ANALYSES

Éléments de bilan 2021 au Moyen-Orient et en Afrique du Nord

Tribune
3 janvier 2022
 


Décomposition, affaiblissement et autoritarisme des appareils étatiques

Les conflits armés qui ont marqué de nombreux États de la région au cours des années écoulées semblent avoir connu une baisse d’intensité en 2021. C’est notamment le cas en Syrie et en Libye, le Yémen constituant a contrario une exception puisque les bombardements menés, principalement par l’Arabie saoudite, n’ont pas cessé et aggravent une situation humanitaire catastrophique.

Par-delà ce premier constat, que l’on peut juger positif, il est pour autant notoire que nulle part des solutions politiques pérennes ne s’imposent véritablement. En Syrie, l’autisme politique du régime, se targuant de sa victoire militaire, ne laisse guère augurer ni une forme de gouvernement inclusif ni une amélioration de la situation des populations civiles alors que les besoins économiques pour reconstruire le pays sont gigantesques. La Libye, pour sa part, en dépit de la décroissance des combats, ne parvient pas non plus à se stabiliser réellement, le report sine die des élections présidentielles prévues pour le 24 décembre en est un clair indicateur.

Si les trois pays évoqués possèdent, pour des raisons différentes, plus ou moins les caractéristiques d’États faillis, un quatrième s’ajoute désormais à cette liste avec le cas du Liban. Ce n’est pas, à ce jour, à cause d’une guerre que ce dernier s’affaisse littéralement, mais en raison de la gabegie des responsables politiques et de leur incapacité à mettre en œuvre quelque solution que ce soit que le pays du Cèdre s’enfonce inexorablement dans une crise multiforme que rien ne semble désormais plus pouvoir stopper.

À ces observations s’ajoute celle de la persistance de l’autoritarisme des États de la région. Nulle part les mouvements de contestation ne sont parvenus à remettre en cause le pouvoir d’hommes forts et de régimes prétendant être les seuls à garantir la stabilité, entendre par là leurs capacités à piller les ressources nationales tant la corruption est érigée en système. En outre, l’altération, parfois la nécrose, de nombreux appareils étatiques parvient dans certains cas à transformer les liens d’appartenance nationaux en liens d’allégeances communautaires exclusives, contradictoire avec un processus d’ouverture démocratique. On a pu le constater une nouvelle fois en Irak lors des élections d’octobre 2021 et c’est ce qui se produira certainement au Liban lors de celles théoriquement prévues en 2022.

Significatives recompositions géopolitiques à l’œuvre

Des États que tout avait semblé opposer au cours des dernières années ont manifesté de récents rapprochements dont certains sont spectaculaires, même s’ils n’ont pas encore produit tous leurs effets. Ainsi de la Turquie d’une part, et des Émirats arabes unis, de l’Arabie saoudite ou l’Égypte d’autre part. Alors que ces acteurs se sont mutuellement longtemps voués aux gémonies, de récents progrès sont à souligner. Il faut en prendre la mesure tant, sur quasiment tous les dossiers, les antagonismes étaient forts et entraînaient des affrontements par milices et clientèles interposées.

L’évolution est singulièrement perceptible dans le cas de la Turquie dont les postures utilisées par le président Erdogan ont souvent été singulièrement belliqueuses à l’encontre des trois pays en question. La dure réalité de la situation économique de son pays l’oblige désormais à plus de réalisme, voire la recherche de partenariats tangibles. Pour leur part, les pays arabes concernés, manifestent la prise de conscience que la stabilisation régionale à laquelle ils aspirent ne peut se réaliser sans la reprise de relations dignes de ce nom avec Ankara puisqu’aucun État arabe n’est en mesure à lui seul d’assumer aujourd’hui un rôle de régulateur régional. On le voit, partant de présupposés différents, les intérêts sont en l’occurrence convergents. Les dynamiques à l’œuvre indiquent assez clairement la volonté de parvenir à une normalisation autoritaire de la région après la période des soulèvements révolutionnaires initiés en 2011, et de cesser les rivalités contre-productives avec la Turquie et le Qatar.

En outre, tout particulièrement dans le cas des Émirats arabes unis, les responsables politiques considèrent que les Accords d’Abraham contractés avec Israël ne peuvent pas constituer l’alpha et l’oméga de leur politique régionale.

Toujours au titre des recompositions géopolitiques à l’œuvre, on peut aussi constater la normalisation graduelle, bien qu’inachevée, de la Syrie dans le jeu des relations régionales. Alors qu’elle avait été suspendue de la Ligue des États arabes en 2011, on peut considérer que sa réintégration se réalisera dans les court ou moyen termes, notamment sous l’impulsion des Émirats arabes unis, avec l’appui de la Jordanie et de l’Égypte, et le soutien plus discret de l’Arabie saoudite.

