ANALYSES

Présence militaire américaine sur le continent africain : relativisons un peu…

Tribune
21 décembre 2018


The Intercept a récemment publié un article sur la présence militaire des États-Unis en Afrique.  Ce journal, qui se positionne comme un adversaire intrépide aux puissants de ce monde, expliquait que le commandement américain pour l’Afrique (AFRICOM) maintenait un “vaste réseau” de bases militaires, plus ou moins secrètes, à travers la région, son existence rendant suspecte la communication officielle sur une présence militaire “plutôt légère” en Afrique. Cet article a fait couler beaucoup d’encre, surtout parmi ceux – nombreux dans la région – qui se méfiaient déjà des intentions américaines sur le continent.

Cette polémique est intervenue au moment où le Président Trump semble chercher à réduire la présence militaire américaine à l’étranger, annonçant notamment il y a quelques jours, le retrait des forces spéciales américaines de la Syrie, malgré une opposition importante dans sa propre administration et son propre parti. Quant à l’AFRICOM, le commandement lui-même a parlé de réduction d’effectifs sur le continent.  L’article de The Intercept paraît ainsi surprenant.

Il n’y a en vérité rien de nouveau. Oui, l’AFRICOM a une présence importante en Afrique. Or, ses buts sont clairs, et le déploiement des forces américaines se fait, dans les contraintes des opérations militaires et dans la transparence. Les documents utilisés par The Intercept ont d’ailleurs tous été fournis par l’AFRICOM.

Le commandement américain pour l’Afrique fait de la lutte contre le terrorisme islamiste son but principal sur ce continent depuis longtemps, bien avant l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche. Les militaires américains y ont toujours été très préoccupés par les potentielles menaces terroristes. Et ils viennent de voir leur approche confirmée par l’Administration Trump. Dans un discours à la Heritage Foundation, le 13 décembre dernier, le Conseiller pour la sécurité nationale, John Bolton, a décrit la nouvelle stratégie de Trump pour le continent africain. S’il a annoncé beaucoup de changements en ce qui concerne la coopération ou le soutien des États-Unis aux missions onusiennes de maintien de la paix, les objectifs sécuritaires en Afrique semblent totalement inchangés.

Quels sont les éléments, réels, de cette présence ?

Sa mission est simple : son principal objectif opérationnel est de mener une lutte contre l’extrémisme violent sur le continent, et, sur le long terme, de renforcer les capacités des armées africaines à faire face au terrorisme et à l’instabilité. Les intérêts d’AFRICOM s’alignent ainsi parfaitement avec ceux des États africains et des acteurs internationaux, notamment la France.

Pour l’heure, la mission de l’AFRICOM se traduit en opérations réparties sur quatre zones.  En Afrique de l’Est, l’AFRICOM a pour cible les terroristes des Shebab en Somalie.  Autour du lac Tchad, le commandement américain soutient le combat contre Boko Haram et Daech. Plus au Nord, il lutte contre l’instabilité en Libye et contre al-Qaïda au Sahel. Dans le golfe de Guinée, il aide les pays côtiers à combattre la piraterie.

Partout où l’AFRICOM travaille, c’est dans le cadre de partenariats. Les forces américaines peuvent agir seules en Afrique dans des cas limités. Les forces américaines disposent d’atouts assez importants tels des drones basés à Djibouti qui permettent d’occasionnelles frappes unilatérales contre des terroristes en Somalie ou en Libye. Mais au global, l’AFRICOM n’a que très peu de forces propres, et n’a pas de grandes unités. C’est un commandement qui aide les Africains à faire, pas un commandement qui fait lui-même.

La lutte contre les Shebab en Somalie ? L’AFRICOM soutient la mission de l’Union africaine, l’AMISOM. Le combat contre al-Qaïda au Sahel ? C’est à travers le G5, qui rassemble les pays de la sous-région et les forces françaises que l’AFRICOM agit. Boko Haram ? C’est en renforçant les capacités de la Multinational Joint Task Force – composée des forces du Tchad, Bénin, Niger, Nigeria, et Cameroun – que l’AFRICOM cherche à combattre ce groupe terroriste. L’action de l’AFRICOM en Libye et en Somalie est autorisée par des mandats des Nations Unies et l’Union africaine.

Pour agir en étroite collaboration avec les partenaires africains, l’AFRICOM a besoin d’une présence, en général temporaire et plus rarement permanente. Avec 7200 personnes, militaires et civils confondus, cette présence est assez restreinte au vu de la taille du continent et de la multiplicité des crises.  L’AFRICOM n’a que deux bases permanentes, l’une à Djibouti, l’autre sur l’île de l’Ascension.  Le Camp Lemonnier, situé dans la ville de Djibouti, est de loin la plus importante garnison militaire américaine sur le continent, avec des éléments navals, aériens, et terrestres. L’AFRICOM a 12 autres sites non permanents (Cooperative Security Locations) et 20 sites qui n’ont pas de présence américaine continue (Contingency Locations). Le commandement a annoncé qu’il va réduire le nombre de ces deux types de sites de 32 à 27 cette année.

L’article de The Intercept s’est notamment préoccupé d’une base à Agadez, au Niger, en pleine expansion. Il est vrai que la coopération entre l’AFRICOM et le Niger est importante, mais cela s’explique par le fait que le pays est à un “carrefour d’instabilité régionale,” entre la Libye, le Lac Tchad et le Sahel, comme l’a précisé le commandant de l’AFRICOM, le général Waldhauser. Un endroit sensible, où les États-Unis ont intérêt à être présents, d’autant que le Niger est un partenaire enthousiaste. Le site à Agadez est donc actif, mais il reste un Contingency Support Location, qui n’est pas censé être permanent et qui opère toujours en partenariat avec le gouvernement nigérien.

Dans d’autres pays, la présence américaine est plutôt discrète. Prenons l’exemple de la Centrafrique, où j’ai été ambassadeur jusqu’à l’année dernière. Dans l’extrême Est du pays, il y avait une petite dizaine de réservistes des forces spéciales qui appuyaient un bataillon de l’armée ougandaise, déployée contre la Lord’s Resistance Army, sous mandat de l’Union africaine. Ces soldats sont partis depuis. Quelques officiers américains assuraient la liaison avec le quartier général de la mission onusienne de maintien de la paix. L’aviation américaine fournissait occasionnellement un soutien logistique aux forces françaises de l’Opération Sangaris, retirée maintenant du pays. De temps à autre, l’AFRICOM prêtait à l’ambassade un militaire pour faciliter une assistance américaine aux forces armées centrafricaines. Une présence qui peinerait à nourrir des fantasmes sur les visées américaines sur le continent, et bien plus modeste, par exemple, que l’actuelle présence russe en Centrafrique.

Alors, oui, l’Amérique a une présence militaire en Afrique et il faut s’en féliciter.

 
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