ANALYSES

Attentat à Kaboul : l’Afghanistan paralysée et impuissante

Interview
1 juin 2017
Le point de vue de Karim Pakzad
Ce nouvel attentat témoigne-t-il d’une situation sécuritaire critique en Afghanistan ?

La situation sécuritaire ne cesse de se dégrader en Afghanistan depuis deux ans et le retrait de troupes de l’OTAN fin 2014. L’année 2016 a été la plus meurtrière pour les civils avec 11500 victimes, dont 3500 tuées ; sans compter les morts dans les rangs de l’armée s’élevant à plusieurs milliers par an. Le 25 avril 2017, dans une attaque contre une base militaire au Nord de l’Afghanistan – région supposée plus calme -, les Talibans ont tué 136 soldats et officiers et en ont blessé plusieurs dizaines. Les Talibans, les insurgés et Daech ont eu l’occasion de prendre l’initiative sur le plan militaire au point où aujourd’hui, le gouvernement de Kaboul ne contrôle que 57 % du territoire afghan et 62 % des habitants du pays selon l’OTAN et les généraux américains, tandis que les Talibans contrôlent 43% du territoire. Presque la moitié du territoire national échappe donc au contrôle de l’État et cette avancée des Talibans accentue l’insécurité partout. Parfois, ils réussissent même à occuper de grandes métropoles sans toutefois parvenir à en garder durablement le contrôle face à l’armée afghane appuyée par les forces américaines.

Les Talibans et Daech frappent n’importe où et, depuis un an, Kaboul fait régulièrement l’objet d’attentats suicides extrêmement meurtriers, à la fois contre des édifices étatiques et des ambassades étrangères mais aussi contre la population civile. Les Talibans attribuent les attentats contre des civils à Daech mais en réalité, ils ont en eux aussi déjà commis : il y a trois jours, ils ont revendiqué un attentat commis contre la population dans l’Est du pays.

Aujourd’hui, la situation sécuritaire dans le pays est donc extrêmement préoccupante. À Kaboul, une personnalité – qu’elle soit politique, commerciale ou étrangère – ne peut circuler qu’en étant accompagnée par des gens armés et dans des véhiculés protégés. Et au-delà des attentats, des crimes et des meurtres sont commis tous les jours dans la capitale afghane.

Dans ce contexte, quelle est la situation politique du pays ? L’État ne dispose-t-il d’aucune crédibilité ?

L’une des raisons de l’aggravation de la situation sécuritaire en Afghanistan est la faiblesse politique du gouvernement et son manque d’homogénéité. Le gouvernement est certes issu des élections présidentielles de 2014 mais il ne jouit d’aucune légitimité car, lors de ce scrutin, l’actuel chef de l’État, Ashraf Ghani, et son opposant, Abdullah Abdullah, ont tous les deux revendiqué la victoire. Face à cette situation, John Kerry, secrétaire d’État américain de l’époque, s’était rendu plusieurs fois à Kaboul et avait fini par trouver comme solution la mise en place d’un gouvernement d’union nationale avec un partage à 50/50 pour chacun des hommes. La présidence a ainsi été donnée à Ghani, tandis que le poste de président du pouvoir exécutif a été créé sans que la Constitution afghane le prévoie. Cet état des choses n’est ni légal, ni légitime, mais il perdure. Dans l’accord signé par les deux hommes, il était prévu qu’au bout d’un an et demi, une assemblée afghane devait être appelée pour modifier la Constitution et provoquer des élections anticipées, afin de conférer légalité et légitimité au régime. Or, Ashraf Ghani a accepté cette condition sans jamais l’appliquer. Aujourd’hui, on est donc en face de deux pouvoirs qui se contredisent souvent l’un et l’autre, parfois publiquement. Par exemple, Abdullah déclare parfois qu’il n’est pas au courant d’une décision de Ghani. Le pouvoir politique n’est donc ni efficace, ni légal. L’Assemblée nationale aurait notamment dû être renouvelée deux ans auparavant mais le président s’arrange avec des décrets, de sorte que les députés actuels sont en place depuis maintenant six ans, au lieu de quatre. Le pays est donc dans une situation politique anormale, dont profitent les Talibans.

