ANALYSES

CETA / TTIP : même combat ?

Interview
20 octobre 2016
Le point de vue de Sylvie Matelly
En quoi consiste le CETA, ce traité de libre-échange signé entre l’Union européenne et le Canada ? Est-il « progressiste », comme le dit Justin Trudeau, et vertueux pour l’Union européenne ? Pourquoi les Wallons s’opposent-ils au Traité ?

Le CETA fait partie des traités de libre-échange à la mode ces dernières années. Il est proche du TTIP, négocié avec les Etats-Unis. Ces traités ne sont pas nouveaux mais leurs négociations ont été relancées à la suite de la crise de 2008 alors que les pays occidentaux commencent à prendre conscience que le monde a changé. En effet, l’une des conséquences de la crise de 2008, a été de mettre en évidence la montée en puissance d’un certain nombre de pays émergents qui, dans les premiers temps de la crise, continuent à croître voire même développent de nouvelles relations Sud/Sud. La volonté de concrétiser des traités de libre-échange peut alors être interpréter à cette époque comme une démarche défensive : se rapprocher pour se renforcer mutuellement face à d’autres partenaires plus offensifs et disposant d’avantages qui sont devenus inaccessibles (salaires faibles, normes moins contraignantes, etc.).

En cela, en effet, les deux traités CETA et TTIP relèvent de combats similaires et c’est aussi pour ces raisons que les négociateurs des deux côtés de l’Atlantique ont du mal à comprendre les réticences qui entourent les négociations qu’ils mènent. Ils pensent œuvrer pour protéger mais n’ont pas compris que dans la période d’après-crise, le concept même d’un libéralisme porteur de paix et de prospérité ne convainc plus, qu’il est plutôt devenu synonyme dans la perception qu’en a le grand public de spéculation et argent mal gagné pour les uns, et chômage et inégalités pour les autres.

Les points principaux du traité sont-ils similaires à ceux du TTIP, actuellement en négociation entre l’Union européenne et les Etats-Unis ? Pourquoi le TTIP suscite-t-il tant d’oppositions alors que le CETA a tranquillement été négocié ?

La philosophie générale de ces traités est ainsi de faciliter un rapprochement et d’éliminer définitivement toutes les barrières commerciales, tarifaires et non-tarifaires, qui limitent encore nos échanges, afin de compenser les désavantages dont nous souffrons dans nos relations avec les autres régions, notamment la Chine. En effet, les entreprises du Nord partagent certaines contraintes sociales et environnementales auxquelles la Chine et les pays du Sud ne sont pas confrontés. Ces normes pénalisent les entreprises.

Evidemment, les sujets à négocier sont très spécifiques puisque l’essentiel de nos échanges sont déjà peu règlementés après 70 ans de négociations commerciales au sein du GATT puis de l’OMC. Ils portent sur l’ouverture des marchés publics, les normes ou des secteurs spécifiques jusque-là protégés (agriculture et défense par exemple). Ces sujets, s’ils étaient jusque-là restés hors des négociations multilatérales, c’est aussi parce que ce sont des sujets qui fâchent ! Il était donc évident que la tâche pour lever les derniers obstacles au commerce ne serait pas simple.

La grande différence entre les deux négociations TTIP et CETA est probablement que dans le cas du CETA, les parties prenantes sont parvenues à un traité, donc ont réussi à négocier. Cela peut probablement s’expliquer au moins pour partie par la nature des parties prenantes. Le Canada n’est pas les Etats-Unis. Les négociations sur le CETA ont nourri beaucoup moins de soupçons d’asymétrie que les négociations avec le TTIP. L’on reprochait notamment aux Américains de vouloir imposer leurs lois et contraindre les Européens à ouvrir leur marché quand, eux, tiendraient le leur fermé, etc. Les négociations entre le Canada et l’Europe paraissent, en revanche, plus symétriques. De plus, les négociateurs ont probablement profité du remous et de la mobilisation des ONG et de la société civile suscités par le TTIP pour finaliser et signer le traité de libre-échange avec le Canada dans la discrétion et la quasi-indifférence, alors que les négociations sur le TTIP stagnent.

Des traités et des zones de libre-échange fleurissent partout sur la planète (CETA, TPP, ALENA). Est-ce un moyen pour progressivement aboutir sur un monde sans barrières commerciales, tel que le souhaite l’OMC ? Le risque n’est-il pas, au contraire, d’exclure durablement certains pays des échanges commerciaux ?

Le libre-échange n’a jamais soulevé une unanimité. Il modifie les rapports de force et même s’il crée des opportunités pour certains, il détruit et pénalise d’autres. Déjà en 1805, le grand économiste anglais, pourtant libéral qu’est David Ricardo s’était opposé à l’ouverture des marchés du blé au Royaume-Uni au prétexte que cela allait ruiner les paysans anglais (et par là même les aristocrates alors propriétaires terriens !). Il élaborera par la suite sa théorie des avantages comparatifs (1815) où il expliquera qu’in fine, les gains du libre-échange sont plus importants que les pertes. Les faits sont là toutefois, il y a des perdants et ces perdants sont rarement pris en compte et accompagnés, l’idée étant qu’eux aussi sauront saisir les opportunités et/ou profiteront du bénéfice global d’une manière ou d’une autre !

En 1947, le GATT formalisait le fait que les négociations sur le libre commerce devaient être multilatérales pour être équitable et la nouveauté, de ces accords est de sortir de ce cadre et d’être négociés en dehors de l’OMC. Ils résultent du constat d’un certain échec des négociations multilatérales. Mais les difficultés de l’OMC sont aussi un signe de remise en cause vis-à-vis du libre-échange et de mondialisation. Cette défiance vis-à-vis de la mondialisation a vu le jour en 1999, par le biais de la société civile et des ONG qui organisèrent, en marge de la conférence de Seattle, le premier mouvement de protestation contre l’OMC. Les manifestants revendiquaient une réflexion nouvelle sur le libre-échange et la mondialisation. Il aurait fallu accepter cette idée pour anticiper les difficultés que rencontrent le TTIP ou le CETA. Nous sommes, aujourd’hui, dans un contexte de remise en cause profonde du système économique international. Les détracteurs du libre-échange revendiquent un libre-échange au service de l’amélioration du quotidien des êtres humains et des conditions sociales et environnementales. Les traités de libre-échange négociés en petit comité peinent à répondre à ces exigences parce qu’ils manquent d’originalité et ne se sont pas adaptés au contexte. Le plus inquiétant est que cela commence à peser sur les échanges mondiaux qui ont pourtant incontestablement été sources de progrès économique et social partout dans le monde. On constate en effet, depuis deux ou trois ans, un ralentissement de leur croissance. L’on ne peut affirmer, aujourd’hui, que le commerce mondial ne soit plus à la mode, mais que la manière dont il a été conçu, au sortir de la fin de la Seconde Guerre mondiale et plus particulièrement, au début des années 1990, est remis en cause. Il faut alors le repenser. Pourquoi ni le TTIP, ni le CETA n’ont mis au cœur de leurs négociations des dimensions pourtant essentielles comme le changement climatique, le modèle social, les questions agricoles ou énergétiques, etc. ? Ces dossiers échoppent sur des points de vue trop différents entre les pays du Nord et du Sud. Ils auraient pu avancer dans le cadre de comités plus restreints comme les négociations de ces traités !
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