ANALYSES

Les troupes françaises se retirent d’Afghanistan : quel avenir pour le pays ?

Presse
4 décembre 2012
Jean-Vincent Brisset - Atlantico

Les forces combattantes de l’Armée française quittent peu à peu le sol afghan pour un retrait effectif et total à l’horizon 2014. La question de la transition des missions de sécurité aux forces afghanes soulève néanmoins des interrogations.


Les troupes combattantes françaises auront définitivement quitté le sol afghan d’ici la fin 2013. La situation sur place justifie-t-elle ce départ ?

Ce départ n’est pas justifié par la modification de la situation sur place, mais par des raisons de politique intérieure et de respect des promesses électorales du Président élu. La situation sur place n’est pas encore stabilisée, mais elle semble toutefois être en voie d’amélioration. Le transfert aux forces afghanes des responsabilités opérationnelles dans une zone précédemment tenue par les troupes françaises a pu être effectué dans d’assez bonnes conditions. Il est toujours possible de regretter que le départ ait été avancé, dans la mesure ou chaque jour qui passait servait le renforcement des capacités afghanes. La question de la protection individuelle des afghans, civils ou militaires, qui se sont "compromis" avec les français se pose aussi. Il ne faudrait pas que ces personnes connaissent un sort identique à celui des harkis. Par ailleurs, le départ des moyens français oblige les autres membres de l’ISAF à prendre en charge une partie des missions qu’ils assuraient.


Malgré un certain ras-le-bol populaire, les Talibans voient leurs influence croître à nouveau depuis quelques années dans la région. Peut-on dire malgré tout que la société afghane a évolué de manière significative depuis le départ des Talibans ?

Je ne suis pas sûr que l’influence des Talibans soit en croissance. Dans les faits, depuis une année, on constate que les opérations de combat menées par les talibans se sont raréfiées, et qu’elles ont été remplacées par des attentats suicide ou des opérations "kamikaze". On note aussi que, de plus en plus, la lutte directe contre les groupes talibans est assurée par des forces afghanes.


L’Afghanistan n’est pas encore un État-Nation, et n’a pas d’unité historique. Il y a quelques décennies, Kaboul n’était qu’un pouvoir central très vague autour duquel se rassemblaient les chefs des clans et qui avait davantage un rôle de médiateur qu’un rôle de gouvernement. Les choses ont évolué, mais elles ne l’ont pas fait de la même manière partout dans le pays et on ne peut toujours pas parler de "société" afghane comme d’une entité.


Les différences sont même encore plus fortes que par le passé, entre les villageois figés dans les organisations paysannes traditionnelles et des urbains en contact avec le modernisme -souvent déstabilisateur- apporté par des années de présence occidentale. Le rôle de la drogue, dont la culture et le trafic font encore vivre une bonne partie de la population est aussi très important. Les traditions de népotisme demeurent vivaces. Dans ces conditions, une démocratie "à l’occidentale", ne peut pas se mettre en place. Ce modèle est même irréaliste et ce n’est pas ce qui permettrait de ramener la paix et la stabilité dans le pays. Mais, à côté de ces structures trop artificielles et inadaptées, les apports en termes d’éducation, de santé et d’infrastructure sont les clés d’un meilleur avenir.


Les opérations militaires seront déléguées à partir de 2014 aux armées afghanes et pakistanaises. Le défi qui attend les forces de sécurité locales est-il relevable ?

Le défi qui attend les forces afghanes et pakistanaises est très difficile à relever, mais ce n’est pas impossible. Les forces afghanes continueront de bénéficier, sans doute pendant plusieurs années, de soutiens divers : finances, matériels, instruction, logistique.. Et, là aussi, chaque jour qui passe renforce leur implication. Par ailleurs, l’élévation du niveau de vie de la population et les efforts faits dans l’éducation rendront progressivement plus insupportable l’obscurantisme taliban.


L’implication des forces pakistanaises est aussi très différente de ce qu’elle était il y a encore trois ans. L’Armée pakistanaise a longtemps toléré l’existence d’une zone de non droit -les "zones tribales"- le long de la frontière afghane, qui servait à la fois de base arrière (logistique et repos des combattants), de refuge aux talibans et de camp d’entraînement pour les combattants étrangers. Cette zone n’est plus sanctuarisée, et les talibans n’y sont plus en sécurité. Une telle perte devrait leur causer de vrais problèmes, surtout sur le long terme.

Sur la même thématique
Quel avenir pour Taiwan ?