ANALYSES

La politique arabe de François Hollande

Tribune
22 novembre 2016
Par David Roux, titulaire d'un master en Géopolitique de Sciences Po' Toulouse, étudiant à IRIS Sup' en Défense, sécurité et gestion de crises
François Hollande connaissait mal le monde arabe à son arrivée à l’Élysée et assumait un tropisme affiché envers Israël [1]. L’ironie du sort fit coïncider son élection avec l’avènement de plusieurs bouleversements majeurs : les printemps arabes, la guerre en Syrie et l’essor fulgurant de Daech.

En 2012, le candidat Hollande avait promis un désengagement des troupes françaises d’Afghanistan et semblait s’inscrire sur une ligne de rupture par rapport à l’interventionnisme armé de son prédécesseur. Cette ligne de campagne faisait écho à l’image désirée et entretenue d’un socialisme pacifique et non-interventionniste. La réalité fut tout autre.

François Hollande s’inscrivit pleinement dans la lignée de François Mitterrand ou de Guy Mollet. De son prédécesseur socialiste à l’Élysée, il semble avoir gardé un pragmatisme réaliste éloigné de tout idéologie. Il hérita également du côté interventionniste du président du Conseil de la IVème République. En 1956, le dirigeant de la SFIO avait projeté l’armée française en Egypte contre la nationalisation du canal de Suez. La propagation du nationalisme nassérien à d’autres pays arabes faisait à l’époque très peur à Guy Mollet qui lança également une politique de répression sans précédent en Algérie. François Hollande repris à son compte cette realpolitik si présente dans la pratique du pouvoir socialiste de la seconde moitié du XXème siècle.

Il est indéniable que François Hollande se forgea, consciemment ou non, un statut de chef de guerre. Dans cette évolution, il est difficile de savoir quelle est la part liée à cet héritage socialiste, celle induite par ce contexte géopolitique particulièrement instable et celle due à l’influence des courants néoconservateurs actuellement actifs au sein de l’appareil d’Etat.

En effet, il semble qu’il y eut durant ce quinquennat une certaine prégnance des mouvements néoconservateurs au sein de l’Élysée, du ministère des Affaires étrangères ou de celui de la Défense.

Le général Benoît Puga, chef d’Etat-major particulier du président, catholique traditionaliste de droite, inspirateur de la politique de Nicolas Sarkozy, n’avait aucune raison d’être maintenu à ce poste à l’arrivée des socialistes à l’Élysée. Il fut pourtant jusqu’au 6 juillet 2016, date de son remplacement par l’amiral Bernard Rogel, un conseiller très écouté et omniprésent dans toutes les négociations menées par le président en matière d’opérations extérieures.

De même, Jacques Audibert, souvent présenté comme néo-conservateur et qui fut d’abord directeur des affaires politiques au quai d’Orsay puis conseiller diplomatique du président de la République, joua un rôle prépondérant dans l’intransigeance française sur le dossier du nucléaire iranien. Certains parlaient alors de l’influence des « faucons » du quai d’Orsay.

De son côté, Jean-Yves Le Drian, accompagné d’un directeur de cabinet – Cédric Lewandowski – également catalogué comme « faucon », assuma totalement les guerres décomplexées de l’armée française.

Pour autant, contrairement à ce qu’avancent de nombreuses critiques, François Hollande ne poursuivit pas le tournant atlantiste opéré par Nicolas Sarkozy. De par ses nombreuses opérations extérieures unilatérales et ses positionnements souvent en porte-à-faux envers les Etats-Unis, François Hollande fit siens les concepts gaullo-mitterrandistes d’indépendance, de souveraineté et de « grandeur » de la France.

