ANALYSES

Relation avec la Chine : le bilan très mitigé du quinquennat Macron

Presse
7 novembre 2021
Interview de Emmanuel Lincot - Atlantico
Cela fait désormais plus de quatre ans qu’Emmanuel Macron est au pouvoir. Quel bilan peut-on tirer de sa politique vis-à-vis de la Chine ? A-t-il réussi à imposer sa marque ? 

Promesse avait été faite par Emmanuel Macron de se rendre au moins une fois l’an en Chine. A sa décharge, la pandémie ne lui aura guère laissé le temps d’honorer celle-ci. Préalablement, les relations ont fini par se tendre entre l’Union Européenne et la Chine mais aussi entre les Etats-Unis et la Chine. Bruxelles est ainsi passée d’un rôle de « partenaire » assigné à Pékin à celui de « rival systémique », gelant par ailleurs, en décembre dernier les accords sur les investissements. C’est dans ce contexte de tensions que la relation bilatérale a souffert. C’est aussi dans cette épreuve qu’Emmanuel Macron a entamé une véritable révolution copernicienne en passant du tout néo-libéral dans sa compréhension des relations internationales à celui d’un retour à la souveraineté. La vulnérabilité de l’Union Européenne à l’égard de la Chine notamment n’est pas étrangère à cette conversion présidentielle. Dans le même temps, tout en maintenant le principe d’une reconnaissance d’une seule Chine (Pékin), la France a décidé d’ouvrir un deuxième bureau de représentation de Taïwan à Aix en Provence. Preuve s’il en est qu’une distanciation a été prise vis-à-vis de la Chine. Il ne fait aucun doute toutefois dans l’agenda de l’Elysée que la Chine reste une priorité. Avoir nommé Walid Fouque, excellent diplomate et fin connaisseur des dossiers chinois, comme conseiller Asie de l’Elysée est en cela un signe. Toutefois, la dénonciation du contrat de vente de nos sous-marins par l’Australie incite sans doute l’exécutif à revoir de fond en comble sa stratégie sur l’Indopacifique. C’est à mes yeux un mal pour un bien car ce projet entrait dans une logique confrontationnelle à l’encontre de la Chine, portée par les Etats-Unis et ses plus proches alliés de l’« anglosphère ». Cette logique n’est pas la nôtre. Cette histoire n’est pas la nôtre. Nous avons une relation ancienne avec la Chine et nous devons la maintenir dans le dialogue et le respect de nos différences.

La politique étrangère française à l’égard de la Chine est-elle en cohérence avec la manière dont l’opinion publique française perçoit la Chine ?

Elle l’est car l’opinion comme le pouvoir sont sortis d’un état de torpeur à l’égard de la Chine ; état qui avait prévalu depuis les années Chirac. Au nom de la multipolarité et d’une singularité française, des concessions aussi étonnantes que la livraison du laboratoire P 4 de Wuhan avaient faites à la Chine. Pour quelle contrepartie ? Nous n’avons à ce jour toujours pas de réponse. Cependant, le regard que l’on porte sur le régime chinois est désormais beaucoup plus critique. Les révélations sur les exactions commises à l’encontre des Ouïgours ou des habitants de Hong Kong, la prise de conscience de l’agressivité des diplomates chinois a considérablement terni l’image de la Chine en France. Un signe qui ne trompe pas : il y a proportionnellement plus d’apprenants du coréen et du japonais en France parmi les jeunes que ceux apprenant la langue chinoise. Maintenant, on aurait tort de s’en tenir aux aléas émotionnels des opinions. Quelle que soit la nature de son régime, la Chine est une puissance incontournable et nous devrons faire avec. Les hommes et les institutions passent. Les pays restent. Il est donc capital que la France maintienne des canaux de communication avec elle.  Et qu’elle prenne de la hauteur par rapport aux projets bellicistes que porte Washington. Position inconfortable me direz-vous. « Être grand, c’est soutenir une grande querelle ! » aimait à dire Hamlet.

A quel point le rapport de l’IRSERM sur les réseaux d’influence Chinois en France montre-t-il que sous-estimer Pékin pourrait-être une grave erreur ? A-t-on réellement conscience des menaces ?

