ANALYSES

Faut-il boycotter la coupe du monde de football au Qatar ?

Presse
16 novembre 2022
Pensez-vous que le boycott de la Coupe du monde au Qatar doit aussi signifier l’arrêt de la vente des « Rafales », des Airbus, de l’achat de son gaz et de son pétrole ?

Cette déclaration peut paraître être une provocation. Elle ne l’est pas. C’est juste pour remettre les choses en perspective et pour interroger le fait que les demandes de boycotte concerne très souvent avant tout le sport et pas les autres aspects des relations. Il faut aller un peu au-delà des évidences. Les demandes pour boycotter du moins en termes de visionnage – car aucune des 32 équipes qualifiées ne renoncera à sa participation à la Coupe du monde – se basent sur des motifs humanitaires – protester contre le sort des travailleurs immigrés au Qatar – ou écologiques – dénoncer l’absurdité d’une compétition dans un pays où le climat gêne la pratique sportive. Si est clair que les travailleurs immigrés sont traités de façon inadmissible, cela ne concerne pas uniquement ceux qui construisent les stades, mais également ceux qui ont travaillé pour la construction de l’ensemble des infrastructures au Qatar, ou ce qui sont la petite main-d’œuvre qui travaille dans le domaine des services. Mais alors, pourquoi concentrer les protestations sur le seul sport ? Pour faire plier le Qatar et l’amener à modifier sa conduite, c’est l’ensemble des activités qu’il faudrait boycotter. On sait par ailleurs d’expérience que les boycotts partiels n’ont jamais débouché sur quelques résultats que ce soit et que seul un boycott général peut conduire à un résultat, à l’exemple de ce qui fut fait pour l’Afrique du Sud.



Mais bien sûr, les intérêts et enjeux sont tels que personne ne va se priver, surtout en ce moment, du gaz qatari, ni renoncer aux milliards en jeu dans les contrats de fourniture de matériel tant civil que militaire. Donc arrêtons l’hypocrisie, les appels aux boycotts viennent principalement de gens qui en règle générale n’aiment pas beaucoup le sport et se plaignent de l’importance démesurée qu’il a prise. Il y a certes quelques fans qui vont manifester leur opposition de façon sincère. Là encore, il faut réfléchir aux résultats. Le but est-il d’émettre une protestation ou de parvenir à une amélioration de la situation ? Dans ce cas-là, la stratégie des organisations humanitaires telles Amnesty International ou Human Rights Watch me paraît préférable. Il s’agit d’utiliser la Coupe du monde comme d’un levier pour obtenir des concessions de la part du Qatar. Cette stratégie a d’ailleurs payé puisque le Qatar a dû abandonner le système de la kafala et établir un salaire minimum. Aujourd’hui, la situation pour être loin d’être parfaite est meilleure que dans les autres pays de la région ainsi que l’a constaté l’Organisation internationale du travail (OIT). Amnesty vient de publier un long communiqué où elle relève quelques progrès et les efforts qu’il convient de continuer à faire. Elle demande notamment au Qatar de mieux faire appliquer sa propre législation en poursuivant les entreprises qui ne respectent pas les règlements.

Vous dites que l’évènement ayant lieu en novembre, les stades ne seront probablement pas climatisés. Pourquoi invoquer dans ce cas systématiquement cet argument ?

Il aurait été très difficile de jouer la Coupe du monde en été au Qatar par des températures de plus de 50 degrés. Aussi le Qatar a-t-il proposé de climatiser les stades afin de permettre que la compétition se déroule dans des conditions physiquement satisfaisantes.

Par la suite, il a été décidé de modifier le calendrier et de faire jouer la compétition en novembre/décembre. Cela s’accompagner d’une réflexion plus globale sur l’inversion des calendriers. Ne faut-il pas faire plutôt une pause dans les championnats en hiver quand les températures sont négatives en Europe plutôt que de continuer à la faire en été, tradition liée aux congés payés ?

