ANALYSES

Pakistan : un pays enlisé dans une instabilité politique et sécuritaire ?

Interview
25 octobre 2023
Le point de vue de Karim Pakzad


Alors que les élections législatives se tiendront en janvier 2024, le Pakistan s’inscrit dans un contexte d’instabilité politique, économique et sécuritaire. Comment la situation politique est-elle susceptible d’évoluer ? Dans quel contexte socio-économique s’inscrivent les élections à venir ? Comment le Pakistan s’intègre-t-il aujourd’hui dans son environnement régional ? Qu’en est-il de ses relations avec ses voisins indiens et afghans ? Le point de vue de Karim Pakzad, chercheur associé à l’IRIS, spécialiste du Pakistan, de l’Afghanistan, de l’Iran et de l’Irak.

 

Incarcéré depuis août dernier pour corruption, l’ancien Premier ministre Imran Khan a été inculpé ce lundi pour divulgation de documents classifiés. Un nouveau scandale qui remue le paysage politique alors que le Pakistan est actuellement dirigé par le gouvernement intermédiaire d’Anwar-ul-Haq Kakara. Parallèlement, l’ancien Premier ministre Nawaz Sharif (2013-2017) est rentré au Pakistan après quatre ans d’exil à Londres. Qu’en est-il de la situation politique au Pakistan ?

Le Pakistan, coutumier d’instabilités politiques, est néanmoins doté, comme son frère ennemi indien sous influence de la puissance coloniale, des institutions d’une démocratie libérale. Cependant, les militaires occupent désormais une place prépondérante dans la vie politique et les institutions étatiques, dans un contexte où le Pakistan, plus faible politiquement et économiquement, moins préparé culturellement, divisé géographiquement (plusieurs milliers de km séparaient le Pakistan occidental du Pakistan oriental, devenu Bangladesh en 1971), est immédiatement entré en guerre après sa création sur la question du Cachemire.

En 1971, le propriétaire terrien Zulfikar Ali Bhutto fonde le Parti du peuple du Pakistan (PPP), d’inspiration social-démocrate. Deux ans plus tard, le parti gagne les élections législatives et instaure un gouvernement de réforme. En 1977, il est renversé par un coup d’État militaire mené par le général Muhammad Zia ul Haq, qui établit un gouvernement dictatorial et islamiste et fait pendre Zulfikar Ali Bhutto. En 1988, à la mort du dictateur, des élections générales sont organisées et la fille du Premier ministre, Benazir Bhutto gagne le scrutin. Elle sera à son tour assassiné dans un attentat suicide non éclairci en 2007. Depuis aucun gouvernement élu – à savoir ceux de Benazir Bhutto, Nawaz Sharif et Imran Khan – n’a pu aller jusqu’au bout de son mandat. Dès qu’un Premier ministre, pourtant élu démocratiquement, entre en conflit avec l’armée, la véritable détentrice du pouvoir politique et économique, il est certain que son sort est compté.

De la même façon, un candidat crédible qui a une chance de gagner le scrutin ne peut le faire s’il n’a pas la caution de l’armée. C’est le cas d’Imran Khan, dernier Premier ministre élu. Certes, en 2018, lorsqu’il était à la tête du PTI, Imran Khan surfait sur deux sentiments très en vogue au Pakistan : l’anticorruption et  l’antiaméricanisme. Cependant, il n’aurait pu gagner le pouvoir sans l’aide de l’armée qui, pour une énième fois, mis fin au mandat de Nawaz Sharif par des tribunaux interposés en le condamnant à dix ans prison et à une interdiction de se présenter aux élections. Aujourd’hui, la situation s’inverse. Alors que l’on assiste chaque jour à de nouvelles accusations à l’égard d’Imran Khan, qui viennent s’ajouter à l’accusation initiale portant sur les revenus issus de vente de cadeaux non déclarés, Nawaz Sharif peut rentrer au Pakistan même s’il doit en principe purger sa peine de prison. En effet, il y a quatre ans, alors qu’il était emprisonné, ce dernier avait été autorisé à se rendre à Londres pour les obsèques de sa mère, à la suite desquelles il n’avait pas regagné le Pakistan.

À l’aune des élections législatives qui se tiendront en janvier 2024, comment la situation politique est-elle susceptible d’évoluer ? Alors que l’économie pakistanaise a fortement été impactée par les inondations de 2022 et la guerre en Ukraine, dans quel contexte socio-économique s’inscrivent ces élections ?

