ANALYSES

La curieuse propagande nord-coréenne par les images

Tribune
15 avril 2013
Par Florent Barnades, Diplômé d’IRIS Sup, ancien assistant de recherche à l’IRIS

Crédits photos : KNCA /nknews.org

La première a été diffusée par KCNA le 26 mars et distribué par l’AFP le même jour. Or après analyse du cliché par le logiciel de recherche de retouches numériques Tungstène , il est apparu que trois aéroglisseurs ont été rajoutés par copier-coller(1). Toutes les images provenant de KNCA sont analysées par les grandes agences de presse. Certains montages sont flagrants et les images ne sont pas diffusées. Or pour cette image, un soin particulier a été apporté au camouflage du trucage. Faire croire à l’ennemi que ses forces sont plus nombreuses qu’elles ne le sont est un artifice vieux comme la guerre. Cependant, aujourd’hui, il est difficile de tromper l’adversaire surtout lorsqu’il s’agit de la première puissance militaire mondiale qui possède des capacités de renseignements à l’égal de sa force. L’armée irakienne lors de la première guerre du Guerre du Golfe avait réussi à tromper les forces aériennes alliées avec des copies de char en bois. Depuis, les capacités optiques et analytiques ont considérablement progressé. Ce montage aussi soigné soit-il ne risquait donc pas de tromper les services de renseignements américains ou sud-coréens.

Les deux autres images ont été diffusées le 29 mars. Elle participe de cette même tentative de tromper l’ennemi. Elle représente Kim Jong Un signant des ordres dans un bureau. Dans son dos une carte est étalée sur le mur.


Crédits photos : KNCA /nknews.org

Mises côte-à-côte on peut obtenir une image quasi complète de la carte qui représente le Pacifique de l’Asie jusqu’aux Etats-Unis. Une inscription mentionne : « Plan de frappe sur le continent américain ». Des trajectoires de missile se dirigent vers Hawaï, Austin au Texas, San Francisco et Washington. Une autre inscription derrière le grand leader détaille les forces d’invasion contre le Sud : « Sous-marins : 40, navires de débarquement : 13, dragueur de mines : 6 ».Ces images destinées à tromper l’ennemi sont aussi crédibles que les aéroglisseurs fantômes. La Corée du Nord bien que disposant de missile à longue portée a démontré à plusieurs reprises que ses experts militaires ne maîtrisaient pas encore totalement cette technologie. Malgré la réussite du dernier essai de tir en décembre 2012 qui a mis un satellite en orbite (sans que celui-ci ne fonctionne), la Corée du Nord semble bien loin de pouvoir atteindre Hawaï ou le continent américain.

On peut alors s’interroger : pourquoi cette surenchère alors que les dirigeants et les armées des pays visés connaissent la réalité des forces en présence ? Les populations des pays occidentaux sont à même de s’informer ou d’être informées par les médias des incongruités de la propagande militariste nord-coréenne. Cette démonstration par l’image décrédibilise le régime de Pyongyang plus qu’elle ne provoque la peur. Il faut donc prendre en compte l’autre aspect de la propagande à savoir un message envers la population nord-coréenne. L’accession au pouvoir de Kim Jong Un n’a pas été, semble-t-il, sans remous au sein du parti et de l’armée. La tension actuelle a été déclenchée par des exercices annuels coordonnés entre la Corée du Sud et les Etats-Unis. C’est la première crise grave qu’affronte ce jeune homme de trente ans. Il s’agit pour lui d’en profiter pour donner des preuves aux partisans de la ligne dure du régime (qui appartiennent à la génération de son père) et dans un deuxième temps de négocier avec les Etats-Unis et/ou la Chine en position de force ou du moins en ayant quelque chose à proposer. Cette alternance de tension et de détente a été employée à de nombreuses reprises par Kim Jong Il. Il semble que son fils ait retenu cette leçon politique. Il faut donc s’attendre à une désescalade de tension dans les semaines à venir, sans doute après le 15 avril date anniversaire de naissance de Kim Il Song, fondateur de la Corée du Nord et grand père de l’actuel leader.

La force de l’image se retourne, dans ce cas, contre celui qui voulait l’exploiter du moins du côté de l’adversaire. Elle ne fera que conforter les habitants nord-coréens, victimes fanatisées du régime, de la toute-puissance de son armée et des capacités de son jeune leader.

(1) Tous les détails sur le blog Making of de l’AFP
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