Néanmoins, une certaine homogénéité semble faire défaut au bilan de la politique arabe de François Hollande. Jean-Paul Chagnollaud souligne ce manque de cohérence globale qui viendrait du fait qu’elle ne fut pas pensée dans les mêmes ministères selon les zones géographiques où elle s’appliquait : Laurent Fabius aux Affaires étrangères déterminant prioritairement le positionnement de la France en Iran, en Syrie, en Israël et en Palestine alors que la politique française dans la péninsule arabique ou sur le continent africain était d’abord décidée par Jean-Yves Le Drian à la Défense [2].

Un point commun notable relia tout de même ces deux ministères lors de ce quinquennat : la priorité donnée au commerce extérieur. Sous la présidence de François Hollande, la diplomatie fut perçue comme un outil au service du commerce extérieur français. En 2014, le quai d’Orsay se para officiellement du titre de ministère des Affaires étrangères et du développement international et ouvrit une Direction des entreprises et de l’économie internationale. Les chiffres du commerce extérieur devinrent un des baromètres de l’efficacité du ministère et la diplomatie économique une priorité affichée.

De son côté, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian se présenta lui-même comme « le ministre de l’export d’armement » [3]. Il mit en place à l’hôtel de Brienne un comité d’exportation de défense afin d’harmoniser les positions stratégiques du gouvernement et la vision commerciale des industriels. Accouplée à de nombreux déplacements ministériels à l’étranger, cette méthode se révéla très efficace et aboutit à une explosion des ventes de matériel militaire dans les pays arabes (Rafales au Qatar et en Egypte, Mistral en Egypte, hélicoptères au Koweït…).

Au-delà de ses grandes lignes transversales – à l’heure où la campagne présidentielle de 2017 est déjà lancée – faisons donc un bilan détaillé du positionnement français dans le monde arabe sur ces quatre dernières années.

Un équilibre difficile à trouver en Afrique du Nord

Les relations conflictuelles latentes entre l’Algérie et le Maroc à propos du Sahara occidental n’ont jamais facilité le travail de la diplomatie française dans cette région.

Dans un souci d’équilibre et malgré quelques incidents diplomatiques souvent indépendants du pouvoir politique, le gouvernement socialiste tenta à tout prix de maintenir des relations cordiales avec ces deux partenaires historiques. Il fut difficile de déceler dans la politique de François Hollande une volonté d’avantager l’un par rapport à l’autre. Il semble au contraire que tout fut mis en œuvre pour ne froisser personne et maintenir un Etat d’équilibre au sein de ce triangle diplomatique instable.

Concernant la Tunisie, de nombreuses voix plaidèrent pour l’établissement d’un plan Marshall suite à la chute de Ben Ali. Pourtant, c’est seulement en janvier 2016 que François Hollande annonça un soutien financier d’1 milliard d’euros pour aider Tunis à sortir de la crise économique et sécuritaire dans laquelle elle se trouvait. En effet, depuis le printemps arabe de 2011, les avancées démocratiques n’ont toujours pas été suivies du décollage économique tant attendu par la population. De plus, le pays est aujourd’hui la cible régulière des terroristes de Daech. D’aucuns, comme Hervé Morin, estiment que François Hollande a sous-estimé cette menace qui pourrait aujourd’hui faire imploser la seule transition démocratique des printemps arabes [4].

De même, la France n’a entrepris que peu d’initiatives pour essayer de rétablir un Etat de droit en Libye. C’est pourtant suite à l’intervention militaire franco-anglaise qui aboutit à la mort de Mouammar Kadhafi que ce pays s’effondra dans une guerre civile.

En Egypte, lors de l’été 2013, Laurent Fabius demanda la libération du président Mohamed Morsi qui venait d’être renversé et il condamna la répression contre les Frères musulmans. Pourtant la diplomatie française comprit qu’elle avait plus d’intérêt à supporter Abdel Fattah al-Sissi arrivé officiellement à la tête de l’Etat en mai 2014 qu’à défendre les Frères musulmans pourtant démocratiquement élus. Le maréchal fut perçu comme un allié de poids dans la lutte contre le terrorisme et l’expansion des mouvements islamistes radicaux.

