tel n’est pas légitime parce qu’il n’est pas d’accord avec nous, je crains fort que le chaos ne se généralise à travers l’ensemble de la planète. Ceci étant posé, il est évident que la situation syrienne telle qu’elle se dégrade depuis maintenant des mois, voire depuis plus de deux ans, n’est pas tenable. Or, la question n’est pas entre des frappes militaires ou ne rien faire, c’est entre des frappes militaires et tout mettre en œuvre pour promouvoir une solution politique.
Dans un premier temps, il faudra bien considérer que Bachar est présent. La coalition nationale syrienne considère que Genève 2 était éventuellement une bonne idée mais met comme préalable le départ du président ; cela indiquait qu’elle était en réalité contre une solution politique. Il est évident que si Bachar devait partir, ce serait à la fin d’un processus mais cela ne peut être un préalable. Nous serons obligés dans les jours, les semaines, peut-être les mois à venir de passer par une négociation avec le président syrien ou ses représentants. Au cours de ce processus de négociation, une solution de transition négociée doit pouvoir être mis en œuvre, et peut-être qu’à la fin de ce processus se posera la question du sort personnel de Bachar Al-Assad.
Mais, procédons de façon méthodique, et comme toujours, quand on négocie, c’est toujours avec des adversaires voire des ennemis, ce n’est pas avec des amis. Il faudra ainsi prendre en compte la réalité du régime syrien. Je considère par ailleurs que ceux qui prédisaient sa chute rapide se sont totalement trompés : non seulement ce régime reste en place, mais de plus, d’un point de vue militaire, nous avons constaté que depuis le printemps dernier il a modifié à son avantage les rapports de force.

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