ANALYSES

Israël-Hamas : quelles réactions le conflit suscite-t-il auprès de Moscou et Kiev ?

Interview
19 octobre 2023
Le point de vue de Jean de Gliniasty


Les attaques lancées par le Hamas contre Israël le 7 octobre ont replacé la question du conflit israélo-palestinien au cœur du débat sur la scène internationale, éclipsant en partie la guerre russo-ukrainienne. Quel positionnement Moscou adopte-t-il à l’égard du conflit entre le Hamas et Israël et comment ce dernier est-il par ailleurs perçu au sein de la société russe ? Qu’en est-il du soutien du président ukrainien Volodymyr Zelensky à Israël ? Quelles sont les conséquences du détournement des regards médiatiques et de la communauté internationale de la guerre en Ukraine vers le conflit israélo-palestinien ? Qu’en est-il de la situation en Ukraine à l’heure actuelle ? Le point de vue de Jean de Gliniasty, directeur de recherche à l’IRIS et spécialiste de la Russie.

 

Quel positionnement Moscou adopte-t-il à l’égard du conflit entre le Hamas et Israël ? Comment ce dernier est-il par ailleurs perçu au sein de la société russe ?

Il y a d’abord un effet d’aubaine pour Moscou. Le point focal de l’attention internationale est passé de l’Ukraine à Israël. Pour les Occidentaux, le « méchant » est aussi le Hamas et non plus seulement la Russie. Tout désintérêt relatif pour la guerre en Ukraine signifie à terme moins d’aide, moins d’attention, moins de pression des opinions publiques. En même temps, la Russie est embarrassée  pour maintenir le délicat équilibre qu’elle a plus ou moins réussi à maintenir jusqu’à présent entre d’un côté Israël, où résident de nombreux Russes devenus citoyens israéliens, qui n’imposent pas de sanctions économiques et qui limite ses livraisons d’armes à l’Ukraine; les Palestiniens, qui jouissent d’un appui traditionnel de la diplomatie russe ; la Syrie, où les russes entretiennent deux bases militaires (Tartous et Hmeimim) et l’Iran, avec lequel les liens notamment militaires se sont resserrés (livraisons de drones Shahid et construction en Russie d’une usine de ces drones). La Russie a présenté au Conseil de sécurité de l’ONU un projet de résolution qui se voulait équilibré mais qui a été refusé par les membres du Conseil parce qu’il ne comportait aucune condamnation des agissements du Hamas. Pour Moscou, un embrasement de la région ne serait pas une bonne affaire et l’obligerait à sortir de l’ambiguïté. Malgré un soutien de principe à la cause palestinienne, les exactions du Hamas en Israël ont beaucoup choqué et les manifestations de soutien de la population russe à Israël ont été à ce jour beaucoup plus importantes dans la capitale russe que les gestes de solidarité avec les Palestiniens de Gaza. La violence des réactions israéliennes pourrait changer les choses.

Dans un entretien sur France 2, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a apporté son soutien à Israël et a accusé la Russie de soutenir les opérations du Hamas. Qu’en est-il réellement ? Que traduit l’alignement de la position ukrainienne sur celle des Occidentaux vis-à-vis de la condamnation des attaques du 7 octobre ?

Volodymyr Zelensky a demandé en vain à être reçu en Israël. Il veut se montrer solidaire de la réaction d’indignation provoquée en Europe et aux États-Unis, ses principaux soutiens, face aux atrocités commises par le Hamas et impliquer la Russie dans l’attaque contre Israël. Il peut invoquer à l’appui de son accusation les liens de Moscou avec Téhéran et le soutien traditionnel de la Russie à la cause palestinienne. Si c’est de bonne guerre, on voit mal les Russes chercher à déstabiliser Israël avec lequel ils ont un modus vivendi satisfaisant, Moscou fermant les yeux à certaines conditions sur ses bombardements contre les forces des Gardiens de la révolution iranienne en Syrie, lui permettant ainsi de se ménager une sorte de zone tampon à sa frontière syrienne. Il s’agit aussi, pour le président ukrainien, de rester au premier rang des priorités diplomatiques et militaires de la « communauté internationale ». Les Israéliens, dont les préoccupations sont d’abord de panser leurs plaies et de préparer les opérations sur Gaza, ont refusé de le recevoir. Kiev craint de voir les Occidentaux, notamment les Américains, réorienter une partie de leur aide vers Israël et se désintéresser relativement de l’Ukraine. L’enjeu israélien sera sans doute plus important que l’enjeu ukrainien dans la campagne présidentielle américaine qui s’ouvre. Kiev n’a donc pas non plus intérêt à une conflagration dans la région.

La résonance du conflit israélo-palestinien sur la scène internationale semble détourner temporairement les regards médiatiques et de la communauté internationale de la guerre en Ukraine. Avec quelles conséquences ? Qu’en est-il de la situation en Ukraine à l’heure actuelle ?

Pour regagner l’attention prioritaire des Occidentaux, les Ukrainiens ont besoin que la crise avec Israël s’apaise. En attendant, ils doivent réactiver l’intérêt de l’opinion et pour cela enregistrer de nouvelles victoires ou démontrer que les choses bougent. La livraison de missiles ATACMS américains très précis et récemment utilisés avec succès semble-t-il, ainsi que le blocage d’une offensive russe du côté d’Avdiivka, leur ont fait regagner une partie de l’attention des médias. Le pire pour Kiev serait d’être soumis à une reconquête rampante par la Russie dans le silence de la « communauté internationale ».
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