Dans un contexte de désengagement des Etats-Unis, les diplomates du quai d’Orsay perçurent les opportunités que pouvaient apporter ce rapprochement. Grâce à l’aide saoudienne, l’Egypte devint ainsi un partenaire économique de premier ordre achetant à la France pas moins de 24 rafales, une frégate ainsi que les deux mistrals non vendus à la Russie.

Pourtant, l’affichage répété du président François Hollande auprès du maréchal al-Sissi pourrait mettre la France en porte-à-faux face au soulèvement possible d’une population subissant une dictature terrible. La realpolitik est affaire de finesse et tous ces critères ne doivent pas être sous-estimés dans l’entretien des relations bilatérales françaises.

Dans la poudrière du croissant fertile

Dès son arrivée au pouvoir, le gouvernement socialiste reprit à son compte le positionnement intransigeant du gouvernement précédent envers le régime syrien. Le quai d’Orsay coupa tout lien diplomatique avec la Syrie, mais ceci sans approfondir ses relations avec la Russie ou l’Iran, seuls pays qui auraient pu peser sur un départ éventuel de Bachar el-Assad.

Les raisons stratégiques de ce positionnement furent multiples : d’une part, isoler l’Iran en faisant tomber son principal allié dans la région, d’autre part, contenter des alliés sunnites dont la France s’était grandement rapprochée.

Dès le printemps 2013, la France fournit à l’Armée syrienne libre une aide matérielle discrète. Cette dernière était alors la principale opposition au pouvoir en place et fut perçue comme la digne représentante des mouvements démocratiques issus du printemps arabe.

Au fur et à mesure que le conflit avançait, la diplomatie française se durcit et commença à se positionner éthiquement. Les termes de « punition », de « responsabilité » ou de « morale » furent fréquemment employés. Paris mit alors en avant l’utilisation d’armes chimiques pour justifier la nécessité de frappes aériennes sur Damas. Pour David Revault d’Allonnes reprenant les termes de François Hollande, cette intervention militaire en Syrie devint au fil du temps « presque une question d’honneur pour la France, sa diplomatie et son armée » [5].

L’opération aurait dû avoir lieu entre le 30 août et le 2 septembre 2013. Elle avait été limitée au tir de 16 missiles Scalp dans la région de Damas et, contrairement à ses engagements de campagne, François Hollande avait décidé de ne pas consulter le Parlement afin de profiter de l’effet de surprise des frappes.

La décision d’Obama de ne pas intervenir aux côtés de la France fut prise seulement 30 à 40 minutes avant le décollage des avions français. François Hollande se retrouva du jour au lendemain complètement esseulé. Politiquement, la France ne pouvait plus se permettre d’intervenir unilatéralement en Syrie, mais il lui était également difficile de s’aligner sur Barack Obama sans paraître comme une puissance aux ordres de Washington. Ainsi, le quai d’Orsay n’eut pas d’autres choix que de maintenir un discours extrémiste pour se démarquer clairement de celui des Etats-Unis. Le gouvernement français estime que ce fut le tournant manqué de la guerre en Syrie qui permit à la fois le renforcement du régime et de Daech qui accueillit de nombreux rebelles déçus.

C’est finalement contre Daech, que le 19 septembre 2014, François Hollande lança une campagne aérienne « Chammal » au sein de la coalition arabo-occidentale. D’aucuns, comme Pascal Boniface, pensent que la pression de la société civile est la raison première de l’intervention française supplantant les intérêts stratégiques et économiques [6]. D’autres spécialistes estiment que cette opération est d’abord le signe de l’influence néo-conservatrice du quai d’Orsay.

La France décida donc d’intervenir militairement en Irak mais – contrairement aux Etats-Unis – refusa dans un premier temps de frapper la Syrie. La logique du ministère des Affaires étrangères était alors celle du « ni Daech, ni Assad ». Parallèlement à cette campagne aérienne, une aide matérielle et humaine fut dispensée aux Kurdes en tant que composante terrestre de la lutte contre l’organisation terroriste.

