ANALYSES

Nucléaire iranien : entre négociations et sanctions

Interview
20 décembre 2021
Le point de vue de Thierry Coville
 


Après plusieurs années de rupture sous la présidence Trump, les États-Unis sont revenus dans les négociations sur le nucléaire iranien le 29 novembre 2021. Durant cette période de rupture, l’Iran a avancé sur son programme nucléaire et élu un gouvernement aux ambitions différentes de celles de son prédécesseur, se retrouvant sous le feu de nouvelles sanctions. Entre sanctions étasuniennes et négociations, où en est la relation entre les États-Unis et l’Iran ? Le point avec Thierry Coville, chercheur à l’IRIS, spécialiste de l’Iran.

Washington vient d’imposer des sanctions à l’Iran pour violations de droits humains. Quelles sont-elles et quel impact ces sanctions peuvent-elles avoir sur les relations États-Unis/Iran ?

Les États-Unis ont décidé de sanctionner l’Iran, pour non-respect des droits de l’homme, en incluant plusieurs responsables de l’appareil sécuritaire iranien, sur la liste des personnes et organisations qui seront désormais bannies de toute transaction avec les États-Unis. Du fait du caractère extraterritorial de ces sanctions, aucune banque au monde ne pourra faire de transaction avec ces personnes. En outre, les États-Unis ont annoncé avoir saisi des stocks d’essence et d’armes que l’Iran voulait envoyer au Yémen et au Venezuela. Ces mesures interviennent alors que des négociations venaient de commencer à Vienne fin novembre 2021 au sujet d’un possible retour des États-Unis dans l’accord sur le nucléaire de 2015. Ces négociations avaient débuté en avril à Vienne et avaient été arrêtées fin juin à cause de l’élection présidentielle en Iran. Les négociations qui viennent de reprendre fin novembre à Vienne sont désormais dirigées du côté iranien par une équipe liée au nouveau gouvernement d’Ebrahim Raïssi.

Ces sanctions relèvent sans doute d’une stratégie de pression sur l’Iran : Téhéran doit comprendre que les négociations ne peuvent pas durer éternellement. L’idée, c’est d’envoyer un message à Téhéran en lui disant qu’il y a un plan B, à savoir que si le pays ne négocie pas vraiment à Vienne et veut perdre du temps, les États-Unis l’appliqueront. Ce plan consisterait justement à mettre en place de plus en plus de sanctions contre l’Iran pour le forcer à véritablement négocier.

Parallèlement, les négociations sur le nucléaire iranien ont repris le 29 novembre. Que sait-on de l’avancée du programme nucléaire iranien et où en sont les négociations ?

Depuis la mi-2019, l’Iran a décidé de sortir progressivement de l’accord de 2015. Au niveau de son programme nucléaire, Téhéran commence à avoir un stock d’uranium enrichi bien supérieur à ce qui était prévu par l’accord. Par ailleurs, le taux d’enrichissement d’uranium pratiqué par l’Iran s’élève maintenant à 60 %, sachant que le taux « militaire » est de 90 % et que le taux auquel Téhéran a droit selon l’accord de 2015 est de 3,7 %. Les Iraniens se sont donc considérablement écartés des limites de l’accord de 2015. Il s’agit de la conséquence directe de la sortie des États-Unis de l’accord. On n’en serait donc pas là si Trump n’était pas sorti de l’accord en mai 2018. On se retrouve dès lors toujours avec les mêmes discours. Du côté iranien, Téhéran explique faire cela parce que Washington est sorti de l’accord. L’ambition des Iraniens est de mettre la pression sur les États-Unis et les l’Union européenne pour leur faire comprendre qu’ils doivent supprimer le plus vite possible les sanctions. S’ils suppriment celles imposées par Trump depuis 2018, alors les Iraniens reviendront automatiquement à l’accord de 2015. De l’autre côté, cette situation fait peur aux Occidentaux. Le programme nucléaire iranien se développe et on se retrouve avec une réduction continue du « break-out time », c’est-à-dire le temps qu’il faudrait à l’Iran pour fabriquer une bombe nucléaire s’il le décidait. Ce temps s’est effectivement considérablement réduit du fait que le pays est sorti de l’accord de 2015 selon les experts.

Néanmoins, tout est dans l’intention. Or justement, les Iraniens disent qu’ils n’ont pas pour objectif de se doter de l’arme nucléaire. Toujours est-il que bien qu’ils n’aient pas l’intention de fabriquer une bombe nucléaire, le programme nucléaire des Iraniens s’est considérablement éloigné des limites posées par l’accord de 2015. Cependant, on note un léger progrès parmi les mesures qu’a pu prendre le nouveau gouvernement du pays. De fait, si Téhéran refuse les inspections de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), il vient de conclure un accord avec l’organisation pour remplacer les caméras qui avaient été endommagées dans le centre nucléaire de Karaj. Aussi, l’Iran est-il aujourd’hui en train de renouer le dialogue avec l’AIEA, ce qui est un point positif.

Les États-Unis annoncent chercher des alternatives à l’accord sur le nucléaire iranien. Quelles sont-elles alors que la région est au bord d’une crise ouverte et que certains pays renouent le contact avec l’Iran à cause de ce désengagement américain ?

On peut voir deux stratégies alternatives possibles. La première stratégie, c’est que les États-Unis accroissent leur pression économique, et donc mettent de plus en plus de sanctions contre l’économie iranienne pour les forcer à négocier. La seconde stratégie, c’est la guerre. D’après ce que disent tous les experts sur le dossier, si les négociations à Vienne n’aboutissent pas, les Américains devraient accroître les sanctions et notamment celles sur la Chine. De fait, les exportations de pétrole de l’Iran avoisinaient les 200 000 barils par jour fin 2020 au moment de l’élection de Trump. Elles seraient maintenant montées à 600 000 barils par jour. Or, c’est essentiellement la Chine qui achète du pétrole à l’Iran, d’où de possibles nouvelles pressions sur Pékin dans le futur. On note néanmoins que l’on est encore aujourd’hui très loin des exportations de pétrole iranien de début 2018, qui étaient de 2 millions de barils. Mais l’Iran est arrivé à augmenter peu à peu ses exportations de pétrole depuis la fin de 2020.

Au niveau de l’alternative militaire, elle existe. Les autorités américaines en parlent et une discussion avec Israël a eu lieu sur ce sujet. Cette hypothèse semble pour le moment être assez peu probable du côté américain : les États-Unis se sont retirés d’Afghanistan, ils se désengagent d’Irak, et les risques induits par une action militaire contre les sites iraniens semblent énormes. De fait, l’Iran répondrait sans doute aux attaques en « régionalisant » le conflit. Le discours est différent du côté d’Israël : historiquement, ce pays a toujours dit qu’il était prêt, si nécessaire, à frapper les sites nucléaires iraniens. La prudence est donc de mise et même si des discussions ont lieu entre les États-Unis et Israël, on est encore loin d’en arriver à l’alternative militaire.
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