ANALYSES

Pire que le déclin démographique, voilà la menace méconnue qui fragilise le plus la Chine

Presse
31 décembre 2021
Interview de Emmanuel Lincot - Atlantico
La Chine possède 20% de la population mondiale mais seulement 7% de son eau douce. De plus, selon certaines estimations, 80 à 90% des eaux souterraines de la Chine et la moitié de ses eaux fluviales sont trop sales pour être consommées. Quelles pourraient être les conséquences de ce manque d’eau ? Peut-on y voir un impact sur l’agriculture mais aussi sur l’industrie chinoise ? 

La situation est dramatique en Chine puisque 400 millions de Chinois dans le nord-ouest du pays sont confrontés au problème de la sécheresse et à l’avancée du désert de Gobi. En 2008 déjà, en plein JO de Pékin, la capitale avait été exposée à de graves pénuries en eau. Le stress hydrique est un enjeu géopolitique tant entre communautés Han, Hui qu’Ouïgoure (ces deux dernières étant musulmanes) et l’état des relations intercommunautaires est rarement abordé sous cet angle. Des projets pharaoniques sont par ailleurs engagés par le gouvernement central pour détourner le cours des fleuves de l’Himalaya comme le Brahmapoutre et utiliser les ressources des glaciers afin d’alimenter les oasis du Xinjiang. Outre les problèmes écologiques qu’ils vont susciter s’ils se réalisent un jour, ils vont s’ajouter aux tensions qui opposent les Chinois aux Indiens. Enfin, la croissance non maîtrisée et ce, s’inspirant du modèle soviétique, a provoqué des dégâts irréversibles quant à la pollution des sols et des nappes phréatiques, au mercure notamment. Se pose depuis longtemps déjà la question de la sécurité alimentaire pour la Chine dans sa double acception : sanitaire mais aussi quant à sa dépendance des marchés extérieurs. Tout en découle : une crise de confiance des consommateurs chinois par rapport aux produits alimentaires chinois qui plus d’une fois dans l’histoire récente du pays a débouché sur des crises graves (grippes aviaire et porcine…).

 

En construisant une série de barrages géants sur ses principaux fleuves, Pékin pourrait-il se mettre à dos certains de ces voisins asiatiques ? Pourrions-nous observer, dans les années à venir, une « guerre de l’eau » ?


Emmanuel Lincot : vous évoquez principalement ceux du Mékong et des tensions qui opposent en effet la Chine aux pays de l’Asie du Sud-Est que ce fleuve traverse. La Commission du Mékong – dont ne fait pas partie la Chine – tente par une voie concertée d’opposer des arguments de fond à la Chine mais en vain car que ce soit au Laos ou au Cambodge les élites dirigeantes sont corrompues et ne résistent pas à la manne financière que leur offre Pékin. Le seul pays qui dans cette configuration a davantage les moyens de résister en mobilisant son opinion est le Vietnam. Mais cela ne suffit pas et une concertation plus générale entre les partenaires serait souhaitable d’autant que la région présente des risques de sismicité et qu’en Chine même (au Yunnan…) la population peut être confrontée à des ruptures de ces barrages qui, vous l’imaginez, auraient des conséquences dramatiques.

La Chine est obligée de détourner l’eau de ses régions relativement humides vers le nord, frappée par la sécheresse. Quel est le coût logistique et financier de ces détournements ? 

C’est le projet Nanshui Beidiao Gongcheng lancé il y a déjà près de deux décennies et qui trouve ses origines dans le souhait que Mao Zedong avait déjà dans les années cinquante d’alimenter le Fleuve Jaune par les fleuves du sud avec un constat en effet que les régions du sud du Fleuve Bleu ont, elles, des ressources en eau en abondance tandis que celles du nord souffrent de pénuries. Dans son ensemble, ce projet devrait être achevé en 2050, et devrait détourner à terme 45 milliards de mètres cubes d’eau. En 2014, 79 milliards US$ avaient déjà été dépensés. Là encore, le risque de bouleversement des écosystèmes associé au déclin démographique risque de rendre ce projet caduc avant même qu’il ne voie le jour.

Le gouvernement chinois pourrait-il trouver d’autres solutions pour combler ce manque ? 

Un fort intérêt est porté par la Chine aux technologies du dessalement de l’eau de mer. Le pays investit particulièrement dans les centrales fonctionnant avec les technologies membranaires. Parmi celles-ci, la purification de l’eau par osmose inverse, complexe, mais peu gourmande en énergie, a été privilégiée. Elle représente 84% des stations de dessalement chinoises, l’éléctrodéionisation 2% et l’électrodialyse 2%. Les technologies thermiques de distillation et d’évaporation à effet multiple comptent respectivement pour 10% et 2%. Des centres de recherche dédiés à l’étude de ces technologies ont été créés à Hangzhou et Tianjin.

La situation pourrait-elle s’aggraver dans les années à venir ? 

C’est le problème majeur pour la Chine et ses voisins. Plus gros pollueur au monde, la Chine voit en moyenne chaque année entre 75000 et 180000 manifestations s’organiser au sein de la population civile contre la pollution. C’est-à-dire qu’en dehors de la période de la pandémie, vous aviez environ 500 manifestations par jour directement liées aux problèmes environnementaux. Si vous ajoutez ce problème à celui de la sécurité alimentaire discuté plus haut, le cocktail est explosif. Et l’après Covid-19 ne va rien arranger du tout en termes de revendications à venir. Donc ma réponse est affirmative. La situation va se dégrader y compris d’un point de vue des relations entre la Chine et ses plus proches voisins.

 

Propos recueillis par Atlantico.
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