Un an plus tard, l’afflux de plus en plus important de migrants vers l’Europe et la progression territoriale de Daech en Syrie poussèrent finalement le président à intervenir dans ce pays. Afin de justifier cette nouvelle opération, Jean-Yves Le Drian invoqua la légitime défense mentionnée par l’article 51 de la Charte des Nations unies et le fait que des combattants étrangers étaient formés en Syrie pour venir frapper le territoire français.

Cette évolution fut un tournant majeur de la politique de François Hollande qui décréta dès lors que la lutte contre Daech devenait son objectif numéro un, devant la chute du régime alaouite. Paris fut contraint de délaisser sa position jusqu’au-boutiste envers Damas pour pouvoir agir efficacement contre l’organisation du calife autoproclamé Abou Bakr al-Baghdadi.

L’électrochoc du 13 novembre 2015 confirma cette évolution du positionnement français. Ce qui fut une politique d’endiguement de Daech devint une politique d’extermination : « Il ne s’agit donc pas de contenir, mais de détruire cette organisation » annonça ainsi François Hollande devant le Parlement réuni en Congrès le 16 novembre 2015 [7].

Pourtant, malgré cette rhétorique extrêmement agressive, la France ne mena une campagne aérienne qu’en demi-teinte, correspondant à moins de 10 % des frappes de la coalition. Cet interventionnisme sporadique et modéré pose question. Bruno Le Maire, soulignait juste après les attentats que « 10 mois [avaient été] perdus » et réclamait l’envoi de troupes au sol [8]. Selon le général Jean-Bernard Pinatel, les frappes françaises – n’étant pas en appui d’une attaque terrestre – ne furent que peu efficaces et auraient absolument nécessité une coordination avec les troupes syriennes ou les forces spéciales russes [9].

Plus qu’une nécessité stratégique, il semble que ces frappes contre Daech furent d’abord un impératif politique et moral.

Des liens étroits avec les monarchies sunnites de la péninsule arabique

Le rapprochement entre l’Arabie saoudite et la France s’intensifia dès août 2013 lorsque les Etats-Unis – malgré l’influence de Riyad – refusèrent de bombarder la Syrie suite à la découverte de l’utilisation d’armes chimiques par le régime de Bachar el-Assad. L’Arabie saoudite, perdant confiance envers son proche allié américain, trouva dans la position intransigeante de la France un appui de poids pour contester le renouveau iranien sur la scène internationale. Laurent Fabius se rendit pas moins de trois fois à Riyad et le 5 mai 2015, François Hollande fut le premier chef d’Etat occidental à participer à un sommet du Conseil de coopération du Golfe.

Ce rapprochement permit ainsi à Paris d’entrevoir de nouvelles opportunités commerciales. En contrepartie, depuis 2012, la politique élyséenne s’est toujours adaptée à celle de Riyad. La France soutint la coalition menée par l’Arabie saoudite au Yémen et ceci malgré les nombreuses atteintes au droit international humanitaire. Ce positionnement émana directement de l’Élysée qui aurait donné l’ordre à la Direction du renseignement militaire et à la Direction générale de la sécurité extérieure de soutenir à tout prix l’offensive de Riyad. François Hollande craignait un effondrement des institutions Etatiques et un renforcement des groupes djihadistes au Yémen. Ces derniers auraient pu potentiellement contrôler le détroit stratégique de Bab-el-Mandeb qui mène au canal de Suez.

Pourtant, l’Arabie saoudite est souvent montrée du doigt quant à l’essor de ces mêmes courants djihadistes. En effet, pour Riyad, le financement international d’un islamisme sunnite rigoureux – souvent décrit comme l’antichambre du djihadisme – fut toujours un moyen de contrer l’éternel rival iranien, première puissance chiite. De la même façon, le Qatar participa au financement d’Al-Qaïda au Maghreb islamique, du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest, du Front al-Nosra en Syrie ou des Frères musulmans en Egypte. Toutes ces organisations sont considérées, à différents degrés et selon les pays, comme des organisations terroristes.

