31.10.2024
Veut-on vraiment s’attaquer aux finances de l’Etat islamique ?
Interview
19 novembre 2015
On estime que les ressources de l’Etat islamique représentent plus de 2 milliards de dollars de revenus par an. Le pétrole constitue la ressource principale du groupe, chiffrée à plusieurs centaines de millions de dollars. Celui-ci est vendu bradé, autour de 20 à 30 dollars le baril au lieu de 45 ou 50 dollars normalement. Les réserves de l’Etat islamique en pétrole sont estimées à environ 2000 milliards de dollars, revenu qui s’inscrit dans le long terme. L’esclavage est également une ressource, à travers la vente de femmes et d’enfants. Il y a par ailleurs des enlèvements avec rançons, en interne ou de ressortissants étrangers, parfois médiatisés. L’Etat islamique se finance par ailleurs par le biais de taxes locales, notamment de prélèvements sur les revenus des fonctionnaires irakiens et syriens. Ensuite, il y a le pillage d’œuvres antiques du patrimoine syrien et irakien, sans oublier qu’il existe un certain nombre d’acheteurs à l’étranger. Enfin, l’Etat islamique s’est approprié l’argent des banques situées sur son territoire. Ces différentes ressources sont toutes susceptibles de durer dans le temps. Le fait qu’elles soient nombreuses, abondantes et pérennes constitue un premier problème.
Le deuxième est de savoir comment l’argent arrive. Concernant le pétrole, il y a nécessairement des acheteurs, intérieurs mais aussi extérieurs, ce qui est problématique. Il s’agit de savoir qui achète et comment l’argent circule. Les ressources sont identifiées, mais le souci réside dans le circuit financier et dans la nationalité ou la provenance des acheteurs. La Turquie serait essentiellement complice de ces achats. Quant aux ressources de mécènes, elles viennent directement de l’extérieur soit par le biais d’Etats complaisants ou amis, soit par des membres de l’organisation se trouvant à l’extérieur.
Le 16 novembre dernier, dans son communiqué spécial sur la lutte contre le terrorisme, le G20 a appelé ses membres à « renforcer le combat contre le financement du terrorisme ». Au-delà des postures, existe-t-il une volonté politique commune ? Est-ce réalisable alors que plusieurs Etats sont accusés de coopérer avec Daech ?
Tout le problème est là. L’Arabie Saoudite s’est associée à cette volonté alors que ce pays est justement soupçonné, avec le Qatar, de financer indirectement le terrorisme. Cet appel du G20 va à mon sens au-delà de la posture mais l’on est encore très loin d’une action véritable car il faudrait une action concertée de tous et pas seulement des pays du G20. Lorsque des Etats ne jouent pas le jeu, il est très compliqué d’éradiquer le phénomène. Les Américains commencent à travailler sur cette question, notamment à travers le FBI ou des services spécialisés. Nous sommes encore loin d’une action concrète.
Il est également très difficile d’agir réellement lorsque les circuits, notamment de blanchiment ou de flux financiers, sont complexes. On peut imaginer que certains anciens proches de Saddam Hussein ou du pouvoir syrien, qui maitrisent cet aspect, mettent en place des circuits complexes de transfert d’argent et de blanchiment. On rencontre ainsi le même problème avec l’Etat islamique qu’avec des organisations mafieuses qui utilisent des circuits de blanchiment internationaux. Dans les faits, il y a des outils modernes comme passer par le darknet, notamment pour les achats et paiements, l’utilisation de bitcoin, le financement par crowdfunding qui permet de financer dans certains pays a priori propres des projets d’associations humanitaires mais qui en dernière instance permet de financer des projets terroristes ou directement l’Etat islamique.
Comment gagner le difficile combat contre l’argent de l’Etat islamique ? Quels sont les outils qui pourraient être mis en œuvre ?
Les outils sont exactement les mêmes que ceux utilisés contre le blanchiment ou la fraude fiscale.
Le premier outil nécessaire serait de supprimer tous les territoires opaques, c’est-à-dire là où l’opacité bancaire est totale. Les flux financiers peuvent s’y exercer sans aucun problème, sans se soucier de leur provenance et de leur motif. Il faut supprimer les paradis fiscaux du point de vue, non pas fiscal, mais bancaire. Cela passe par la suppression du secret bancaire total de certains territoires. A partir du moment où l’on arrive à tracer les flux financiers, cela permet de régler certaines choses.
Ensuite, il faut faire pression sur les Etats complaisants ou complices comme la Turquie qui achète le pétrole, mais également le Qatar et l’Arabie Saoudite qui sont soupçonnés de financer plus ou moins directement l’Etat islamique.
Il faut par ailleurs mettre en place sur le plan mondial toutes les procédures d’échanges d’informations bancaires que les Etats-Unis ont mis en place pour leur propre compte mais qui, pour l’instant, ne sont pas partagées par de nombreux pays. Tout le dispositif en matière de lutte contre la fraude fiscale pourrait très bien être développé pour lutter contre le financement du terrorisme et ses flux financiers. Il faut pouvoir bloquer à la source les ressources mêmes de l’Etat islamique.
Il ne faut bien entendu pas oublier d’accompagner cette lutte sur le plan financier par ce qui se passe actuellement, c’est-à-dire des actions militaires, policières et judiciaires. L’un ne va pas sans l’autre. Il s’agit d’un ensemble de mesures cohérent. Il faut casser les ressources, incendier les puits de pétrole, détruire les camions citernes qui s’y approvisionnent. Il faut lutter contre les acheteurs d’œuvres antiques. La France a proposé un système de droit d’asile de ces œuvres pour éviter qu’il y ait des transactions et de la spéculation.
Il est important de penser aux ressources mêmes avant de penser aux circuits financiers et à l’argent.