ANALYSES

Afrique subsaharienne : pas de développement sans sécurité, et vice-versa ?

Interview
7 décembre 2017
Le point de vue de Serge Michailof


Alors que s’est tenue la 5e édition du sommet Union africaine/Union européenne la semaine dernière, le véritable enjeu semble porter sur la situation sécuritaire au sein de la zone sahélo-saharienne et la création d’une force multinationale conjointe du G5 Sahel. Celle-ci sera d’ailleurs l’objet d’une rencontre internationale le 13 décembre prochain. Le point de vue de Serge Michailof, chercheur associé à l’IRIS, ancien directeur à la Banque mondiale et ancien directeur exécutif de l’Agence française de développement.

La 5e édition du sommet Union européenne / Union africaine d’Abidjan a placé la thématique sécuritaire au cœur des discussions, au premier rang desquelles, la lutte contre le terrorisme. Qu’en est-il de l’africanisation des politiques de sécurité et de défense par les organisations régionales ?

Dans l’immédiat, le véritable enjeu porte sur la zone sahélo-saharienne. La création d’une force multinationale conjointe des pays du G5 Sahel – comprenant la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad – a constitué à ce titre, une initiative africaine importante. Il s’agit d’une véritable force d’intervention avec ses moyens propres. Actuellement la décision de constitution de cette force est actée, une partie des financements permettant son fonctionnement a été sécurisée.

Le budget initial qui portait sur un montant de 423 millions d’euros a été réajusté entre 220 et 250 millions, ce qui apparaît suffisant pour faire fonctionner cette force. Aujourd’hui, il y a une participation de la France en équipement et de l’Union européenne à hauteur de 50 millions d’euros, ce qui laisse penser que l’opérationnalisation ne devrait être qu’une question de mois.

Il importe également de mentionner la récente inflexion américaine sur le plan budgétaire, ainsi que le concours de l’Arabie Saoudite. Cela étant, si les Etats-Unis ont l’équivalent d’un bataillon entre le Mali, le Niger et la Mauritanie, leur veto concernant le rattachement de cette force sous l’égide de l’ONU montre que certains aspects ne sont pas encore clarifiés.

Une rencontre internationale aura lieu ce 13 décembre dans le but d’accélérer l’opérationnalisation de cette force conjointe du G5 Sahel. Que doit-on en attendre ?

Cette réunion du 13 décembre est essentiellement consacrée à la mobilisation des ressources financières nécessaires à son opérationnalisation. Les montant mobilisés devront avoir un aspect récurrent sur un temps correspondant à la durée d’engagement de cette force.

Les missions qui lui sont assignées sont assez claires : il s’agira de sécuriser les frontières et d’éviter leur perméabilité afin d’entraver la circulation des groupes armés. Sur le plan logistique, cette force conjointe bénéficiera de l’appui de l’opération Barkhane ainsi que de la Mission de maintien de la paix des Nations unies au Mali (MINUSMA).

Il faut néanmoins prendre conscience du fait que des opérations militaires ne règleront pas d’elles-mêmes le problème de la sécurité. Au-delà de l’élimination des groupes djihadistes, doit se mettre en place un appareil étatique et sécuritaire qui fait cruellement défaut au Mali, même s’il fait preuve d’une plus grande résilience dans les pays voisins.

En marge du sommet UE/UA, une réunion d’urgence a été organisée à l’initiative d’Emmanuel Macron pour apporter des solutions à court terme à la situation migratoire en Libye. Avec ou sans le soutien de la France, se dirige-t-on vers une intervention militaire interafricaine ?

Les déclarations du président Emmanuel Macron ont donné lieu à des interprétations diverses et variées. En réalité, on ne sait pas à l’heure actuelle ce qu’il a exactement en projet. Tout en sachant qu’il est plus judicieux qu’il ne précise pas plus ses intentions en la matière si intervention militaire il devait y avoir.

Il faut néanmoins se rendre compte de la difficulté d’une opération de ce genre. Le nombre de Subsahariens détenus et en attente d’une traversée de la Méditerranée est de l’ordre de 400 000 personnes. Or, au regard du contexte libyen, le défi logistique est gigantesque. Plusieurs options sont à mettre sur la table. Il pourrait s’agir d’une intervention à court terme, relativement symbolique de démantèlement de quelques camps de concentration privés pour montrer « qu’on fait quelque chose ». Mais il peut aussi s’agir d’une opération plus ambitieuse. Ceci dit le règlement de ce problème suppose la reconstitution d’un Etat libyen et la mise au pas des milices. Nous n’y sommes pas.

Tout cela est extrêmement compliqué et lorsque l’on interroge des militaires, ils sont très lucides sur l’ampleur des obstacles. Le Premier ministre libyen, Fayez el-Sarraj, ne contrôle véritablement que quelques quartiers de Tripoli et toute force qui se hasarderait au-delà de ce périmètre extrêmement restreint se heurterait à des milices lourdement armées. On se souvient de l’échec Américain en Somalie. Ce type d’expédition est difficile si l’on ne peut négocier avec les milices. Les profits des réseaux mafieux qui gèrent le trafic des migrants est estimé à environ 4 milliards de dollars. C’est donc un gros business qu’il s’agit de démanteler, sans doute le plus rentable avec le trafic de cocaïne qui vient d’Amérique latine et qui transite par la Libye. Il est à craindre que les protecteurs locaux de ces « business » ne se laissent pas faire sans résister. En revanche un travail de police dans les pays de départ devrait assez aisément permettre d’identifier les têtes de réseau et de les démanteler.
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