ANALYSES

Entrée de l’Iran dans l’OCS : vers une sortie de l’isolement diplomatique ?

Interview
13 juillet 2023
Le point de vue de Thierry Coville


Mercredi 5 juillet, l’Iran est devenu membre à part entière de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS). Cette organisation régionale héritée du « Groupe de Shanghai » et dominée par la Chine et la Russie est souvent présentée (parfois à tort) comme le contrepoint de l’OTAN. Ses membres – parmi lesquels une majorité de pays d’Asie centrale – coopèrent en particulier dans les domaines sécuritaire et stratégique. Alors, pourquoi l’Iran se tourne-t-il vers l’OCS ? Quel est l’état de ses relations avec ses voisins à l’est ? Cette adhésion révèle-t-elle une évolution de sa politique étrangère ? Thierry Coville, chercheur à l’IRIS, spécialiste de l’Iran, répond à nos questions.

Le 5 juillet dernier, à l’occasion d’un sommet en visioconférence, la République islamique d’Iran a officiellement rejoint l’Organisation de coopération de Shanghai dont elle était observatrice depuis 2005. En quoi les intérêts de Téhéran s’alignent-ils avec ceux de l’OCS ?

L’entrée de l’Iran dans l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) est un véritable succès diplomatique pour Téhéran. Depuis la fin de la guerre avec l’Irak, ses prises de position idéologiques contre les États-Unis et Israël l’isolent des relations internationales. Mais les Iraniens ont toujours tenu à montrer qu’ils n’étaient pas si isolés, et qu’ils possédaient des alliances fortes, que ce soit au sein de l’Organisation de la coopération islamique, ou du mouvement des non alignés. Ils ont développé des relations avec l’Europe des années 1990, avec la Chine, et plus largement, l’Asie. L’entrée dans l’OCS, qui compte des poids lourds comme la Chine, l’Inde et la Russie, et représente plus de 40% de la population mondiale, est donc une réussite diplomatique.

L’OCS n’a pas fait de grandes avancées sur le plan économique. Mais elle est encore jeune, et il s’agit tout de même d’un lieu de discussion et de coopération, notamment dans la sécurité. L’impact économique, politique et militaire pour l’Iran  de son intégration à cette organisation dépendra de l’évolution de cette dernière

Quelles relations Téhéran entretient-elle avec chacun des pays membres de l’Organisation ? Comment perçoit-elle le projet de « Nouvelles routes de la soie » de la Chine, son premier partenaire commercial ? Observe-t-on réellement un rapprochement avec la Russie depuis son invasion de l’Ukraine et les sanctions occidentales qui en ont découlé ? Qu’en est-il de ses voisins proches non membres de l’OCS, l’Afghanistan et le Pakistan ?

Depuis le retrait des entreprises européennes d’Iran du fait de la reprise des sanctions américaines ayant suivi la sortie des États-Unis de l’accord en mai 2018, la part de la Chine dans les échanges extérieurs de l’Iran s’est accrue. Elle est le seul pays à avoir continué à acheter du pétrole à l’Iran de 2018 à 2020 dans un contexte où la situation économique de l’Iran était particulièrement tendue. Elle a mis en place un système de paiement permettant à l’Iran d’exporter son pétrole en Chine, avec un compte crédité en yuans à partir duquel le pays peut importer des produits chinois. À présent, la Chine est le premier partenaire commercial dans de nombreux secteurs.

La Chine dispose également d’une importante influence diplomatique pour l’Iran. C’est elle qui a organisé les retrouvailles diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie saoudite. Elle soutient aussi Téhéran au Conseil de sécurité des Nations unies dans le cadre des discussions sur le nucléaire iranien.

Sur le plan militaire, les deux pays coopèrent notamment dans le domaine balistique depuis des années. En 2021, leur partenariat a été renforcé par la signature d’un Pacte de coopération stratégique valable sur 25 ans. Bien qu’on n’en connaisse pas exactement son contenu, un tel accord n’est évidemment pas anodin. Il inclut certainement des engagements de la part de l’Iran pour satisfaire une partie des besoins énergétiques chinois. De son côté, l’Iran attend notamment de nombreux investissements dans les infrastructures de transport dans le cadre du projet chinois des nouvelles routes de la soie. Une de ses ambitions est de devenir une plaque tournante du commerce entre l’Europe et l’Asie, et entre le Nord et le Sud.