Il fut ainsi souvent fait critique à François Hollande de vouloir combattre Daech tout en soutenant des monarchies du golfe perçues comme le symbole d’un salafisme prosélyte. Néanmoins, ces financements étrangers sont à relativiser, ils ne représentent aujourd’hui pas plus de 5 % des fonds de Daech et sont issus principalement de fortunes privées.

Brigitte Curmi, chercheuse au Centre d’analyse de prévention et de stratégie du ministère des Affaires étrangères, écrivit dans une note interne au ministère que la « vision rétrograde de l’islam [n’était] pas sans rapport avec l’explosion actuelle du terrorisme djihadiste » et que c’est justement pour cette raison qu’il fallait « saisir l’occasion de la menace de Daech pour entamer [avec l’Arabie Saoudite] un dialogue exigeant et discret sur la parenté entre wahhabisme et extrémisme »10.

La politique arabe de la France en creux

La politique arabe de la France ne se limite pas aux seuls pays de la Ligue arabe. En l’occurrence, l’étude des relations bilatérales de Paris avec ces trois pays que sont l’Iran, Israël et la Turquie est primordiale pour comprendre et avoir une vue d’ensemble de la politique française au Moyen-Orient.

Le livre blanc de 2013 parlait sans équivoque de « la menace de l’Iran » [11]. Ainsi, Laurent Fabius fut le représentant d’une ligne dure se battant à tout prix pour que l’ancienne Perse n’accède pas à l’arme nucléaire. Lors des négociations entre Téhéran et le P5+1, la diplomatie française se détacha clairement de Washington pour défendre un accord robuste ou le compromis n’avait que peu de place. Cette intransigeance, souvent perçue comme un excès de zèle, permit néanmoins de signer un accord bien plus sûr qu’il ne l’aurait été si la France s’était alignée sur Washington.

Ainsi, la politique arabe de François Hollande fut clairement déséquilibrée en faveur des puissances sunnites. L’Arabie saoudite – en tant que pays le plus riche de la région – et l’Egypte – en tant que nation la plus peuplée – furent considérés par le quai d’Orsay comme les acteurs primordiaux de cet espace. À l’inverse, la République iranienne chiite et perse ne fut pas perçue comme puissance stabilisatrice au sein d’un Moyen-Orient peuplé majoritairement de sunnites.

Cependant, une fois l’accord du 14 juillet 2015 sur le nucléaire iranien signé, Laurent Fabius se rendit rapidement en Iran le 29 du même mois pour relancer des relations diplomatiques et économiques sereines avec Téhéran. François Hollande invita ensuite Hassan Rohani pour une visite officielle à Paris dès janvier 2016. D’ailleurs, les relations diplomatiques ayant reprises sur de bonnes bases avec Téhéran, la France pourrait jouer un rôle d’intermédiaire primordial entre les monarchies sunnites et la république chiite.

L’Iran, pays de 77 millions d’habitants, reste une puissance régionale incontestable. Elle est également un marché énorme prêt à s’ouvrir aux investisseurs dont la France veut absolument faire partie. De plus, aujourd’hui, ce sont les gardiens de la révolution iranienne qui luttent sur le terrain contre Daech. Riyad n’a pour l’instant aucune volonté d’intervenir au sol en Irak et en Syrie alors que ses hommes sont déployés à la frontière yéménite. L’Arabie saoudite déploya 15 avions en Irak contre une centaine au Yémen. Les priorités saoudiennes sont claires : l’Iran est une menace plus importante que Daech et Riyad veut absolument prouver à son rival sa détermination.

