ANALYSES

Menaces iraniennes : « Téhéran met la France et les États-Unis dans le même sac »

Presse
6 janvier 2023
Interview de Thierry Coville - Marianne
Pourquoi Ali Khamenei s’en prend-il à la France alors que d’autres pays ont aussi soutenu les manifestations anti-régime ?




Ali Khamenei s’en prend à la France comme il s’en serait pris à l’Allemagne dans des circonstances identiques. Il est le guide suprême de l’Iran, la loi locale dispose qu’il ne peut pas être critiqué. Lorsque les Iraniens scandent « mort au dictateur » dans la rue, les « durs » au pouvoir sont dans une logique de théorie du complot. Ils ne peuvent donc pas imaginer qu’un journal français puisse prendre ce type de décision seul. C’est inacceptable pour eux. Il y a forcément quelqu’un derrière. On ne peut donc pas être surpris de leur réaction. Les tensions entre Téhéran et les pays occidentaux avaient en réalité déjà commencé avant le début des manifestations anti-régime en septembre. Elles ne sont pas nouvelles et ne sont pas arrivées comme ça, elles ont débuté en 2018. Les relations diplomatiques entre l’Iran et les pays occidentaux sont très liées au dossier nucléaire iranien. En 2015, lorsque l’accord est signé, le président iranien, Hassan Rohani, est accueilli à Paris. Deux ans plus tard, le MEDEF International organise une délégation de chefs d’entreprise à Téhéran, ce qui rend furieux les États-Unis. À l’époque, il y a un espoir français de développer le marché économique avec l’Iran, les relations bilatérales sont donc bonnes.


À partir de quand se dégradent les relations diplomatiques entre Paris et Téhéran ?


Le point de bascule a lieu en 2018. Au mois de mai de cette année-là, Donald Trump décide de sortir de l’accord sur le nucléaire signé en 2015 [par l’Iran, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, l’Allemagne et l’Union européenne N.D.L.R.]. Le texte prévoit que l’Iran s’engage à ce que son arsenal nucléaire reste civil en échange d’une levée des sanctions économiques qui touchent le pays. Sauf que le président américain rétablit les sanctions américaines et va même jusqu’à dire qu’aucune entreprise n’a le droit de faire des affaires avec l’Iran au risque de devoir quitter le marché américain. Or, la France ne monte pas au créneau et il est reproché aux Européens de ne pas avoir rempli leurs engagements – à savoir tout faire pour que les sanctions économiques à l’égard du pays soient levées.


Ainsi, la reprise des sanctions fait plonger l’Iran dans une crise économique profonde. Les modérés disparaissent de la scène politique iranienne laissant le champ libre aux « durs » qui parviennent à récupérer tous les pouvoirs : la présidence, le gouvernement, le Parlement… Dès 2018, le régime des mollahs met les Européens et les Américains dans le même sac. Les tensions s’accélèrent entre les Occidentaux et Téhéran, avec l’idée, côté iranien, que seul le rapport de force fonctionne. Cela renforce malheureusement l’idée selon laquelle le droit international et la diplomatie ne servent à rien. Il y a aussi cet épisode, en 2021, où Macron tente de jouer l’intermédiaire entre l’Iran et les États-Unis afin d’aboutir sur un nouvel accord sur le nucléaire avec Washington. Un projet voué à l’échec, les Iraniens souhaitant juste que les États-Unis réintègrent l’accord d’origine.


Un dernier épisode est notable, celui de la reprise des négociations sur le nucléaire avec Joe Biden en avril 2021. Mais les Occidentaux considèrent que l’Iran, dirigé par les radicaux, n’est pas assez souple dans les négociations. Les discussions patinent, l’accord n’est pas signé. Il y a quelques mois, les premières manifestations éclatent en Iran, les pays occidentaux décident de condamner cette répression d’emblée et admettent que les négociations sur le nucléaire ne sont plus leur priorité. Le Royaume-Uni a même avoué réfléchir à mettre les pasdarans (corps des gardiens de la révolution islamique, ndlr) sur la liste des organisations terroristes.


Les caricatures de Charlie Hebdo ne sont-elles pas un prétexte pour le régime iranien d’être encore plus offensif envers la France et dans le même temps détourner l’attention de ce qui passe dans le pays et peut-être aussi tenter de rameuter derrière lui les franges les plus radicales ?


Il n’était de toute façon pas possible qu’ils ne réagissent pas. Les radicaux d’Iran ont l’habitude de dire que les Occidentaux sont contre la République islamique et veulent un changement de régime. Cette perception a été renforcée par ce qu’il s’est passé avec Donald Trump et dont on parlait plus tôt. Depuis la révolution, ils estiment qu’il y a un complot, que les Occidentaux leur veulent du mal. Les dirigeants iraniens haussent le ton vis-à-vis de l’Europe et des États-Unis pour que leur base sociale en Iran réagisse. Car ça ne changera rien pour ceux qui sont dans la rue, au contraire. Mais il y a encore une frange puissante de la population qui adhère aux valeurs du régime, bien qu’elle soit minoritaire.






En tant que chercheur, je n’ai pas à me prononcer sur cette question politique. Il est important d’expliquer le contexte politique en Iran. La difficulté actuelle – et qui n’est pas nouvelle – est que ces prises d’otages sont le fruit du rapport de force créé par les « durs » qui ont pris le pouvoir officiellement depuis 2020 – mais depuis 2018 dans les faits. Ces derniers considèrent que la diplomatie ne fonctionne pas. Mais pour trouver des solutions il faudra bien ouvrir des canaux de discussions. C’est toute la difficulté.








 

Propos recueillis par Mathilde Karsenti par Marianne.

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