ANALYSES

« La Chine, une transition sans réel changement »

Presse
11 avril 2012
Interview de [Fabienne Clérot->http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=clerot], chercheure à l’IRIS, par Sybille De Larocque
Le Premier ministre Wen Jiabao a récemment prononcé un discours dans lequel il annonçait le projet de casser le monopole des grandes banques chinoises afin de permettre un meilleur financement des petites entreprises. Pensez-vous que cette annonce est le signe d’une volonté d’ouverture de la Chine ?

Cette annonce n’est pas une surprise. Le projet de la Chine pour la libéralisation de ses banques était préconisé dans le rapport China 2030 de la Banque mondiale. Mais derrière ce projet, il y a surtout la volonté du gouvernement chinois, comme il le fait souvent, de vouloir mettre en concurrence ses propres entreprises pour plus de rentabilité, ce n’est donc pas un signe majeur d’ouverture.


La vie politique chinoise va connaître certaines échéances importantes dans les mois à venir. Quelles sont les principales étapes de ce changement ?

Il y a deux principales échéances. La première interviendra à la fin de l’année lors du 18ème Congrès du Parti communiste. À cette occasion, la quasi-totalité des membres du Conseil permanent du Politburo seront renouvelés car ils ont atteint la limite d’âge autorisée. Mis à part le futur président, Xi Jinping et le futur Premier ministre, Li Keqiang, tous cèderont leur siège. Il y a donc sept places à prendre. Cette succession est pleine d’enjeux et crée de nombreuses rivalités intestines. Car le Parti communiste chinois n’est pas un bloc monolithique. Il est constitué de 80 millions de membres et toutes les tendances y sont représentées. Il y a une gauche, une droite et un centre. Bien qu’il n’y ait qu’un seul et unique parti, il génère les conflits politiques de plusieurs formations.


La deuxième échéance est programmée pour mai 2013. Il y a un an, des doutes subsistaient encore mais aujourd’hui, nous en sommes sûrs à 99%, l’actuel vice-président Xi Jinping sera officiellement nommé à la tête de l’État. Pour le seconder, Li Keqiang sera également investi Premier ministre. C’est une des particularités chinoises, les gouvernants ne sortent jamais de nulle part, ils sont choisis par cooptation.


Pensez-vous que ces nombreux changements puissent inspirer un esprit jeune et ouvert à la Chine ?

Même s’il y a un changement de génération, si certains des futurs dirigeants sont nés après la révolution culturelle, la Chine reste sur les mêmes rails. L’état d’esprit n’est peut-être pas le même, mais la ligne directrice reste inchangée. Tous les hommes de cette nouvelle génération ont été choisis par les anciens. Si quelques signes d’ouverture sont perceptibles, ils sont stratégiques et ne sont engagés que dans l’intérêt de la Chine et absolument pas dans un esprit d’acceptation des « valeurs occidentales ».


La visite de Xi Jinping aux États-Unis a été interprétée par certains comme un signe d’ouverture mais il ne faut pas se méprendre : l’emballage est plus moderne, mais le fond ne change pas. C’est une main de fer dans un gant de velours. Les Chinois s’aperçoivent que leur réputation était mauvaise et ils savent qu’ils ont besoin d’être appréciés du monde. Tout est calculé.


La croissance chinoise ralentit. Est-ce le signe des premières faiblesses de cet empire économique ?

Oui et non. Oui car la décroissance chinoise est intimement liée à notre propre ralentissement économique. Non car si la croissance est moindre, les prévisions sont tout de même à 7,5% pour l’année 2012. Cette décroissance était anticipée et la Chine a tout fait pour que l’atterrissage ne soit pas brutal. Elle était calculée par les dirigeants depuis longtemps. Désormais, ils n’hésitent pas à prôner une croissance plus équilibrée qui prendra en compte la réduction des inégalités sociales dans le pays, l’écologie etc.


Il est normal que cette croissance ralentisse, un pays ne peut pas, pendant plus de 20 ans, tenir une croissance à plus de 10%. La Chine emprunte aujourd’hui un virage entre deux modèles économiques.


Quelle place est en train de prendre la Chine sur l’échiquier mondial ?

La Chine a beaucoup profité de la crise car elle a bien résisté. Tout le monde pensait que son économie allait s’effondrer, mais non, elle est toujours là. Aujourd’hui, elle se présente comme un recours pour des économies en péril à l’instar de la Grèce, en étant capable de racheter des actifs.


Si la Chine n’a plus rien à prouver en termes d’économie, ne pourrait-elle pas devenir plus ambitieuse en termes de géopolitique ?

Ce n’est pas nouveau, la Chine a des prétentions géopolitiques. Depuis plusieurs années, sous couvert d’harmonie et de pacifisme, la Chine modernise son armée, à pas de géant.


Devant la communauté internationale, les dirigeants chinois affirment qu’il ne s’agit que d’un phénomène de rattrapage. Selon eux, cette modernisation ne sert qu’à placer l’Armée populaire de Chine au niveau des autres grandes puissances mondiales. Mais derrière ces arguments pacifiques, la Chine défend des revendications territoriales, en Mer de Chine orientale et méridionale. La force militaire est l’un des axes importants d’une superpuissance. Si la Chine ne vise pas, pour le moment, un leadership mondial, elle cherche bien entendu à s’assurer une place prédominante en Asie.

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