ANALYSES

L’irrésistible ascension de l’Arabie saoudite sur l’échiquier de la diplomatie mondiale

Tribune
28 août 2023


En organisant la réunion de Djeddah sur l’Ukraine au niveau des conseillers de sécurité les 5 et 6 août 2023, l’Arabie saoudite affirme un peu plus sa position ascendante sur l’échiquier de la diplomatie internationale. La capacité de réunir autour d’une table des représentants de pays occidentaux dont Jake Sullivan le responsable du Conseil de sécurité nationale américain (NSC), de l’Union européenne (UE), mais surtout des BRICS et d’autres pays du Sud est un succès en soi.

La plupart des pays comme le Brésil, l’Inde ou la Chine se sont abstenus par le passé de condamner la Russie ou de prendre parti dans le conflit qui l’oppose à l’Ukraine en jugeant qu’ils ne sont pas directement concernés par cette guerre « européenne ». La décision de la Russie de suspendre l’accord d’exportation des céréales ukrainiennes le 17 juillet dernier vers des pays qui en ont un besoin vital est sans doute une erreur stratégique de la part de Moscou, susceptible de modifier la perception des pays du Sud. Sur les 32 millions de tonnes de céréales exportées par l’Ukraine jusqu’au 18 juillet, la Chine en avait importé plus de 6 millions, faisant d’elle le principal bénéficiaire de cet accord.

La participation de la Chine, en la personne de Li Hui, représentant pour les questions eurasiatiques et ancien ambassadeur de la Chine à Moscou, alors que cette dernière avait décliné l’invitation de se rendre à Copenhague en juin dernier pour prendre part à une précédente réunion du même type, est également une victoire. Celle-ci ne doit rien au hasard mais aux liens privilégiés qui se sont tissés entre le Royaume saoudien et Pékin. Les signes de ce resserrement sont tangibles et les manifestations d’amitié se multiplient depuis la visite historique de Xi Jinping à Riyad en décembre dernier. D’autre part, les Saoudiens ont très habilement manœuvré en plaçant l’accord de normalisation des relations avec l’Iran sous le patronage de la Chine dont Téhéran est un obligé. Cet accord, qui était en négociation depuis deux ans au moins, n’avait nul besoin du parrainage chinois pour se concrétiser. En impliquant la Chine, les Saoudiens garantissent l’application de l’accord et renforcent le poids ascendant de la Chine dans la diplomatie mondiale.

Le rapprochement de Riyad avec les BRICS témoigne de l’évolution de l’Arabie saoudite ces dernières années. En se détachant du bloc occidental auquel il était étroitement lié depuis 1945, Riyad entend désormais jouer un rôle croissant dans ce pôle émergent. Un rôle de premier plan qui correspond à son envergure financière et à sa capacité à peser sur l’économie mondiale en mettant sa production pétrolière au service exclusif de ses intérêts.

En confortant sa position sur l’échiquier diplomatique mondial, Riyad gagne ses galons de puissance régionale, principale interlocutrice des puissances comme la Russie, la Chine ou l’Inde mais aussi les pays occidentaux. Les États-Unis sont obligés d’admettre leur perte d’influence auprès d’un acteur principal de leur stratégie régionale. Perte d’influence ne signifie pas rupture. Les Saoudiens savent que les mutations du monde mettront du temps à se concrétiser. Pour l’instant, l’Arabie saoudite se contente, avec plus ou moins de succès, du rôle de médiateur dans les crises internationales comme le conflit interne au Soudan. Cette action, aussi médiatisée soit-elle, met également en relief les limites de la capacité d’influer sur le cours des évènements. Les Saoudiens sont pour l’instant incapables de régler la question du Yémen.

En normalisant ses relations avec la Turquie et l’Iran, Riyad émerge comme un interlocuteur  de premier plan et comme puissance régionale reconnue, ce qui lui permettra de gagner ses galons au sein des BRICS. En réussissant à réunir quatre des cinq acteurs de ce groupe, Mohammed Ben Salmane enregistre un succès diplomatique non négligeable et fait un grand pas en cette direction.

 
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