ANALYSES

Covid-19 : de la nécessité d’inscrire la lutte contre la pandémie dans le temps long

Interview
25 novembre 2021
Le point de vue de Anne Sénéquier


Alors que le monde affronte la pandémie de Covid-19 depuis bientôt deux ans, certains pays européens connaissent des tensions suite à leurs nouvelles annonces pour stopper la nouvelle vague. Crise économique et sociale, répartition des vaccins à l’échelle mondiale et nouveaux traitements :  il est nécessaire d’inscrire la lutte contre la pandémie dans le temps long pour gagner en efficacité selon Anne Sénéquier, chercheuse à l’IRIS, co-directrice de l’Observatoire de la santé mondiale.

Pays-Bas, Autriche, Belgique, etc. : nombre de pays européens font face à des manifestations contre le rétablissement de restrictions sanitaires face à la nouvelle vague. Quel regard portez-vous sur ces tensions en Europe ? Le rétablissement de restrictions sanitaires aurait-il pu être évité ?

Les manifestations qui ont cours montrent la lassitude des Européens envers les mesures de restrictions et la situation sanitaire qui impactent leur vie. Il y a un problème évident de communication depuis le début de cette pandémie. Devant notre innocence historique face aux pandémies modernes, les gouvernements européens ont tous répondu en prenant une temporalité courte : « Il faut se confiner ici et maintenant pour être débarrassés de la pandémie dans 15 jours ». Nous avons complètement occulté la possibilité d’une temporalité plus longue, alors même que le monde médical et scientifique tentait d’alerter l’exécutif et la population tout en étant accusé d’être trop alarmiste. Dès le départ, cette temporalité courte dans les efforts à faire, dans les mesures à prendre, a créé une impatience qui aujourd’hui prend toute sa dimension, génèrant une incompréhension et une perte de confiance envers les autorités, qu’elles soient politiques ou sanitaires.

La sémantique utilisée dans votre question, très souvent reprise dans les médias, marque les esprits en instillant le fait qu’il s’agit de mesures de « restrictions » alors qu’il s’agit de mesure de « protection » de la population. Il est tout de même question d’éviter le décès de nos plus vulnérables. Devant ce décalage d’appropriation des mesures, on comprend aisément la colère de certains. Aujourd’hui, la crise n’est plus seulement sanitaire. Elle est devenue économique et sociale, nous faisant donc changer de référentiel. Lorsque le premier confinement est arrivé, on s’est tous dit qu’il valait mieux faire cet effort plutôt que de voir nos proches être atteints. Désormais, face à ces mesures on y oppose la possibilité de vivre au quotidien, d’avoir une activité professionnelle qui permet de maintenir le niveau de vie des familles, garder une vie sociale qui permettrait de ne pas tomber dans l’anxiété voire la dépression. La comparaison n’est donc plus aussi franchement en faveur des mesures de protection : il y a trop à perdre. D’autant plus pour les personnes qui ont déjà perdu tout cela, et pour qui le maintien de ces mesures signifie une impossibilité d’améliorer leur situation.

On constate que les autorités ne peuvent que suivre les vagues pandémiques sans arriver à juguler quoi que ce soit, les mesures miracles sont présentées les unes après les autres sans tenir leurs promesses. Aujourd’hui, il est nécessaire d’inscrire la lutte contre le Covid-19 dans le temps long. Cela ne veut pas dire qu’il y aura des confinements tout le temps, mais qu’on va devoir adapter les mesures au fur et à mesure des flux et reflux de la pandémie. Avec des phases plus tranquilles et des phases où il faudra savoir fédérer les bonnes intentions.

Au milieu de tout cela, la gestion de la pandémie et son appropriation sont largement compliquées par l’infodémie (cf. l’Observatoire (Dés)information & Géopolitique au temps du Covid-19 de l’IRIS) en faisant circuler croyances et fausses informations sur la pandémie elle-même. La gestion de l’infodémie brouille la compréhension et accentue la défiance générale.

Plus de 7,3 milliards de doses de vaccins contre le Covid-19 ont été administrées dans le monde avec des politiques et moyens différents selon les pays. Comment analysez-vous la répartition vaccinale mondiale ?

