ANALYSES

Bosnie-Herzégovine : Un pays, une équipe, et un statut sur la ligne

Tribune
5 juillet 2011
Par Marc Verzeroli, diplômé d’IRIS SUP’
Le 1er avril 2011, la Bosnie-Herzégovine avait été suspendue par la FIFA et l’UEFA du fait de la présidence tournante tripartite de sa fédération, composée d’un membre serbe, d’un bosniaque et d’un croate. Aucun club, aucune sélection du pays ne pouvait alors prendre part à une compétition organisée par l’une de ces instances. Depuis l’affiliation de la NFSBiH, les deux organisations avaient toléré un mode de fonctionnement sur des bases ethniques, reflet de la structure politico-institutionnelle du pays. Les travaux du Comité de normalisation, présidé par Ivica Osim, ont finalement porté leurs fruits et les Zmajevi – Dragons – peuvent continuer à défendre leurs chances de qualification pour l’Euro 2012.

Symbole fort, c’est au dernier sélectionneur yougoslave (1986-1992) qu’il est revenu d’effectuer cette médiation. A la tête d’une des générations les plus prometteuses qu’ait connues le pays, Ivica Osim conduit les juniors au titre mondial en 1987. Lors du Mondial italien de 1990, la Yougoslavie n’est éliminée qu’aux tirs au but, en quart de finale, par le champion en titre et futur finaliste argentin. La victoire contre l’Espagne, au tour précédent, donne lieu à des scènes de joies à Sarajevo. Osim dira plus tard que seuls les Bosniaques soutenaient encore cette équipe. En 1992, peu avant la suspension de la Yougoslavie pour l’Euro suédois et alors que sa famille est sous les bombes à Sarajevo, il démissionne.

Le football, reflet de la société
L’analogie football-société ne se vérifie jamais autant que dans les Balkans. Dès 1990, des matchs entre clubs serbes et croates traduisent les fortes tensions identitaires qui existent alors en Yougoslavie. Le lynchage à mort, à Belgrade, du supporter toulousain Brice Taton par les Grobari du Partizan, en septembre 2009, ainsi que les incidents survenus à Gênes en marge de la rencontre Italie-Serbie du 12 octobre dernier, en témoignent à nouveau. À travers la France et l’Italie, les fans serbes s’en sont pris à l’Occident et à l’OTAN, coupables à leurs yeux des bombardements de 1999.

Football et nationalismes ne sont jamais très éloignés dans les Balkans, et donc en Bosnie-Herzégovine. En juin 1993, alors que le Vevak apporte son soutien à l’armée en guerre, l’équipe nationale dispute son premier match – non reconnu par la FIFA – à Téhéran face à l’Iran. En 2008, la FIFA a interdit un match amical entre la Serbie et une sélection de la Republika Srpska, l’entité serbe de Bosnie. Dernièrement, les supporters du Borac Banja Luka n’ont pas manqué d’afficher leur soutien à Ratko Mladić, récemment arrêté. Le récent titre de champion du club et la perspective de disputer la Coupe d’Europe n’apparaissent d’ailleurs pas étrangers à la décision serbe de se rallier au nouveau statut de la fédération. C’est dire si le football rend précisément compte des éléments qui jalonnent la vie politique du pays, ainsi que des antagonismes qui grèvent la Bosnie. Il reflète également la nature constitutionnelle de l’État.

Un protectorat international dans le rang des nations ?
Annexe aux Accords de Dayton de 1995, qui mettent fin au conflit et consacrent l’indépendance de la Bosnie-Herzégovine dans ses frontières yougoslaves, la Constitution, provisoire par essence, établit une structure particulièrement complexe. Par ailleurs, elle a été jugée discriminatoire par la Cour européenne des droits de l’homme, en ce qu’elle interdit aux Juifs et aux Roms de gouverner le pays(1).

La Constitution partage le territoire entre la Republika Srpska, serbe, unitaire et centralisée, et la Fédération de Bosnie-Herzégovine, croato-bosniaque, le tout supervisé par une sorte de protectorat international matérialisé par le haut représentant de l’ONU, qui s’efforce de favoriser des réformes unificatrices. Deux « entités » – l’utilisation d’un terme non juridique n’est pas anodine – fédérées, de nature différente, constituées selon des bases ethniques, délimitées par la ligne de front, disposent ainsi chacune de compétences étendues, d’un président, d’un gouvernement et d’une Assemblée. L’État fédéral, censé unifier l’ensemble, ne fait pas autorité ; les élections consacrent les partis nationalistes et ethniquement organisés dans les régions où leur population est majoritaire.

Plus nombreux, les Bosniaques, musulmans, sont favorables à la suppression des entités et à l’unification. Les Serbes, eux, souhaitent un renforcement des pouvoirs au niveau fédéré, s’opposent systématiquement à toute réforme les limitant et jouent d’une fuite en avant permanente ; les revendications séparatistes ne sont pas majoritaires mais existent, et leur spectre plane sur la politique nationale. Le 13 mai dernier, Catherine Ashton est parvenue à convaincre Milorad Dodik, le leader serbe, de renoncer à un référendum sur la remise en cause de la justice centrale et des pouvoirs du haut représentant. Quant aux Croates, qui auto-administrent de facto certaines zones et ont fondé une assemblée nationale à Mostar, ils réclament la création d’une troisième entité. Toute décision nationale nécessite l’approbation des deux entités et des trois peuples, mais froisse quasi-systématiquement l’intérêt vital d’une de ces composantes. Le vote pour l’adoption des nouveaux statuts de la NFSBiH s’est ainsi heurté, en mars 2011, aux refus serbes et croates, de même que Slavko Kukić n’a pu obtenir, le 29 juin, la majorité nécessaire au Parlement pour former un gouvernement. Depuis les élections d’octobre 2010, en effet, la Bosnie ne parvient à nommer un gouvernement central.

Significatif de la paralysie du pays, le cas de la NFSBiH rappelle cette assertion de Paul Garde : « La Bosnie, qui fut jadis une société multiethnique, n’est plus qu’un État multiethnique, fractionné en parcelles dont chacune est presque homogène. Et cet État est impuissant, parce que le vrai pouvoir est, au-dessous de lui, celui des entités qui défendent les intérêts supposés de chaque communauté, et, au-dessus, celui du haut représentant de l’ONU et des autres autorités internationales, qui cherchent à limiter les dégâts de la division et à servir d’arbitres. »(2) Symbole d’une société multiethnique et représentant un pays qui n’existe pas pour certains de ses citoyens, l’équipe nationale, composée de joueurs issus des trois communautés, se trouve, à l’image de l’État, prise entre deux niveaux. Les acteurs infra-étatiques, qui disposent du pouvoir de décision, ne parviennent pas à s’entendre sur la question de la présidence de la fédération – niveau étatique ; dès lors, le niveau international sanctionne le pays.

L’affaire est symptomatique de la situation politico-institutionnelle qui gangrène le pays, tant dans son fonctionnement interne que dans ses relations avec l’extérieur. Mis en place par le Comité d’urgence de la FIFA, le Comité de normalisation, bien que composé de personnalités nationales ayant finalement permis la réintégration de la fédération bosnienne, confirme une nouvelle fois le caractère de protectorat international de la Bosnie-Herzégovine.

(1) CEDH, Sejdić et Finci c. Bosnie-Herzégovine, arrêt du 22 décembre 2009, n° 27996/06 et 34836/06 (GC).
(2) P.Garde, Les Balkans, Héritages et évolutions, Champs actuel, Flammarion, Paris, 2010, p. 129.

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