Au centre de ce monde arabe en pleine ébullition, le conflit israélo-palestinien porte toujours une charge symbolique extrêmement élevée. Ainsi, toute politique arabe est en soi une politique israélienne en creux et inversement.

Fin 2012, lors du vote pour la reconnaissance de la Palestine comme Etat observateur à l’ONU, les intentions de la France restèrent floues pendant un long moment. Ce n’est qu’au dernier moment que François Hollande, tout juste arrivé à l’Élysée, décida de voter pour. Ce sentiment d’hésitation donna l’impression que le nouveau locataire de l’Élysée n’avait pas de positionnement clair et arrêté sur le conflit israélo-palestinien.

De même, l’orientation politique du gouvernement lors de la guerre de Gaza en 2014 fut pour le moins fluctuante. Le chef de l’Etat opta pour des propos résolument atlantistes en exprimant la solidarité de la France à Israël lors des premiers tirs de roquettes sur l’Etat hébreux. Pourtant, au fur et à mesure que le conflit avançait, le discours de Paris évolua vers une condamnation de plus en plus sévère des ripostes israéliennes.

Presque un an plus tard, les initiatives menées par Washington se trouvant dans l’impasse, Laurent Fabius essaya de relancer un nouveau cycle de négociations avec un nombre élargi de participants. Devant les réticences d’Israël et des Etats-Unis, il affirma même que, faute de bonne volonté de part et d’autre, la France se verrait dans l’obligation de reconnaître l’Etat palestinien. Cette déclaration faite en janvier 2016 est pourtant à relativiser. En effet, Laurent Fabius savait qu’il partirait bientôt du quai d’Orsay pour présider le Conseil constitutionnel et qu’il n’aurait pas à porter les conséquences de ces propos. Jean-Marc Ayrault, son successeur, annonça d’ailleurs rapidement que cette option n’était plus d’actualité.

La diplomatie française, de par tous ces positionnements, ne donna pas l’impression d’avoir une vision stratégique claire pour Israël et les Territoires palestiniens. D’ailleurs, le conflit israélo-palestinien sembla devenir secondaire par rapport à la menace que fit peser Daech sur l’ensemble de la région.

D’ailleurs, l’une des conséquences de l’essor du groupe terroriste fut également de replacer Ankara au centre de la scène géostratégique régionale. La Turquie, interface entre le Moyen-Orient et l’Europe, est une des puissances du pourtour méditerranéen. À ce titre, bien que sa population soit majoritairement d’origine turque et non arabe, elle pèse directement sur la politique arabe française.

Un des objectifs du gouvernement français fut donc d’apaiser les tensions avec la Turquie. Pourtant, en 2015, le déplacement de François Hollande à Erevan pour les cérémonies du centenaire du génocide arménien ne facilita pas les relations diplomatiques entre Ankara et Paris. Il en fut de même lorsqu’en janvier 2016 le président relança le processus pour la création d’une loi pénalisant la négation de ce génocide.

Parallèlement, la politique de Recep Tayyip Erdogan glissa de plus en plus vers l’autoritarisme et l’imprévisibilité. L’homme fort du pays, tour à tour Premier ministre et président, joua du statut de territoire de transit de la Turquie concernant les flux financiers, matériels et humains de Daech pour imposer ses choix politiques aux pays européens. Il put ainsi relancer les discussions sur le processus d’adhésion à l’Union européenne en contrepartie d’une aide dans la gestion des migrants en partance pour l’Europe.

La diplomatie française se retrouva coincée entre la volonté de ne pas trop s’afficher aux côtés d’un régime de plus en plus autoritaire et la nécessité de collaborer avec ce pays clés dans la lutte contre Daech.

L’influence de la politique arabe de la France sur la menace terroriste

Les liens entre la France et les pays arabes sous la mandature de François Hollande restèrent donc intenses et nombreux. De manière générale, si l’on fait exception de la Syrie, la France est encore un pays écouté et respecté par les chancelleries du monde arabe.