Le Pakistan, avec 235 millions d’habitants, est l’un des pays le plus peuplé du monde. Même si son économie est située dans la catégorie des « pays à revenus moyens inférieurs » avec un PIB par habitant de 1 660 dollars selon la Banque mondiale, le Pakistan a pris un retard important dans le processus de développement de son économie. Le pays a en effet reculé du 146e rang en 2014 au 161e sur 192 dans le classement d’indice du développement humain des Nations unies de 2022, tandis que le taux de pauvreté atteint les 36,4% en 2021 et le taux d’illettrisme les 37%. La crise du secteur énergétique et le niveau insuffisant d’imposition caractérisent l’état délétère de l’économie. S’ajoutent à cela deux facteurs politiques importants qui pèsent sur sa croissance : la mainmise de l’armée sur l’économie et le manque de transparence d’une part, ainsi que la corruption endémique de la classe politique d’autre part. Ainsi l’organisation des élections ne pourrait remédier ce mal. Ce n’est pas un hasard si, en visant hier la corruption et aujourd’hui la mainmise de l’armée, Imran Khan a gagné en popularité, notamment auprès des jeunes qui ne supportent plus l’emprise des dynasties Bhutto et Sharif sur le pouvoir.

Comment le Pakistan s’intègre-t-il aujourd’hui dans son environnement régional ? Qu’en est-il de ses relations avec ses voisins indiens et afghans ?

Avant le grand projet de Xi Jinping des « Nouvelles Routes de la soie », on ne pouvait pas vraiment situer l’intégration de l’économie pakistanaise au sein de son environnement régional, y compris sur le plan politique. Les relations du Pakistan avec l’Inde sont connues. Elles ont débouché sur trois guerres et sur le démembrement du Pakistan avec la cessation du Pakistan oriental, devenu Bangladesh à la suite de l’intervention militaire indienne. Si depuis les deux pays sont devenus des puissances atomiques et que l’on n’assiste plus à un conflit d’envergure, leurs relations ne sont toujours pas totalement normalisées.

Depuis un peu plus de 50 ans, les relations avec l’Afghanistan attirent davantage l’attention des dirigeants d’Islamabad. Le Pakistan se méfie toujours de ce pays qui n’a pas reconnu les frontières internationales du Pakistan. Dans les années 1950 et 1960, les deux pays se trouvaient au bord du conflit armé. La présence de l’Union soviétique en Afghanistan inquiétait beaucoup l’Islamabad, ce qui a motivé le Pakistan à soutenir les moudjahidine afghans et à plus tard devenir une base arrière pour les Américains par souci de la question pachtoune. En effet, l’unité de cette ethnie présente de part et d’autre de la frontière aurait pu mettre en danger l’unité du Pakistan. En même temps, l’émergence de pays d’Asie centrale après la dislocation de l’URSS a encouragé Islamabad à se façonner un corridor vers cette région via l’Afghanistan, menant le Pakistan à soutenir les talibans lorsqu’ils étaient au pouvoir entre 1996 et 2001. Après l’intervention américaine contre les talibans suite aux attentats du 11 septembre 2001, Islamabad entre dans la coalition internationale contre le terrorisme tout en maintenant un lien fort avec les talibans afghans. Nait alors le double jeu pakistanais. Cependant, la victoire des talibans en août 2021, contrairement à ce que certains observateurs pouvaient penser, ne signifiait pas la mainmise du Pakistan sur les talibans. Par ailleurs, de nombreux sujets de conflit existent entre les deux parties notamment sur la question frontalière, la présence des réfugiés afghans au Pakistan ou le soutien des talibans afghans aux talibans pakistanais qui mènent des actions terroristes au Pakistan.

En ce qui concerne l’Iran, les relations entre Islamabad et Téhéran sont empreintes de méfiance réciproque. L’existence d’un groupe terroriste baloutche en Iran et son implantation dans la région du Baloutchistan au Pakistan est un sujet de tension de temps à autre. L’établissement des relations diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie saoudite avec la médiation chinoise peut contribuer à plus d’échanges entre les deux pays, Riyad étant considérée comme une alliée pour Islamabad.

Enfin, les relations entre le Pakistan et la Chine ont toujours été une pièce maîtresse de la politique régionale de l’Islamabad qui voit Pékin comme un partenaire solide – les deux pays ayant notamment l’Inde comme adversaire commun. Au-delà de cet aspect, le Pakistan occupe une place importante dans le projet des « Nouvelles Routes de la soie » de Xi Jinping du fait des grands projets d’infrastructures reliant la Chine jusqu’au port de Gwadar (sud du Pakistan). Sur ces 62 milliards de dollars, 34 milliards sont consacrés au développement des infrastructures énergétiques sur la mer d’Oman et le Golfe persique.
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