Par ailleurs, Ashraf Ghani a signé un accord de paix avec le parti islamique de Gulbuddin Hekmatyar, ancien membre de l’opposition armée à l’origine d’attentats, recherché par les Américains et sur la liste des terroristes élaborée par l’ONU. En signant l’accord de paix avec le chef du parti islamique et pour qu’il puisse entrer à Kaboul, le gouvernement demande aux Nations unies de supprimer Hekmatyar de la liste des terroristes recherchés. Cet accord est toutefois très contesté en Afghanistan car Hekmatyar a la réputation d’un véritable criminel de guerre.

Les pays étrangers fournisseurs de l’aide internationale (États-Unis, Europe, Japon…) – sans laquelle le pays ne pourrait survivre puisqu’elle constitue plus de la moitié du budget de l’État afghan – font pression sur Ghani pour arriver à un résultat. Malheureusement, il n’y arrivera pas et la communauté internationale soutiendra le gouvernement afghan quoiqu’il arrive, sous peine de laisser le pays aux mains de Daech. Il n’y a donc aucun moyen de pression efficace sur Kaboul pouvant mettre fin à la corruption. Avec la Somalie et la Corée du Nord, l’Afghanistan est en effet le pays le plus corrompu du monde ; de telle sorte qu’une grande partie de l’aide internationale a été détournée.

Quel est l’état des lieux des forces étrangères dans le pays ? La réflexion de Donald Trump quant à l’envoi de troupes supplémentaires en Afghanistan ne risque-t-elle pas d’envenimer la situation ?

Après le retrait de l’OTAN fin 2014, les États-Unis ont gardé un peu plus de 8 000 soldats en Afghanistan, officiellement pour fournir de l’aide, du soutien et des formations à l’armée afghane. En parallèle, quelques soldats allemands et britanniques, australiens, turcs…, sont aussi présents. Au total, environ 14 000 soldats étrangers se trouvent toujours en Afghanistan. Leur mission a toutefois changé de nature après le retrait de l’OTAN : il ne s’agit plus d’une mission de combat mais de formation et de soutien. Cela étant, dans la pratique, il arrive parfois – dans le Nord ou récemment à Farâh et Hilmand dans le Sud – que devant les difficultés de l’armée afghane, les Américains interviennent dans le combat.

Ce qui fait débat aujourd’hui, c’est que depuis l’élection de Donald Trump et l’arrivée massive dans son entourage de généraux ayant servi en Afghanistan, il y a une demande de plus en plus pressante d’envoyer davantage de forces dans le pays. Or, cela rappelle fortement les années 2002-2003 quand, face aux difficultés des 3 000 soldats américains à combattre les Talibans, Washington avait décidé d’augmenter les forces en présence.

Pourquoi les généraux demandent-ils à Trump de ne pas se désengager de l’Afghanistan ? Parce que le pays est redevenu, comme il y a plus d’un siècle, un champ de rivalité entre les grandes puissances régionales. Depuis le retrait des troupes américaines et de l’OTAN, depuis que les négociations entre Kaboul et les Talibans ont échoué et depuis l’apparition de Daech dans le pays, la menace pèse sur tous les pays voisins : Iran, Pakistan, Tadjikistan, Chine, etc. Depuis quelques mois, la Russie et la Chine ont pris contact avec les Talibans et les ont invités à plusieurs reprises pour négocier. Les Talibans qui étaient auparavant des terroristes sont devenus des interlocuteurs pour Moscou et Pékin car les deux s’inquiètent de la présence de Daech à leurs frontières. De plus, compte-tenu de la situation syrienne, la Russie ne veut pas abandonner l’Afghanistan aux États-Unis. La Chine a la même politique et ne souhaite pas que les Américains mettent la main sur l’Afghanistan et sur sa frontière de 78 km avec le Xinjiang.

Ce contexte pousse donc les États-Unis à défendre davantage – et ce quoiqu’il arrive- le gouvernement de Kaboul. Aujourd’hui, l’Afghanistan représente donc un enjeu géopolitique majeur sur la scène régionale et internationale.
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