ANALYSES

Transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem : un nouveau camouflet pour le droit international

Interview
8 décembre 2017
Le point de vue de Didier Billion


Que revêt la décision de Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale de l’Etat d’Israël et de transférer l’ambassade états-unienne dans cette ville ? Au-delà de cette interrogation, la décision vient en tous les cas confirmer à nouveau l’aversion assumée du président américain envers toute forme de multilatéralisme. Pour nous éclairer, le point de vue de Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS.

Au vu de l’absence d’avancées dans les négociations entre Israéliens et Palestiniens, comment expliquer un tel timing dans la décision de Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale de l’Etat d’Israël ?

Il s’agit tout d’abord d’une décision de Donald Trump qui s’inscrit dans la logique de sa campagne électorale présidentielle puisqu’il avait alors clairement expliqué son objectif de reconnaître Jérusalem comme capitale de l’Etat d’Israël et d’y transférer l’ambassade états-unienne, actuellement située à Tel-Aviv. Ainsi, même si cette décision a mis un an pour être prise, le président américain applique ce qu’il avait promis à son électorat.

Cette décision confirme la totale mécompréhension par le président des Etats-Unis des complexes enjeux en question ainsi que de la double dimension symbolique et politique de Jérusalem. Elle vient, à n’en pas douter, servir des enjeux de politique intérieure comme le démontrent les nombreux commentaires de satisfaction de sa base électorale, en partie composée de courants évangéliques traditionnalistes attachant une grande importance à cette reconnaissance, d’une part, et d’une majorité des Républicains, d’autre part.

Cette décision inconséquente vient mettre en lumière la vision simpliste de Donald Trump qui considère que tout ce qui peut aller dans le sens des revendications israéliennes doit être encouragé, en faisant abstraction des réactions et des modifications de rapports de forces que cela peut générer à l’international. Ce manque de rationalité, cette incapacité à se projeter dans l’avenir constitue une nouvelle illustration de l’action du président américain depuis son accession au pouvoir, incontrôlable et menée sans véritable concertation avec son Administration, ou du moins ce qu’il en reste.

Visiblement, la seule méthode qui compte aux yeux de Donald Trump, en l’occurrence à l’instar de ses comparses israéliens, c’est celle du fait accompli. C’est jouer aussi sur le sentiment d’impunité de facto encouragé par les capitulations à répétition de ladite communauté internationale. Ces faits indiquent le plus profond mépris de ce qui est encore la première puissance mondiale à l’égard du droit international.

Cette décision condamnée par de multiples chancelleries étrangères n’est-elle finalement pas un cadeau empoisonné pour Israël, notamment dans son souhait de rapprochement avec certains pays de la région ?

En effet, cela renseigne en tous cas un autre aspect susmentionné, à savoir qu’avec cette décision, Donald Trump, pensant servir les intérêts d’Israël, croit pouvoir s’affranchir radicalement des réactions des Etats de la région.

A titre d’exemple, il n’est plus ignoré qu’un processus de rapprochement discret se tisse depuis quelques mois entre Israël et l’Arabie Saoudite. La raison fondamentale de ce récent rapprochement est l’ennemi commun que représente l’Iran à leurs yeux. Le président des Etats-Unis est donc un allié à la fois des Saoudiens et des Israéliens sur ce dossier, comme il l’a parfaitement démontré lors de sa visite officielle à Ryad au mois de mai dernier. Mais il a complètement sous-estimé l’importance politique et religieuse que revêt Jérusalem pour la monarchie saoudienne, qui ne peut accepter cette décision unilatérale faisant passer un lieu saint de l’Islam sous contrôle israélien.

Il est beaucoup trop tôt pour spéculer sur un hypothétique arrêt de ce rapprochement initié entre Tel-Aviv et Ryad, mais il est certain qu’il sera plus compliqué à assumer à l’avenir pour les Saoudiens. Or un refroidissement diplomatique entre les deux Etats mettrait en porte-à-faux l’approche de Donald Trump sur les intérêts américains dans la région, à savoir un axe Washington / Tel-Aviv / Ryad.

Les positions d’autres pays entretenant des liens avec Israël seront également à observer car, pour nombre d’entre eux, la remise en cause du droit international, à l’instar de la Turquie par exemple, constitue une ligne rouge. A part quelques Etats comme la République tchèque et les Philippines, peu d’Etats vont reconnaître Jérusalem comme capitale, ce qui éclaire sur l’affaiblissement de la politique américaine. Une chose apparaît certaine, c’est que Washington ne pourra plus se targuer désormais d’être un honnête médiateur, tout du moins aux yeux de celles et ceux qui entretenaient encore cette illusion !

Alors que le Hamas et le Fatah se sont engagés dans un processus de réconciliation après des années d’hostilité, cette décision américaine peut-elle venir tout bousculer ?

Si le rapprochement entre l’Autorité palestinienne et le Hamas constituait une bonne nouvelle, le processus s’avérait infiniment compliqué et les pressions considérables.

La décision américaine vient renforcer les factions palestiniennes les plus réticentes à la perspective – certes fort éloignée – d’un compromis avec les Israéliens dans le cadre de l’application du droit international. Israël voulait par exemple que le Hamas désarme totalement comme gage de sa bonne volonté ; or il est évident que cette requête est inacceptable pour les dirigeants de ce mouvement car ils ne peuvent envisager désarmer leurs milices tant que les perspectives de réelles négociations sont nulles. En outre, Mahmoud Abbas, lui-même, était dans une posture dure à l’égard du Hamas et donc très peu disposé à faire des compromis avec l’organisation.

Avec la décision du président américain, il est évident que les cartes sont redistribuées et dans le mauvais sens. Cela aura sans doute pour conséquence un arrêt du processus de réconciliation, au moins de manière temporaire. Le Hamas a en effet par exemple appelé à une nouvelle Intifada. Nous ne savons pas pour l’heure si cela aura un écho, mais il est clair que les plus radicaux ont beau jeu d’avancer qu’avec Donald Trump et Benjamin Netanyahou la voie politique s’avère impossible.

Par ailleurs, au sein même de l’Autorité palestinienne, on va assister à une modification radicale des rapports de force. Mahmoud Abbas, qui depuis des années assumait le rôle du bon élève du droit international pour désespérément tenter de gagner les bonnes grâces de Washington et Tel-Aviv, vient d’encaisser une gifle monumentale par la décision de Donald Trump. Celles et ceux des Palestiniens qui étaient favorables à des négociations sont aujourd’hui marginalisés et ce sont les plus radicaux qui reprendront le flambeau, sans issue possible, la violence n’en constituant pas une en tant que telle.
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