Pourtant, ces bonnes relations diplomatiques dénotent avec l’effondrement de l’image de la France au sein des populations de ces pays. Le discours de Dominique de Villepin au Conseil de sécurité de l’ONU en 2003 contre une intervention militaire en Irak fut rapidement oublié. Depuis, le statut de la France dans les sociétés arabes est passée de celui « d’avocat du monde musulman » à celui de « pays islamophobe » [12].

Cette évolution survint bien avant la présidence de François Hollande. Néanmoins, de nombreux facteurs, directement liés ou non à sa politique, continuèrent à alimenter ces critiques envers la France. Ce fut, pêle-mêle, les interventions militaires dans les pays arabes, le recul de l’Élysée sur la reconnaissance de la Palestine, les caricatures répétées du prophète ou la pénalisation du boycott des produits israéliens. Ces événements, bien que disparates, participèrent tous à ce ressentiment des populations civiles arabes envers la France.

Le pays des Lumières, de par ce qu’il représente dans l’imaginaire collectif universel était déjà une cible symbolique de choix pour les mouvements djihadistes. Mais tous ces événements vinrent encore se superposer au mythe de la France des droits de l’homme et facilitèrent ce discours djihadiste hostile à l’hexagone.

C’est justement sur ce point du terrorisme djihadiste que le bilan de François Hollande est peut-être le plus négatif. En effet, les différentes opérations militaires extérieures n’ont jamais été en mesure de stopper les attentats, que ce soit en Afrique du Nord, en Afrique subsaharienne, au Moyen-Orient ou en France. De plus, d’un point de vue national, un lien direct de cause à effet s’instaura insidieusement entre le terrorisme et la population française d’origine arabe. François Hollande fut incapable de restaurer un climat serein autour du sujet de l’identité nationale. Aujourd’hui, au sein de l’arène médiatique et politique, la question de l’islam de France semble être la seule pertinente dans la lutte contre le terrorisme. À l’inverse, les soubassements géopolitiques du terrorisme ont été évincés du débat public et ne semblent plus pouvoir apporter de solution au problème des attentats sur le territoire français.

Il est intéressant de noter ce glissement dans la perception du terrorisme par la société française, et plus particulièrement par sa classe politique. La lutte contre le terrorisme djihadiste fut en premier lieu surtout perçue comme une question de défense et de relation internationales. Pourtant, plus les attentats se multiplièrent et plus cette problématique se déplaça sur le terrain de la sécurité intérieure. Les solutions présentées par la classe politique furent de plus en plus orientées vers des réformes issues de la place Beauvau plutôt que du quai d’Orsay ou de l’hôtel de Brienne. Ce glissement n’est pas anodin. La sécurité à court terme de la population française dépend bien du ministre de l’Intérieur, mais l’éradication du terrorisme djihadiste est d’abord une question de politique étrangère nécessitant du temps. Il est impossible de lutter efficacement le terrorisme sur le territoire français en se focalisant uniquement sur des thématiques nationales. La violence islamiste est avant tout la conséquence des « séismes géopolitiques que représentent la période coloniale et l’ingérence des forces occidentales dans le monde musulman » [13].

En ce sens, il semble que la différenciation des multiples courants islamiques ne fut pas assez pris en considération par l’Etat français. C’est pourtant un facteur de premier ordre dans la lutte contre le terrorisme. Il est indispensable de distinguer les djihadistes à proprement dit, les courants salafistes ou l’islamisme modéré jouant le jeu de la démocratie et de la non-violence.

François Hollande soutint par exemple le parti islamiste modéré Ennhada en Tunisie, mais abandonna les Frères musulmans égyptiens. Il choisit ouvertement le camp du maréchal al-Sissi contre ces derniers pourtant démocratiquement élus. On peut dès lors se demander si ce choix ne fut pas le meilleur moyen d’augmenter le nombre de candidats au djihad en Egypte, alors même que la motivation première de François Hollande était de stabiliser la région contre la menace terroriste. De même, un appui plus prononcé au gouvernement islamiste modéré en Tunisie aurait pu être un message fort pour contrer la propagande djihadiste et le concept de guerre de civilisation.

