ANALYSES

Afghanistan : pourquoi la fermeture des écoles de filles témoigne « de divergences » au sein des talibans

Presse
23 mars 2022



Quelles ont été les réactions des jeunes filles afghanes ?
Il était prévu depuis trois mois que les écoles rouvrent ce mercredi dans l’ensemble du pays pour les filles. C’était un jour de rentrée scolaire. Or, à la dernière minutes les élèves ont trouvé les portes fermées. Sur les réseaux sociaux afghans, j’ai vu des images de jeunes filles en pleurs devant les grilles des écoles circulent. C’est dramatique.

Comment expliquer cette décision ?


Il faut noter que les talibans ont promis à plusieurs reprises d’ouvrir les écoles et que dans certaines provinces c’est le cas depuis plusieurs mois. Mais à ce sujet, il existe des divergences très importantes entre trois courants du régime : la branche traditionnelle, au sein de laquelle cohabitent deux mouvements – dont l’un est dirigé par le ministre de la Défense, Mohammed Yaqoub, le fils du mollah Omar, le fondateur des talibans –, et une branche radicale, ouvertement terroriste. L’annonce d’aujourd’hui montre que les désaccords n’arrivent pas à être réglés.

Sur quoi porte cette divergence ?
Elle porte sur les différentes exigences de la communauté internationale pour la reconnaissance du régime ou pour la mise en place d’une politique de coopération. La communauté internationale à trois exigences envers les talibans : la mise en place d’un gouvernement représentatif de l’ensemble de la société afghane – ce qui n’a pas été fait –, le respect des droits de l’homme et notamment des droits des femmes concernant le travail, l’éducation et l’alimentation et enfin la lutte contre le terrorisme. À ce jour, aucun pays n’a reconnu le régime des talibans. Et les Américains ont menacé de sanctions tous les pays qui pourraient établir des relations avec les talibans, bien avant que les talibans ne fassent des mouvements sur ces questions des droits de l’homme.

Qu’est-ce qui pose alors problème dans la réouverture des écoles ?


Il ne s’agit pas pour commencer de la question de l’éducation des jeunes filles. La branche radicale, qui était contre 25 ans auparavant a changé d’avis, notamment parce qu’ils ont trouvé des extraits dans les textes sacrés dans lesquels il est fait mention de l’éducation des jeunes filles. Les tensions portent désormais sur le port de l’uniforme et plus généralement sur la tenue que doivent adopter les étudiantes dans les établissements scolaires. La branche radicale refuse que les jeunes filles puissent aller à l’école le visage découvert. Ils veulent imposer les vêtements des salafistes, un vêtement haï par les Afghanes.

Quelle suite peut-il y avoir à cette décision ?
Cela dépend de deux choses : la mobilisation de la jeunesse sur les réseaux sociaux, qui joue un grand rôle en Afghanistan. Elle a d’ailleurs déjà commencé et il ne faut pas la sous-estimer. Et la fermeté de la communauté internationale et leur volonté de maintenir la pression sur les talibans. Ces derniers ont un choix à faire : soit ils gouvernent un État, soit ils restent un mouvement rebelle qui n’aura aucune responsabilité politique envers la population ou la communauté internationale. À ce jour, ils veulent gouverner. Ils ont la responsabilité d’un État et ils ont donc besoin d’avoir des relations internationales et de l’aide internationale parce qu’ils sont démunis face à la situation humanitaire dans le pays et à la pauvreté. Par exemple, ils n’arrivent pas à nourrir leurs troupes. Il faut donc que cela se joue sur les sanctions. 75 % du budget de l’État afghan, avant l’arrivée des talibans, provenait de pays étrangers. Le régime des talibans ne peut pas survivre sans aide internationale. Il faut ainsi exiger des actions en échange du dégel de certaines sanctions par exemple.

 


Propos recueillis par Cassandre Riverain pour Le Journal du Dimanche.




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