En novembre, les températures étant d’environ 25 degrés, comparables à celle du printemps en Europe, il ne sera plus nécessaire de climatiser les stades. Surtout, lorsque la décision était prise d’attribuer la Coupe du monde au Qatar en 2010, la question climatique ne se posait pas pour les compétitions sportives. Les exigences du respect de l’environnement sont apparues par la suite.

Désormais, aucun dossier de candidature pour les Jeux olympiques ou la Coupe du monde ne pourra échapper à cela. Mais en même temps, on ne peut organiser des compétitions seulement dans les pays à climat tempéré. Nous avons bien des patinoires en France et chauffons des piscines.

On connait l’impact d’un tel évènement sur l’actualité géopolitique. Faut-il s’attendre à certains matchs décisifs ?

Bien sûr, en terme géopolitique, le premier match qui vient en tête est celui qui aura lieu entre les États-Unis et l’Iran, la malice du tirage au sort ayant mis les deux nations dans le même groupe. On se rappelle qu’en 1998 ; il y avait déjà eu une telle opposition. Et à la divine surprise, les choses s’étaient extrêmement bien passées, les deux équipes posant même mélangées et non pas côte à côte, séparés dans les photos d’avant match. Mais à l’époque, chacun essayait de se rapprocher de l’autre. Le président Khatami cherchait à adoucir la politique extérieure iranienne et le président Clinton était également dans une politique de réconciliation. Le match était venu à point nommé. La qualification de l’Iran pour la Coupe du monde avait même été vécue comme une victoire des réformateurs contre les conservateurs qui sont loin d’apprécier ce sport en Iran. Cette année, la situation a totalement changé. Même si Biden a déclaré vouloir relancer les négociations autour de l’accord sur le nucléaire - rompu par Donald Trump lorsqu’il était président – les relations entre Washington et Téhéran sont particulièrement orageuses. Les ultraconservateurs ont repris le pouvoir à Téhéran, les modérés ont été discrédités par l’absence de résultats, et il y a une contestation très vigoureuse du régime à la suite de la mort d’une jeune fille interpelée par la police parce qu’elle ne portait pas de façon satisfaisante le voile. Le régime tremble sur ces bases du fait d’une situation sociale et économique dramatique et d’une aspiration très forte de la société iranienne à vivre normalement. Plusieurs joueurs de l’équipe nationale de football ont d’ailleurs pris position en faveur de la contestation ce qui a rendu furieux le régime. Mais la fourniture de drones iraniens à la Russie a soulevé des demandes d’exclusion de l’Iran de la Coupe du monde, ce qui a très peu de chances de survenir.

Un second match risque d’être explosif, celui entre la Suisse et la Serbie, dans la mesure où quelques joueurs suisses sont d’origine kosovare. Dans un match lors de la Coupe du monde de 2018, un joueur suisse avait célébré un but en faisant le signe de l’aigle bicéphale, symbole de la Grande Albanie, ce qui avait provoqué la colère des Serbes.

Y a-t-il des éléments liés au conflit israélo-palestinien dans les demandes de boycott ?

Ce n’est pas la majorité de ce courant, mais cela peut exister. On sait en effet que le Qatar est l’un des soutiens du mouvement des frères musulmans et qu’il avait été très actif dans les révolutions arabes. Il est par ailleurs l’un des soutiens du Hamas à Gaza. Il était l’un des pays arabes qui a le plus protesté contre les interventions militaires d’Israël à Gaza et fournit une aide substantielle aux territoires. Par ailleurs, contrairement aux Émirats arabes unis et à Bahreïn, il n’a pas signé les accords d’Abraham de normalisation des relations avec Tel-Aviv. Il n’a pas non plus opéré le rapprochement diplomatique que l’Arabie Saoudite a fait vers Israël. Avant 2009, le Qatar était l’un des pays arabes qui avaient les contacts les plus développés avec Israël, cela n’est plus le cas désormais. Mais en réalité, l’aide accordée par Doha est faite en accord avec Tel-Aviv. Israël est plutôt content de voir ce financement permettre d’améliorer la situation et de la rendre plus supportable et d’éviter ainsi de nouvelles explosions de colère de la population.

 

Propos recueillis par Alexandre Gilbert pour The Times of Israel.
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