ANALYSES

Iran-Pakistan : un incident clos ?

Interview
25 janvier 2024
Le point de vue de Thierry Coville


Le 18 janvier, le Pakistan a mené des frappes sur le territoire iranien en réponse aux attaques iraniennes du 16 janvier sur les bases du groupe terroriste Jaish Al-Adl à Pangjur au Pakistan. Dans quel contexte s’inscrivent ces attaques ? Alors que la frappe iranienne s’inscrit dans une série d’attaques menées par la République islamique d’Iran au Moyen-Orient, quelle stratégie le pays poursuit-il dans la région ? Comment les tensions ont-elles été désamorcées par la voie diplomatique et comment la relation entre l’Iran et le Pakistan est-elle susceptible d’évoluer ? Le point avec Thierry Coville, chercheur à l’IRIS, spécialiste de l’Iran.

Alors que ces deux pays entretenaient des relations étroites, dans quel contexte s’inscrivent ces attaques ?

Cet échange de missiles entre l’Iran et le Pakistan a surpris tous les observateurs parce qu’il s’agit de deux pays musulmans qui depuis la Révolution iranienne ont de bonnes relations, avec des visites bilatérales régulières entre les dirigeants des deux pays. Mais il y avait déjà depuis longtemps des tensions, Islamabad et Téhéran s’accusant de ne pas en faire assez par rapport aux groupes autonomistes baloutches, qui sont présents dans les deux pays.

Il convient de replacer les événements dans leur contexte. Il y a quelques semaines, une attaque du groupe terroriste Jaish Al-Adl a été lancée contre un poste de police dans la province du Sistan-Baloutchistan faisant 11 morts. L’Iran a réagi en envoyant un missile, alors même que quelques heures avant, le ministre des Affaires étrangères iranien rencontrait son homologue pakistanais à Davos. Il faut également prêter attention au contexte régional et national de l’Iran. Il y a eu en très peu de temps cette attaque du groupe Jaish Al-Adl, mais aussi une attaque israélienne, qui a tué en Syrie un commandant Pasdaran de haut niveau jouant un rôle très important dans la politique régionale de l’Iran. À ces événements s’ajoute un attentat à Kerman qui a été revendiqué par l’État islamique et qui a tué au moins 90 personnes, même si les « durs » en Iran ont accusé Israël et les États-Unis d’être derrière cet attentat. En réaction, l’Iran a donc lancé une frappe contre le Pakistan, des missiles en Syrie contre des bases de l’État islamique et au Kurdistan contre ce que les Iraniens ont dit être un centre des services secrets israéliens. Téhéran a ainsi affiché sa volonté d’envoyer un message à ses ennemis actuels et potentiels dans la région pour signifier qu’elle détenait un moyen de réponse, notamment par l’intermédiaire de ses missiles. Par ailleurs, l’Iran traversant une crise politique intérieure depuis la fin 2022, les dirigeants iraniens ont souhaité montrer à la population iranienne que le pays avait la capacité de faire face à ces attentats terroristes.

Avec cette série de frappes iraniennes au Pakistan, en Irak, en Syrie et au Kurdistan, quelle stratégie la République islamique d’Iran poursuit-elle dans la région ?

La stratégie de la République islamique d’Iran dans la région n’a pas changé, même si les tenions dans la région sont montées avec l’éclatement de la guerre entre le Hamas et Israël : elle consiste à soutenir l’« axe de résistance » contre Israël. Contrairement à ce qui a pu être dit, il est peu probable que ces attaques changent cette politique. En revanche, alors que Téhéran avait pour habitude d’agir indirectement par l’intermédiaire de ses alliés, l’Iran s’est retrouvé en première ligne avec ces frappes balistiques, en Irak contre ce centre que Téhéran a déclaré utilisé par le Mossad, en Syrie contre des bases de l’État islamique et au Pakistan contre des membres de Jaish Al-Adl.

Si la stratégie de l’Iran de soutenir l’« axe de résistance » n’a pas changé, des critiques émergent à l’intérieur de l’Iran par rapport à ces frappes, notamment celles au Pakistan. Ces critiques dénoncent une surréaction de l’Iran à l’égard d’un « pays ami ».  Il est vrai que cette attaque de l’Iran contre le Pakistan a été une surprise mais elle peut s’expliquer notamment par le contexte politique en Iran. L’attentat perpétré à Kerman en janvier 2024 a été l’attentat terroriste le plus grave enregistré en Iran depuis la Révolution islamique, conduisant, comme pour n’importe quel pays devant faire face à un tel évènement, à un véritable traumatisme pour les Iraniens. Ainsi, il y avait sans doute un souci de la part du gouvernement de rassurer la population iranienne après toutes ces attaques sur la capacité de réaction et de protection du pays. En effet, le gouvernement iranien, déjà largement contesté depuis la crise politique de 2022, risquait de perdre encore de sa légitimité, s’il n’arrivait plus à assurer la sécurité de sa population.

Par conséquent, si l’on a assisté à une rupture par rapport à la politique étrangère iranienne de bonnes relations avec le Pakistan, la politique de soutien de l’Iran à l’ « axe de résistance », tout en évitant de tomber dans un conflit ouvert avec Israël ou les États-Unis, reste valable.

Appels à la désescalade d’Ankara et Riyad, incitation à la retenue de la part de Washington et des Nations unies, ou encore proposition de médiation chinoise… l’Iran et le Pakistan semblent désormais s’orienter vers une sortie de crise diplomatique, enrayant en partie la crainte d’une escalade du conflit dans la région. Comment les tensions ont-elles été désamorcées et comment la relation entre l’Iran et le Pakistan est-elle susceptible d’évoluer ?

Dès le début, les deux pays ne souhaitaient pas vraiment que cette crise, tout de même surprenante, prenne de trop grosses proportions. La déclaration du ministre des Affaires étrangères iranien juste après cette attaque iranienne montrait déjà la volonté de l’Iran d’éviter que la situation s’envenime. Il a précisé que l’Iran ne visait que des bases du groupe Jaish Al-Adl et qu’il ne s’agissait pas d’une attaque contre l’intégrité territoriale du Pakistan (alors que c’était manifestement le cas…). On voit très bien également qu’Islamabad a répondu en attaquant des bases de groupes baloutches, ennemis du Pakistan, basés en Iran. Il y avait donc une sorte de symétrie dans la réponse du Pakistan, preuve que le pays ne souhaitait pas non plus que cette crise prenne de plus grandes proportions, d’autant plus que le pays est à la veille d’élections législatives. Ce qui aurait été vraiment surprenant c’est que cette crise s’aggrave.

L’incident est donc clos, même si la question de l’activité des groupes baloutches reste posée. Il ne s’agit pas d’un problème nouveau, notamment du côté iranien puisque cela fait longtemps que les autorités iraniennes se plaignent auprès des autorités pakistanaises du fait que des groupes baloutches venant commettre des attentats en Iran possèdent des bases de repli au Pakistan.
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