À l’inverse de ces mouvements de convergences politiques, la situation prévalant entre le Maroc et l’Algérie s’est considérablement dégradée, aboutissant à la rupture de leurs relations diplomatiques au mois d’août 2021 et à un préoccupant accroissement des tensions. Si l’hypothèse d’une guerre est peu probable, les blocages structurels affectant les pays du Maghreb sont radicalement contre-productifs et ne paraissent pas en voie d’être résolus.

Centralité maintenue du conflit israélo-palestinien

Alors que nombre de commentateurs estimaient que le dossier israélo-palestinien devenait de plus en plus secondaire sur l’échiquier des relations régionales, les faits ont une fois de plus démontré l’inanité de telles assertions. En effet, la crise de mai 2021 a replacé ce dossier au centre des préoccupations internationales. En dépit de la gravité des pertes humaines et matérielles, principalement dans la bande de Gaza, c’est la dimension politique qui s’avère essentielle pour l’avenir. Les multiples colères du peuple palestinien ont coagulé en un combat commun. De Jérusalem à Gaza et de la Cisjordanie aux Palestiniens d’Israël, ont partout resurgi les revendications exigeant l’application du droit international, surprenant ladite communauté internationale qui semblait avoir fermé les yeux sur ce dossier toujours non réglé. Au moment où l’Autorité palestinienne apparait totalement discréditée, c’est donc une reconfiguration des rapports de force et des modes de représentation politique au sein du peuple palestinien qui est perceptible.

Une partie des enjeux va se concentrer au cours des mois prochains sur la Cour pénale internationale (CPI), dont la Palestine est membre depuis 2015. Cette juridiction internationale s’est en effet déclarée compétente et a décidé d’ouvrir une enquête sur trois dossiers concernant les Territoires palestiniens. Le premier a trait aux crimes commis lors de la guerre de Gaza en 2014, le deuxième à la répression de la marche du retour en 2018 (200 morts et des milliers de blessés), le troisième enfin portant sur la colonisation juive en Cisjordanie elle-même, puisque la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre (1949) interdit de modifier la démographie d’un territoire occupé. Ce dernier point constitue le sujet le plus sensible pour Israël, puisqu’il est consubstantiel aux objectifs de ses responsables politiques actuels. Cette enquête de la CPI sera donc un enjeu essentiel des années à venir, sur lequel on pourra constater si la position de l’administration Biden marque une véritable rupture, ou non, avec celle de Donald Trump en respectant l’indépendance de la juridiction internationale. On doit néanmoins préciser que ni les États-Unis ni Israël ne sont parties au Statut de Rome instituant la CPI. Il permettra aussi de voir comment les composantes de la « communauté internationale » se disposeront quant aux conclusions de la Cour.

L’investiture, le 13 juin 2021, de Naftali Bennett au poste de Premier ministre, confirme l’extrême droitisation du pays ce qui laisse peu d’espoirs d’amélioration de la situation des Palestiniens si une initiative internationale n’est pas initiée, ce qui reste dans le court terme peu probable.

Blocage des pourparlers avec la République islamique d’Iran

Les espoirs fondés par la reprise des contacts entre négociateurs iraniens et français, allemands, britanniques, russes et chinois, après la dégradation accélérée des relations induite par la décision unilatérale de Donald Trump de dénoncer l’accord sur le nucléaire de juillet 2015, n’ont à ce jour pas donné les résultats escomptés et piétinent, tant les divergences sont grandes. L’élection du conservateur Ebrahim Raïssi à la présidence de la République islamique d’Iran dès le premier tour du scrutin du 18 juin 2021, avec 62% des suffrages et un taux de participation de 48%, qui fait suite à l’écrasante victoire des conservateurs aux législatives de février 2020, n’augurent pas de la possibilité de parvenir à un compromis rapide, sinon d’un hypothétique vague accord intérimaire. Les conservateurs iraniens, qui ont toujours marqué leurs réticences à l’égard de l’accord sur le nucléaire, ont beau jeu de dénoncer la duplicité des puissances occidentales depuis la décision de Donald Trump, et jouent avec habilité sur la fibre patriotique en Iran ce qui leur assure les succès électoraux évoqués. L’ampleur des accords économiques contractés avec la Chine permet par ailleurs à l’Iran de bénéficier d’un répit face aux sanctions états-uniennes, même si la situation générale du pays reste très dégradée.

En outre, on peut souligner la visible volonté des États arabes du Golfe de procéder à une forme de normalisation mesurée de leurs relations avec l’Iran. La visite du propre frère de Mohamed ben Zayed, l’homme fort des Émirats arabes unis, à Téhéran où il a rencontré le président Raïssi ou encore le fait que le Conseil de coopération des États arabes du Golfe se déclare prêt à revenir à l’accord nucléaire de 2015 sont des signes manifestes des évolutions en cours. Les monarchies du Golfe indiquent en ce sens qu’elles sont finalement moins préoccupées par la menace nucléaire que par les missiles balistiques iraniens ou les milices proches de Téhéran qui existent dans la région et possèdent une forte capacité de nuisance. Le seul État de la région qui se maintient sur une position ultimatiste est Israël, ce qui lui vaut sur ce dossier un relatif isolement.

 
Sur la même thématique