Ce rapport était très attendu. Il pointe du doigt les béances de la France dans son dispositif de sécurité. Les auteurs de ce rapport ont réalisé en cela un inventaire important sur ce que la Chine entreprenait soit par le biais d’associations soit par le recours à des idiots utiles (hommes politiques corrompus, sino-béats de toutes obédiences…) comme relais politiques sur lesquels s’appuyer pour faire prévaloir ses intérêts sur notre propre territoire. Tout cela, au demeurant, était connu des spécialistes. Il suffit de lire les travaux d’Emmanuel Jourda sur le Front Uni, cette officine du Parti Communiste Chinois, finançant nombre d’opérations à l’étranger pour s’en rendre compte. Mais ledit rapport a soulevé un très grand nombre de polémiques. Pourquoi ? Parce qu’il est dit que les Instituts Confucius ou des think tanks tels que l’IRIS, pour résumer, se faisaient les porte-voix de la propagande de Pékin. La presse nationale a largement repris cette idée. Commençons par les Instituts Confucius. Si l’on compte le nombre de leurs antennes y compris en territoires d’Outre-Mer, on dépasse la vingtaine d’établissements. En Chine continentale, la France a, elle, neuf Alliances Françaises, auxquelles s’ajoutent six autres en construction. Nous sommes donc quasiment à parité. Question : que fait-on dans ces Instituts ? On y donne principalement des cours de langue et de cuisine chinoises. La direction est bicéphale : un Français et un Chinois ; ce dernier étant nommé par le Hanban – ou Ministère chinois de l’éducation – et financé par la Chine. Son homologue français et les frais de fonctionnement sont financés quant à eux par les municipalités françaises d’accueil. Il est dit que dans ces Instituts s’exerce une auto-censure. On ne parlera pas des Ouïgours, de Tiananmen, des droits de l’Homme. On oublie de dire que la réciproque est aussi vraie. Je ne connais pas d’Alliances Françaises où l’on s’exprime au grand jour sur ces sujets. Personnellement, j’ai récemment donné une conférence à l’Institut Confucius d’Angers sur les relations franco-chinoises. Mon public était essentiellement constitué de seniors et en l’occurrence je ne me suis pas du tout censuré. Sous-entendre par conséquent le fait que ces Instituts seraient des nids d’espions me paraît peu crédible. Quant à l’IRIS, ledit rapport accable et son directeur, Pascal Boniface, et l’un de ses Chercheurs, Barthélémy Courmont, d’avoir organisé avec le soutien de l’ambassade de Chine à Paris des Forums sur les Nouvelles Routes de la Soie. A leur honneur, ils ont été parmi les premiers à engager une réflexion sur l’un des sujets les plus importants de notre siècle. A une époque, 2017, où nombre d’universitaires et de dirigeants français traitaient par le mépris cet enjeu. Pourquoi leur reprocher d’apprendre dans les risques et les effets de la rencontre ? Parce que les diplomates chinois sont des communistes ? Ils le sont assurément, et ce sont des hommes redoutables et le plus souvent brutaux. Mais un think tank et ses représentants sont, à mes yeux, dans leur rôle d’universitaires quand ils se confrontent à la réalité d’un régime que ni Pascal Boniface ni Barthélémy Courmont ne sauraient par ailleurs et d’aucune façon cautionner, croyez-moi. Il y a un monde entre l’évaluation schmittienne (sur le mode Eux / Nous ; Amis / Ennemis) que peuvent avoir des militaires et la posture, beaucoup plus nuancée, qui est celle des universitaires. Les approches sont différentes et à la fois complémentaires. Ne nous trompons donc pas de cibles. Ce que je crains, pour conclure, c’est que s’instaure, à la veille d’élections électorales importantes, un climat maccarthyste dans notre pays avec pour corollaire une chasse aux sorcières sur fond de « China Bashing ». Ce n’est pas l’idée que je me fais de la démocratie non plus que de la France et de sa recherche. La pluralité de nos approches est nécessaire pour comprendre la Chine. Et la compréhension de celle-ci ne se fera pas sans les Chinois. Une solution existe pour que nous sortions apaisés de ce climat de défiance entre Français et que nous échappions au travers d’une pensée unique. Nous en sortirons tous tirés vers le haut. C’est celle consistant à créer des think tanks européens avec en leur cœur des spécialistes d’horizons très différents. Ils pourraient être à l’origine d’une véritable sinologie européenne.

Alors que la présidentielle 2022 se rapproche, la Chine devrait-elle être un enjeu pour les candidats ? Est-ce le cas ?

Elle s’était déjà subrepticement invitée en 2017 lorsque le candidat Emmanuel Macron rappelait à juste titre que la Chine, pour nous Européens, était un défi que nous n’avions pas suffisamment pris en compte. Sur le plan tactique, il n’est pas impossible que la Chine comme la Russie veuillent distiller des « fake news » pour déstabiliser la campagne. Nous ne devons pas être naïfs. Ce risque existe et devrait constituer l’une des cibles prioritaires de nos services y compris dans nos territoires d’outre-mer telles que la Nouvelle Calédonie ou la Polynésie.

De quelle position vis-à-vis de la Chine la France a-t-elle stratégiquement besoin ?

Avec la Chine, plus que n’importe quel autre pays, nous sommes dans ce qu’un Edgar Morin appelait l’« unidualité » (le fait de travailler sur deux logiques reliées sans que la dualité disparaisse). Le découplage économique n’est pas pour demain, le marché chinois reste l’un des plus attractifs au monde et sur des questions aussi cruciales que le climat, nous ne pouvons pas ne pas tenir compte de la Chine. Nous devons tout simplement redevenir pragmatiques et privilégier la ruse, être moins englués dans nos certitudes idéologiques. En un mot nous devons nous renouveler. Puisse la présidence de l’Union Européenne nous en donner l’opportunité.

 

Propos recueillis par Atlantico.
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