ANALYSES

Poutine reçoit Kim Jong-un en grande pompe : « La Russie a besoin d’obus en Ukraine, Pyongyang peut lui en fournir »

Presse
14 septembre 2023
Interview de Jean de Gliniasty - La Depeche

Ce mercredi, Vladimir Poutine a reçu Kim Jong-un sur le cosmodrome de Vostochny, dans l’Extrême-Orient russe. Quels messages envoient-ils à l’Occident et à la Chine ?


Leur rencontre porte en effet beaucoup de messages et vous avez raison d’inclure la Chine dans le problème. D’abord, il y a une nécessité pragmatique : la Russie a besoin d’obus. La Corée du Nord peut lui en fournir en nombre et Moscou est prêt à faire des efforts diplomatiques pour obtenir les livraisons souhaitées mais aussi à en payer le prix, notamment vis-à-vis de la Corée du Nord, en l’associant à ses recherches spatiales pour embêter les États-Unis. Les Russes maîtrisent les missiles intercontinentaux, pas les Coréens du Nord, cela doit donc intéresser Kim Jong-un et la visite de Vostochny est hautement symbolique. C’est le pas de tir le plus moderne construit par les Russes pour se substituer à Baïkonour et à partir de là, le message à l’Occident est très simple. La Russie lui signifie que, certes, celui-ci l’a « mise au coin » mais qu’elle se débrouille très bien toute seule, avec son propre réseau. Pour la Corée du Nord, le message est d’indiquer au monde qu’ainsi reçue, elle n’est plus un État voyou. Enfin, il y a donc le message que chacun des protagonistes adresse aussi à la Chine pour lui dire : « Je ne suis pas entièrement dans vos mains. » Un message d’affirmation d’autonomie de Moscou et Pyongyang vis-à-vis de Pékin, les deux lui rappelant de fait que Russes et Coréens du Nord sont des puissances nucléaires, deux puissances avec lesquels les Chinois restent d’ailleurs prudents.

Sans nier la volonté de renforcer leurs liens militaires, les deux ont démenti toute transaction d’armes… Que faut-il en penser ?


Il suffit de regarder la carte. Il y a une frontière commune entre les deux pays avec un pont. Ils ne dépendent donc de personne pour coopérer et c’est précieux pour la Russie. Chacun a la possibilité de livrer ce qu’il veut, comme il veut quand il veut. Mais il y a aussi un autre élément concret dont on n’a pas parlé : les Coréens sont très coutumiers d’envoyer leur main-d’œuvre, payée au lance-pierre, si j’ose dire, dans les pays qui en manquent. Or la Russie manque cruellement de main-d’œuvre dans ses entreprises.

Et quant au Kremlin qui rappelle que la Russie soutient les sanctions de l’Onu contre la Corée du Nord… ?


Pour les Occidentaux, l’appréciation morale d’un régime est un facteur important pour nouer des relations diplomatiques, commerciales et financières avec lui. Pour les Russes et les Chinois, pas du tout. La Russie a des intérêts concrets à défendre, qu’elle paye avec un affichage diplomatique faisant les affaires de Kim Jong-un : cette relative légitimation sur la scène internationale ne vaut pas reconnaissance du bien-fondé ou de la gestion du régime. Pour les Russes, c’est totalement indépendant.
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