De la même façon, il semble que le soutien nécessaire de Paris à certains pays arabes empêtrés dans des crises internes graves fut sous-estimé par François Hollande. Ce fut le cas en Tunisie, au Liban ou en Libye, trois pays en situation délicate où l’aide française diplomatique, financière ou technique ne fut pas à la hauteur des enjeux. Il apparaît pourtant évident que l’aggravation de ces multiples foyers de tension dans le monde arabe fait le jeu des groupes terroristes djihadistes.

Il est cependant difficile de critiquer vertement la politique arabe de François Hollande dans un contexte aussi trouble que celui des printemps arabes, de la guerre civile en Syrie et de l’essor de Daech. Dans un environnement aussi instable, il peut paraître difficile d’avoir une vision sur le long terme permettant une politique cohérente.

Néanmoins, comme le précise Didier Billion s’exprimant sur les discours de François Hollande lors des traditionnelles semaines des ambassadeurs, ceux-ci manquent « singulièrement de priorités et [constituent] en réalité plus une suite d’observations et de remarques générales sur l’Etat du monde qu’une véritable feuille de route pour les diplomates français » [14]. Or, la tenue d’une ligne claire et convaincante dans un cadre si instable que le monde arabe d’aujourd’hui est d’autant plus difficile que les choix politiques stratégiques n’ont pas été décidés en amont.

Dans moins d’un an, il est peu probable que le nouveau président ne suive une politique arabe plus lisible. Néanmoins, quel qu’il soit, sa priorité restera la lutte contre le terrorisme djihadiste. Cette dernière pourrait justement être l’occasion d’initier une vraie Politique de sécurité et de défense commune en Europe. Il sera également intéressant de voir si cette lutte contre le terrorisme deviendra un vecteur de collaboration ou une source de tension entre la France et les différents pays arabes.

[1] Dalle Ignace, « Les relations entre la France et le monde arabe », Confluences Méditerranée, 2016/1, n°96.
[2] Chagnollaud Jean-Paul, « Une politique à l’épreuve de ses contradictions », Confluences Méditerranée, 2016/1, n°96, p.9-12.
[3] Revault d’Allonnes David, op.cit., p.128.
[4] Morin Hervé, in La Tribune, « Hervé Morin : « Il faut un plan Marshall pour la Tunisie et le Maghreb ! » », le 11 juillet 2015.
[5] Hollande François, cité in Revault d’Allonnes David, Les guerres du Président, Seuil, Paris, 2015, p. 62.
[6] Boniface Pascal, Conférence d’IRIS Sup’, le 23 novembre 2015.
[7] Hollande François, Discours du président de la République devant le Parlement réuni en Congrès, le 16 novembre 2015.
[8] « Après les attentats à Paris, Sarkozy marque sa différence avec Hollande », in Les Échos, le 15 novembre 2015.
[9] Pinatel Jean-Bernard, in Atlantico, « Les bombardements français en Syrie obtiennent-ils des résultats autres que symboliques ? », le 21 novembre 2015.
[10] Curmi Brigitte, cité in Jauvert Vincent, op.cit., p.289.
[11] Ministère de la Défense, Livre blanc Défense et sécurité nationale – 2013.
[12] Boniface Pascal, « Comment et pourquoi l’image de la France s’est dégradée dans le monde musulman entre 2003 et maintenant ? », Conférence de l’IRIS, le 17 décembre 2015.
[13] Nabli Béligh, Géopolitique de la Méditerranée, Armand Colin, Paris, 2015, p.195.
[14] Billion Didier, « France – Turquie : entre tensions et normalisations… », Confluences Méditerranée, 2016/1, n°96, p.71-83.
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