ANALYSES

Chine/Arabie saoudite : la diversification en route … de la soie

Tribune
13 décembre 2022


La visite de Xi Jinping en Arabie saoudite est un marqueur important dans l’évolution des alliances dans la région. Depuis quelques années les monarchies du Golfe lorgnent vers Pékin essentiellement dans l’espoir de faire réagir les États-Unis et plus largement l’Occident dont l’intérêt pour la région faiblit. À cela s’ajoute le sentiment de mépris affiché à leur égard et le « bashing » perpétuel des médias occidentaux vis-à-vis de ces monarchies. De plus, ces pays ont la conviction que les accords de sécurité conclus avec Washington à la fin de la Seconde Guerre mondiale ne seraient pas respectés, ou mollement, en cas de mise en péril. L’autre source d’agacement profond provient de l’insistance et des exigences des pays occidentaux en matière de Droits de l’Homme. Le tweet de Sayed Badr Al-Busaïdi, ministre des Affaires étrangères du Sultanat d’Oman, résume parfaitement l’état d’esprit des dirigeants de la région :

« Nous saluons la visite historique du président chinois Xi Jinping dans la région qui reflète une volonté sincère d’ouverture et de coopération réciproque qui incarne les valeurs de tolérance et de paix et réalise les objectifs souhaités dans le cadre de relations internationales et de prospérité dont les bénéfices profiteront à tous ».

Un autre aspect dans la relation contrariée entre la région et l’Occident aura été la baisse du prix du pétrole qui a mis à mal les économies de ces pays dont la principale ressource est la vente des hydrocarbures. Les trois années de prix bas, très difficiles pour les économies des pays exportateurs de pétrole, leur ont fait prendre conscience que la maîtrise de la production et donc des prix du pétrole ne se devait être prise qu’en fonction des intérêts des pays producteurs quitte à s’allier avec la Russie. L’aubaine de la guerre en Ukraine et des sanctions à l’égard de Moscou a fait le reste.

Le changement de politique s’explique par plusieurs facteurs : l’arrivée au pouvoir d’une génération de monarques animée d’une vision ambitieuse pour leur pays et très au fait des équilibres sur la scène internationale. Ces leaders sont animés d’une volonté de peser sur la scène internationale en s’affranchissant des injonctions occidentales. Désormais, la politique de l’Arabie saoudite et de son voisin des Émirats se décidera à Riyad ou Abou Dabi et en fonction de leurs propres intérêts.

Au regard de son envergure financière qui lui confère un poids politique certain, l’Arabie saoudite n’entend pas céder sa primauté de la sphère arabo-musulmane. C’est dans cette optique qu’elle a organisé les 8 et 9 décembre un sommet Chine/Conseil de coopération du Golfe (CCG) et un sommet /Pays arabes.

Conscients du fait de la nécessité de nouer ou de resserrer de nouvelles alliances pour assurer leur sécurité, promouvoir leur présence sur la scène internationale ou réaliser les programmes de développement pharaoniques qui visent à assurer la transition vers l’après-pétrole, les pays de la région se tournent vers des superpuissances émergentes comme la Chine. Entre un Occident en déclin et empêtré dans ses problèmes économiques, sociétaux et politiques et l’Asie, le Golfe est en passe de choisir progressivement les seconds. La Chine au régime autoritaire et stable ne peut que fasciner face à un Occident désorienté qui semble avoir perdu sa boussole et englué dans ses difficultés. Cette transition se fera graduellement. Les pays du Golfe ont appris à monnayer cher leurs soutiens et investissements, n jouant sur la loi du plus offrant. Rien n’est acquis désormais.

C’est cet ensemble de facteurs qui explique le faste avec lequel Xi Jinping a été accueilli à Riyad. Il suffit de voir le regard de déférence et de quasi-dévotion du Prince Bandar lors de l’accueil du président chinois pour s’en convaincre. La Chine est le principal partenaire commercial du Royaume (achats d’hydrocarbures). Riyad vient de signer un accord de partenariat stratégique global avec Pékin. Accord qui vient après ceux signés par la Chine avec les Émirats arabes unis, Oman et l’Iran. Ces accords-cadres visent à asseoir la politique d’expansion commerciale de Pékin en mettant en place les Nouvelles routes de la soie. Le partenariat signé à Riyad par le roi Salman et XI Jinping vise à coordonner les objectifs de « la vision saoudienne 2030 » (Grand œuvre du Prince Mohamed Ben Salman) et les Nouvelles routes de la soie. Une série d’accords pour un montant de 30 milliards de dollars a été signée entre les deux pays dans de multiples domaines comme l’hydrogène vert, le développement de la 5G. Sur le plan politique, le communiqué final publié à l’issue des entretiens bilatéraux fait état du soutien chinois à l’égard de l’Arabie saoudite pour la préservation de sa sécurité et de sa stabilité en réaffirmant la ferme opposition chinoise à toute action visant à s’immiscer dans les affaires intérieures du Royaume.

Quels avantages pour la Chine ?

Cette visite revêt également une importance non négligeable pour la Chine. Elle enfonce un coin dans la relation historique entre l’Occident et la région et érige Pékin en rival de substitution. La puissance économique chinoise pourra compter sur des investissements financiers de plus en plus importants de la part des pays du Golfe. La Chine assure également ses approvisionnements en hydrocarbures et conforte ses débouchés pour exporter ses technologies en concurrence directe avec les pays occidentaux.

Sur le plan politique, « le communiqué de Riyad » publié à l’issue du sommet entre la Chine et les pays arabes met l’accent sur « l’unicité de la Chine et soutient les efforts de la Chine pour assurer sa souveraineté et l’unité de son territoire ». Il réaffirme le fait que Taïwan fait partie intégrante du territoire chinois et rejette l’indépendance de Taïwan, ainsi qu’il appuie les efforts de la Chine pour préserver sa sécurité nationale et le développement de la démocratie à Hong Kong dans le cadre d’un pays unique et deux systèmes. Le sort des Ouïghours n’est pas mentionné.

Ce soutien des pays arabes pèse lourd dans les instances diplomatiques et conforte la position de la Chine. On pourrait également lire cette visite comme un avertissement des pays du Golfe emmenés par l’Arabie saoudite vis-à-vis des pays occidentaux. Les équilibres sont rompus et des alliances de substitution peuvent être trouvées. Une ère nouvelle s’ouvre. Le centre du monde se déplace vers l’Orient.

 

 

 
Sur la même thématique