ANALYSES

Afghanistan : en vue de négociations, les Talibans obtiennent une reconnaissance internationale

Tribune
12 janvier 2012
Le 3 janvier cependant, un communiqué officiel des Taliban, publié sur leur site la « Voix du jihad », annonce l’ouverture prochaine d’une représentation politique du Mouvement au Qatar. L’avenir dira si cet événement aura été un tournant dans la guerre en Afghanistan mais nous pouvons d’ores et déjà souligner qu’il s’agit d’un événement politique important. Considérés jusqu’à alors comme des terroristes contre lesquels 130 000 soldats de l’OTAN sont mobilisés dans une guerre longue, meurtrière et coûteuse, les Taliban apparaissent désormais comme les protagonistes avec lesquels la coalition menée par les Etats-Unis souhaitent négocier.

Une lecture attentive de ce communiqué révèle qu’il existait, comme nous l’avons souligné à plusieurs reprises ici, des contacts entre les Talibans et les Etats-Unis et leurs principaux alliés, depuis le début de l’année dernière. Le président afghan Hamid Karzaï se plaignait depuis plusieurs années de l’absence d’une «adresse» pour contacter les chefs des Taliban. Prospectant en-dehors de l’Afghanistan et du Pakistan, le président afghan et les Américains avaient une préférence pour la Turquie, très active depuis quelques années dans le dossier afghan ; ou l’Arabie saoudite, soutien traditionnel aux Taliban. Or, ces derniers ont démontré leur habilité politique en jugeant que le Qatar, riche émirat, par ailleurs siège d’Al Jazeera, qui s’est illustré ces dernières années par son savoir faire dans les médiations politiques délicates, leur convient davantage. Avant même l’annonce des Talibans, Hamid Karzaï, mis à l’écart de la décision par les Etats-Unis et le Qatar, a violement protesté contre ce choix et a rappelé son ambassadeur au Qatar pour consultation, avant de céder. Cela constitue donc une première victoire pour les Talibans.

Second élément du communiqué des Talibans : contrairement à son intitulé ( « le communiqué du Mouvement islamique des Talibans au sujet de négociations » ), il ne parle pas de négociations avec les Etats-Unis ou avec le gouvernement de Kaboul, même s’il évoque l’accord initial avec le « Qatar et les pays concernés » pour l’ouverture de sa représentation. Par contre, le communiqué est clair sur un point : « parallèlement à (leur) présence puissante à l’intérieur », en acceptant d’ouvrir ce bureau ils cherchent à améliorer « la compréhension » de leur mouvement par « d’autres nations » dans le monde. Ce qui impose le choix du pays où se trouve le siège d’Al Jazeera. D’ailleurs, le communiqué se termine pour dire « une certaine presse et des responsables occidentaux diffusent des informations diverses dans le but de créer une certaine inquiétude par rapport aux négociations, lesquelles n’ont aucune réalité et que le Mouvement islamique d’Afghanistan réfutent » .

S’il est prématuré de dire si les Talibans ont renoncé à leur principale exigence : « pas de négociations avec le gouvernement de Kaboul avant le retrait préalable des forces étrangères d’Afghanistan », le communiqué fournit un premier élément de réponse qui marque un affaiblissement de l’intransigeance initiale. Il n’y fait plus mention du « gouvernement fantoche » de Hamid Karzaï. Toutes les problématiques de la division interne afghane sont résumées en une phrase suffisamment vague pour inclure implicitement le gouvernement de Kaboul : « les Afghans doivent pouvoir eux-mêmes instaurer un gouvernement islamique » .

Tout laisse entendre que les Taliban ont pris acte du calendrier du retrait des troupes de l’OTAN, qui en principe s’achèverait d’ici fin 2014. Une course contre la montre est actuellement engagée en Afghanistan sur le plan politique et chacun se prépare dans la perspective de l’après 2014. L’autre faction des insurgés, le Hezbé islami de Gulbuddin Hekmatyar, le rival des Taliban très engagé dans la guerre contre les troupes étrangères – notamment contre les soldats français, car actifs dans les provinces de l’est, notamment dans la province de Kapisa – a d’ores et déjà commencé à négocier directement avec Kaboul. Le Hézbé islami, qui a accepté de négocier aussi bien avec Kaboul qu’avec les Etats-Unis sans demander le retrait préalable des troupes de l’OTAN et qui, sur le plan politique, propose la mise en place d’un gouvernement technique pour la durée du rapatriement des soldats étrangers et pour préparer des élections générales auxquelles le gouvernement de Kaboul pourrait participer, a pris une longueur d’avance sur les Taliban. Ces derniers ont refusé cela jusqu’à aujourd’hui. De son côté, Hamid Karzaï ne désespère pas d’amener les Taliban également à la table de négociations. Sachant que la force la plus puissante de l’insurrection est constituée des Taliban, il souhaite se renforcer et préparer un certain équilibre des forces sur le terrain en négociant avec Hézbé islami.

Face aux manoeuvres du président afghan, l’opposition, constituée en partie d’anciens seigneurs de guerre tadjiks, hazâras et ouzbeks et en partie d’anciens ministres de Hamid Karzaï, s’organise et veut peser sur les négociations. Opposée aux négociations avec les Taliban, elle mobilise la société civile et ravive les sentiments de peur et de crainte existant chez les populations tadjike, hazâra et ouzbèke, victimes des exactions (allant parfois jusqu’à des massacres) des Taliban entre 1996 et 2001. Vis-à-vis des Taliban et des négociations, l’opposition défend une ligne intransigeante bâtie sur « les acquis démocratiques ». Elle veut participer en tant que telle aux éventuelles négociations.

Les Taliban, même après l’infléchissement de leur position qui ressort de leur communiqué, ne souhaite, pour l’instant, négocier qu’avec les Etats-Unis, le véritable pouvoir en Afghanistan selon eux. Si le retrait préalable des troupes étrangères, semble-t-il, n’est plus exigé, les Taliban réclament la libération de plusieurs de leurs anciens responsables et ministres, toujours prisonniers à Guantanamo. Un débat est lancé aux Etats-Unis sur l’opportunité de la libération des personnes dont certaines, comme le mollah Fazl, ancien commandant militaire du régime des Taliban est considéré comme un criminel de guerre responsable de la mort de plusieurs milliers de chiites hazâras.

On entend actuellement en Afghanistan beaucoup de gens qui expriment un sentiment très répandu parmi la population : dix ans de guerre et on retourne au point de départ.
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