La Russie est elle aussi un partenaire important. Jusque là, ce partenariat s’est surtout révélé stratégique : les deux pays se rapprochent par leur antiaméricanisme, et ont combattu ensemble dans la guerre en Syrie pour soutenir Bachar Al-Assad. Le renforcement de cette proximité stratégique est aussi une conséquence de la pression exercée par Donald Trump sur Téhéran puisque l’Iran a renforcé ses liens stratégiques avec la Chine et la Russie pour faire face à la politique de « pression maximale » des États-Unis. Depuis le début de la guerre en Ukraine, il s’y ajoute le soutien militaire iranien avec des livraisons de drones. Ce conflit ayant été perçu par les dirigeants iraniens comme une exacerbation de la bipolarisation du monde, ils ont choisi de prolonger leur alliance passée avec la Russie. On a beaucoup parlé de la coopération pour aider la Russie à détourner les sanctions occidentales. Sur ce sujet, il est important de faire le tri par rapport à ce qui relève de la politique de communication des deux pays. Il est clair que leurs échanges ont progressé depuis le début de la guerre en Ukraine. Toutefois, la Russie ne pourra jamais jouer le rôle de partenaire commercial que joue la Chine, car elle est comme l’Iran exportatrice de pétrole et de gaz. En tant que membre permanent du Conseil de sécurité, elle est également un allié dans les négociations sur le nucléaire iranien.

Concernant l’Afghanistan, qui est un pays voisin, les relations sont elles aussi importantes. Depuis que les talibans sont arrivés au pouvoir, l’Iran n’a pas encore reconnu officiellement leur régime. Une ambassade a tout de même été ouverte à Téhéran, car le pays est obligé d’avoir des relations avec les talibans : trois millions de réfugiés afghans vivent sur son territoire, et les deux pays sont régulièrement en conflit sur le sujet vital de l’eau. L’Iran accuse son voisin de bloquer des voies d’eau, conduisant à une sècheresse dans le Sud-Est du pays. La question du trafic de drogue en provenance d’Afghanistan implique aussi leur coopération. Les deux États sont donc forcés de discuter sur ces problématiques. Enfin, sur le plan économique, l’Afghanistan est devenu un partenaire non négligeable en ce qui concerne les échanges non pétroliers. Téhéran adopte donc une position pragmatique, et se trouve obligée de discuter avec le pouvoir taliban.

Avec le Pakistan, si des relations économiques existent, les relations politiques sont plus tendues et moins conséquentes. L’Iran accuse notamment le pouvoir pakistanais de soutenir les forces au Baloutchistan en rébellion armée depuis des années contre la République islamique. Récemment, un de ces groupes a d’ailleurs attaqué un poste militaire de la province du Sistan-Baloutchistan. Outre ces problèmes sécuritaires et malgré une coopération dans le développement du nucléaire iranien dans les années 1990, il n’y a pas de relations diplomatiques approfondies entre les deux pays.

Tout en suscitant le rejet international en raison de sa politique intérieure répressive, l’Iran semble déterminé à sortir de son isolement, que ce soit – à l’ouest – par la normalisation de ses relations avec l’Arabie saoudite, ou – à l’est – par son entrée dans l’OCS. Quelle est l’étape suivante pour la politique étrangère iranienne ?

Depuis les manifestations qui ont fait irruption suite à la mort de Mahsa Amini, et la condamnation de leur répression par la communauté internationale, le pouvoir iranien essaie de sortir de son isolement diplomatique. Il a normalisé ses relations avec l’Arabie saoudite. Des discussions sont également en cours avec des pays comme l’Égypte et le Maroc, des pays avec lesquels la République islamique d’Iran entretenait de mauvaises relations depuis des années. L’intégration dans l’Organisation de coopération de Shanghai s’inscrit également dans cette volonté d’améliorer ses relations avec le monde extérieur.

Quant aux États-Unis, les discussions sur le dossier nucléaire se poursuivent malgré tout. Pour les deux parties, il est clair que rien ne pourra être signé sur le retour des États-Unis dans l’accord, le Congrès y étant fortement opposé. Il s’agirait davantage d’un accord de type « cessez-le-feu » : pour diminuer les tensions, l’Iran s’engagerait à ne pas enrichir son uranium à plus de 60%, et à libérer un certain nombre de prisonniers ayant la double nationalité iranienne et américaine. Côté américain, on s’engagerait à libérer des fonds iraniens bloqués en Corée du Sud ou en Irak, et à ne pas imposer de nouvelles sanctions (même si celles qui existent resteraient en place). L’Iran discute avec des membres de la Commission européenne sur ce sujet.
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