ANALYSES

Barack Obama : un discours qui ouvre une nouvelle ère ?

Interview
24 mai 2013
Le point de vue de
Dans un discours offensif Barack Obama a annoncé hier qu’il allait prendre des mesures pour fermer la prison de Guantanamo. Il avait déjà tenu de tels propos en 2007 sans qu’ils ne soient suivis d’effets. Cette annonce est-elle crédible et a-t-elle une chance de se matérialiser concrètement ?

Il s’agit d’une promesse ancienne qui date de la première campagne présidentielle de Barack Obama. On l’a d’ailleurs beaucoup critiqué sur ses prétendues inaction et incapacité à tenir cette promesse. Je crois qu’on a été un peu dur avec lui. En effet, le Congrès a largement bloqué la possibilité de fermer Guantanamo, non pas en s’y opposant directement mais en empêchant le transfert des détenus vers le système judiciaire fédéral classique. Cela avait comme conséquence que l’administration américaine ne savait pas réellement quoi faire de ces prisonniers qui ne pouvaient pas être jugés selon une procédure classique. De plus – et là les promesses du président américain n’ont effectivement pas été tenues et c’est de sa responsabilité -, il n’a pas vraiment joué sur tous les tableaux. Par exemple, il aurait été possible de mettre en place des commissions militaires, à savoir des tribunaux spécifiques pour ces gens-là sur le territoire américain, hors de Guantanamo. C’est d’ailleurs le sens de l’annonce d’hier puisqu’il a demandé au Pentagone de trouver des lieux adéquats pour mettre en place ces commissions militaires qui permettront de juger ces prisonniers, et donc de fermer la prison de Guantanamo un jour. En résumé, il avait la possibilité de surmonter les blocages bien réels du Congrès, il ne l’avait pas fait, mais s’est engagé à le faire. Toutefois, il reste encore beaucoup de questions en suspens. Notamment celle de savoir pourquoi, tout d’un coup, cette promesse serait tenue alors qu’elle ne l’a pas été depuis six ans. Il faudra voir à l’usage mais la fermeture de Guantanamo semble plus envisageable aujourd’hui qu’auparavant puisque que le président américain a demandé hier au Pentagone d’agir en ce sens.
En outre, un des problèmes liés à une telle fermeture était constitué par les prisonniers yéménites qui, depuis décembre 2009 et l’attentat raté, étaient retenus prisonniers des Etats-Unis ; Barack Obama s’était opposé à leur transfert vers leur pays d’origine. Or, il a appelé hier à la levée de cette interdiction. C’est important car il s’agissait d’une demande émanant de nombreux acteurs, considérant qu’il y avait là un acharnement contre des gens qui pouvaient être renvoyés chez eux. Les prisonniers yéménites seront rapatriés au cas par cas, et cela permettra d’envisager plus sereinement la fermeture de la prison.

L’utilisation de drones par l’armée américaine a toujours été l’objet de nombreux débats. Le président américain a affirmé que leur usage serait désormais mieux encadré. Quels sont les principaux changements qui risquent d’intervenir par rapport à la situation actuelle ?

Cela me parait être le point principal du discours de Barack Obama. Il y a un grand débat autour des drones, qui avait d’ailleurs été lancé par l’ancien président Jimmy Carter en 2009 lorsqu’il avait évoqué le caractère à la fois illégitime et peut-être même illégal de l’usage des drones. Illégitime d’un point de vue moral dans la mesure où ils causent de nombreuses victimes civiles ; selon les statistiques d’ONG, entre 800 et 900 civils ont été tués par ces drones. C’est d’ailleurs l’un des enjeux des déclarations d’hier puisque Barack Obama a parlé d’un usage très strict et ainsi avoir la quasi-certitude qu’il n’y aurait pas de victimes civiles, puis de transférer le commandement des drones des mains de la CIA aux mains de l’armée afin que le Congrès puisse mieux en contrôler l’usage. En outre, il faudra aussi prendre en compte un second critère, soit l’existence d’une menace continue et imminente sur les Etats-Unis. Il ne s’agit donc pas de ne plus utiliser les drones mais de mieux encadrer leur usage.

Est-ce que ce discours constitue une rupture dans la politique étrangère américaine ? Comment ces annonces peuvent-elles être interprétées ?

Je pense que cela marque la fin de l’ère bushienne et que Barack Obama veut clore cette période. Comme il l’a noté, l’Amérique n’est plus en guerre, ou du moins ne le sera plus dans quelques semaines en Afghanistan et en Irak. Puis, plus fondamentalement, le président américain souhaite revenir sur le statut de guerre permanente ou de guerre perpétuelle contre le terrorisme. On se trouve en effet très loin des propos tenus par Dick Cheney en octobre 2001 lorsqu’il déclarait, en faisant référence au terrorisme, que « cela ne finira peut-être jamais, du moins pas de notre vivant ». Or, ce que Barack Obama a dit hier est que cette guerre n’est pas perpétuelle et qu’elle doit s’arrêter un jour. Evidemment, il existe encore des menaces mais je crois que c’est la fin de l’idée selon laquelle l’Amérique est en guerre permanente contre un terrorisme vague, flou, largement islamique et peu incarné. Il a d’ailleurs demandé au Congrès de revenir sur l’ Authorization for Use of Military Force (AUMF, soit l’autorisation d’utiliser la force militaire), texte voté trois jours après les attentats du 11 septembre 2001, qui donnait un très vague et très large pouvoir au président lui permettant d’attaquer quiconque ayant un lien avec le terrorisme international contre les Etats-Unis. Le concept de Bush de guerre globale contre le terrorisme est donc fini. L’idée est aujourd’hui d’avoir des actions beaucoup plus encadrées et plus précises.
Il s’agit donc d’un discours qui pourrait être essentiel en termes de politique étrangère, dans la mesure où il clôt 12 ans d’une doctrine mise en place dans la hâte et qu’il marque un retour vers une approche plus traditionnelle et un encadrement politique plus strict de l’usage de la force. Mais ce discours ne sera suivi d’effets que si Barack Obama obtient le soutien du Congrès pour agir en ce sens. Or, cela pourrait se heurter à la volonté ou au refus des républicains de travailler avec lui sur ces questions, puisqu’ils y sont majoritaires.
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