ANALYSES

Contestation en Iran : combien de temps le régime peut-il encore utiliser la répression ?

Interview
13 janvier 2023
Le point de vue de Thierry Coville


La répression du mouvement de contestation en Iran ne cesse de prendre de l’ampleur. Lundi 9 janvier, la justice iranienne a annoncé trois nouvelles condamnations à mort liées au mouvement. Deux jours auparavant, deux Iraniens ont été exécutés à Téhéran. Quel est l’impact de cette répression sur la contestation iranienne. La pression de la communauté internationale peut-elle amener le régime à changer de stratégie répressive ? Le point avec Thierry Coville, chercheur à l’IRIS, spécialiste de l’Iran. 

Ce lundi, la justice iranienne a annoncé trois nouvelles condamnations à mort liées au mouvement de contestation. Deux jours auparavant, deux Iraniens ont été exécutés à Téhéran. Quel est l’impact de cette répression sur la contestation ?

Il faut rester prudent lorsqu’on analyse la situation en Iran du moment que l’on n’est pas directement sur le terrain. On a la perception que cette répression ne fait qu’accroître la colère des manifestants. Cela est particulièrement visible sur les réseaux sociaux. Si l’objectif de cette répression était de faire peur, notamment à ceux qui sont les plus remontés contre le régime, c’est un échec. Elle ne fait au contraire qu’attiser leur colère et les encourage plutôt qu’elle ne les dissuade.

La stratégie répressive en Iran demeure au cœur de la politique des ultras conservateurs qui sont officieusement au pouvoir en Iran depuis 2018 et la sortie de l’accord sur le nucléaire de Trump. Pour toutes les manifestations qui ont eu lieu en Iran, notamment en 2018 du fait de la hausse du prix de l’essence, et bien d’autres à cause notamment des problèmes de pénurie d’eau, la seule réponse qu’ils ont toujours donnée, c’est la répression. Les dirigeants iraniens ne voient toujours que la dimension sécuritaire quand ils font face à des manifestations de protestation.

L’autre élément est qu’il y a la peur – qui est présente dans toutes les dictatures – que montrer une certaine compréhension par rapport aux demandes des manifestants fasse vaciller tout l’édifice. Les dirigeants iraniens sont convaincus que s’ils font preuve de modération, ils seront débordés par le mouvement. Enfin, le régime souhaite garder le soutien de sa base, sociale et politique, qui doit représenter 15% à 20% de la population. C’est un calcul politique avec l’idée que s’ils perdent le soutien de leur base également, c’est la fin de la République islamique d’Iran. Tous ces facteurs expliquent cette stratégie répressive.

Alors que Téhéran fait déjà l’objet de sanctions, une pression internationale accrue pourrait-elle amener le régime à changer de stratégie répressive ?

Cette répression entraîne une condamnation de plus en plus unanime à l’extérieur. Le secrétaire général des Nations unies a déjà condamné les exécutions du régime iranien. Plus récemment, le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Volker Türk, a dénoncé « l’utilisation comme arme des procédures criminelles pour punir les personnes qui exercent leurs droits élémentaires, comme ceux qui participent aux manifestations ou les organisent, confine au meurtre d’État ». Ces condamnations entraînent un isolement toujours plus important de l’Iran, ce que relayent d’ailleurs les médias  iraniens, même ceux qui sont plutôt proches des conservateurs.

Il y a actuellement des discussions en interne impliquant des personnalités conservatrices qui sont critiques envers cette stratégie du tout répressif. Le président du Parlement, Mohammad Ghalibaf, a déclaré qu’il fallait changer la façon de gouverner. Ali Larijani, son prédécesseur, avait en octobre 2022 également déclaré que les autorités devaient « changer leur approche » par rapport à la question du voile obligatoire pour les femmes et du rôle de la police des mœurs. Il y a sans aucun doute un débat à l’intérieur du système politique iranien. Même certains journaux pourtant conservateurs en viennent à critiquer le tout répressif. L’un des arguments soulevés par ce discours critique est que l’Iran n’a jamais été aussi isolé et que cet isolement le met en position de faiblesse. Ses seuls alliés sont la Russie et la Chine. Le conflit ukrainien place l’Iran dans une situation délicate vis-à-vis de la communauté internationale, et notamment des pays occidentaux  qui condamnent unanimement cette guerre. Les condamnations internationales jouent incontestablement un rôle dans ce débat en interne.

Il y a-t-il une prise de conscience au sein du régime de changer de stratégie pour mettre fin au soulèvement ?

Il y a effectivement la prise de conscience, notamment chez les conservateurs, qu’il s’agit d’un mouvement de contestation profond et qui vient de l’intérieur. Contrairement à ce que disent les autorités, à savoir que le mouvement est soutenu par les États-Unis et Israël, les dirigeants iraniens savent bien que cette contestation vient de l’intérieur.

Certes, il y a des personnalités en Iran qui s’opposent à la solution répressive. Cependant, la grande difficulté sera de convaincre les plus durs du régime, à savoir le Guide et les dirigeants des Pasdarans. Un certain nombre de déclarations soulignent une prise de conscience : le mécontentement actuel est profond et vient de l’intérieur du pays. On a vu récemment le procureur général Mohammad Jafar Montazeri déclarer que la police de mœurs avait été fermée. De manière plus significative, le guide Ali Khamenei a dit récemment dans un discours que les femmes qui portent mal le voile ne sont pas contre la révolution islamique. Les déclarations du procureur général et de Khamenei ne sont pas anodines, elles étaient même impensables avant la crise actuelle. On remarque également que la politique de répression se poursuit. Le chef de la police vient ainsi d’être remplacé et le nouveau responsable, Ahmad Reza Radan est notamment connu pour avoir joué un rôle important dans la répression en 2009, après les mouvements de protestation du fait de la réélection de Mahmoud Ahmadinejad. Les autorités iraniennes semblent incapables d’apporter une réponse « politique » aux protestations actuelles, dont le point de vue est de ne faire aucune concession du fait des raisons évoquées plus haut.

Les dirigeants à Téhéran sont également conscients qu’une part du mécontentement provient de la situation économique du pays. Ils semblent pourtant incapables d’apporter une réponse au chômage, à l’inflation et à la corruption pour calmer le mouvement de contestation. On ne voit pas comment la situation macroéconomique de l’Iran s’améliorera sans une levée des sanctions américaines et le retour des États-Unis dans l’Accord sur le nucléaire de 2015. De plus, le gouvernement d’Ebrahim Raïssi ne semble pas avoir de programme économique clair et un certain nombre de ses décisions, telles que l’abandon de l’utilisation d’un taux de change subventionné pour importer des produits indispensables comme les médicaments, ont plutôt contribué à accélérer une inflation déjà très élevée.

 

 
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