Soyons honnêtes, la répartition vaccinale mondiale est le véritable échec de cette pandémie. Devant un problème qui nous touche tous dans notre humanité, nous n’avons pas su imposer le bon sens et la nécessité d’une vaccination mondiale simultanée. Un virus transmissible et qui a prouvé sa capacité de mutation ne doit pas être libre de circuler où que ce soit dans le monde. Si l’on veut diminuer sa capacité à circuler et donc sa possibilité de muter, il nous faut penser global. Et c’est ce que nous n’avons pas su faire. Tout le monde a parlé du vaccin comme bien commun de l’humanité, mais devant la vague, tout le monde a choisi une approche nationaliste au détriment de la coopération internationale. Oui le système COVAX existe, oui les pays occidentaux le financent et font des dons en vaccins…, mais seulement après avoir sécurisé leurs propres approvisionnements. Une étude de la Northeastern University qui travaille depuis des années sur la modélisation de la transmission de la grippe a établi deux scénarios. L’un des deux partageait les doses disponibles de manière équitable dans les différents pays. Dans ce scénario, les décès du Covid-19 sont réduits de l’ordre de 66%, contre 33% dans le premier scénario où les vaccins sont distribués prioritairement aux pays à revenus élevés. C’est ce qui s’est passé.

On se rend alors compte que devant un problème « qui nous touche tous dans notre humanité », on se doit d’avoir une réponse globale pour diminuer le nombre de décès. Rappelons-nous que la vaccination, à ce jour, ne protège que des formes graves et donc des décès. Médicalement est-il plus pertinent de vacciner un jeune dans un pays riche, qui a peu de risques de développer une forme grave, ou une personne vulnérable dans un pays à revenu faible ? Outre l’absence de perspective globale dans notre humanité (oui, laisser des pays ne pas vacciner augmente le risque de voir émerger un nouveau variant qui viendra challenger notre nouvelle immunité chèrement acquise… ce qui nous ramènerait à la case départ), il faut s’inquiéter de voir la communauté internationale ne pas être capable de résoudre un problème qui nous touche tous.

Les maladies émergentes sont un des challenges sanitaires du XXIe siècle. Le changement climatique en est un autre, sans perspectives de vaccin pour celui-ci mais avec seulement notre volonté commune d’affronter un même problème avec des outils loin d’être équitables entre les pays du Nord et du Sud.

La mise au point des médicaments contre le Covid-19 suscite de l’espoir. Où la recherche en est-elle pour le développement de médicaments et le traitement des malades ?

La prise en charge des malades atteints du Covid-19 a énormément évolué depuis début 2020 où l’on avait une approche « par l’expérience ». L’utilisation adaptée des corticoïdes et de l’oxygénothérapie a déjà eu un impact majeur. Cependant, nous attendions toujours les antiviraux qui agissent en diminuant la capacité du virus à se répliquer. Ils inhibent l’action d’une protéase virale qui permet d’éviter l’assemblage des protéines virales. En résumé, lorsqu’une cellule est infectée, elle va produire des protéines virales qui vont devoir s’assembler en se collant les unes aux autres pour former un nouveau virus. Avec l’inhibiteur de protéase (l’antiviral donc), les morceaux de virus ne peuvent plus se rassembler et donc ne peuvent pas former un nouveau virus qui irait contaminer la cellule voisine. C’est donc une molécule qui était très attendue.

Le traitement du laboratoire Merck est le Molnupiravir. Le laboratoire affirme son caractère non mutagène ou génotoxique sur les modèles mammifères in vivo. La Food and Drug Administration aux États-Unis devrait rendre un avis à partir du 30 novembre prochain. De son côté, Pfizer annonce sa pilule antivirale Paxlovid. Elle diminuerait de 89% les décès et hospitalisations avec une prise à moins du troisième jour de l’apparition des symptômes du Covid-19. Si tout va bien d’ici là (absence d’apparition d’effets secondaires non identifiés à ce jour), nous pourrions voir arriver ces traitements au début 2022, ce qui permettrait de consolider notre boîte à outils thérapeutiques.

Un vaccin, des mesures barrières et un traitement efficace combinés ensemble sont probablement la clef d’une insouciance sanitaire retrouvée…, même si nous attendons toujours un vaccin bloquant la transmission du virus.
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