ANALYSES

« Squid Game », « Parasite », K-Pop… Le soft-power sud-coréen à son apogée ?

Interview
22 octobre 2021
Le point de vue de Barthélémy Courmont


L’actuel succès que connait la série Squid Game met en avant la Corée du Sud sur la scène culturelle mondiale, un rayonnement que le pays entretient depuis des années. Pourtant, cette série, tout comme le film multi-primé Parasite s’avèrent très critiques de la société sud-coréenne. Que nous en disent-ils ? Peut-on néanmoins parler de succès du soft power sud-coréen ? L’analyse de Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS.

Si le film Parasite et la série Squid Game ont rencontré un grand succès populaire, ils sont aussi très critiques de la société sud-coréenne. Que nous en disent-ils ?

Ces deux productions, qui sont également les plus grands succès planétaires de la production cinématographique coréenne (Parasite a reçu la Palme d’Or à Cannes et plusieurs Oscars dont celui de meilleur film ; Squid Game a battu le record d’audience lors de sa sortie sur Netflix), ont effectivement en commun de porter un regard critique sur la société sud-coréenne. Y est développé un regard acide sur la course à la réussite sociale, la société de consommation et le système capitaliste. Il s’agit-là de caractéristiques propres à cette société coréenne, qui a connu un véritable miracle économique et a fait de la réussite sociale un objectif à grande échelle et un motif de fierté nationale. On retrouve d’ailleurs, dans la grande majorité des productions du phénomène Hallyu (la vague en coréen), tant les drama que le cinéma ou la Kpop, la mise en avant de cette fierté. On y dépeint une société moderne et dynamique, mais aussi fière de son passé et de ce qu’elle a accompli.

Dans ce décor, Parasite et Squid Game peuvent être assimilés à des produits de contre-culture, qui portent un regard critique et acide sur cette société. Leur succès à grande échelle témoigne de l’évolution du soft power coréen, qui est au départ inscrit dans une dynamique de Nation branding, et offre aujourd’hui un éventail plus large. On peut y voir une forme de maturité, d’autant qu’il ne s’agit pas de cas isolés, mais d’une tendance qui se retrouve aussi dans l’industrie musicale ou les arts. Et cette maturité est celle de la société coréenne, qui tout en restant fière de ce qu’elle a accompli se permet désormais de porter un regard critique sur un système parfois rigide et conformiste, et un capitalisme porté par les Chaebols que les Coréens n’hésitent plus à montrer du doigt.

Musique, cinéma, séries… Pourquoi la culture sud-coréenne s’exporte-t-elle si bien ? Avec quelles retombées ?

Le soft power coréen, souvent qualifié de Hallyu (terme péjoratif à la base, utilisé pour la première fois par un journaliste chinois à la fin des années 1990), a connu plusieurs périodes. Au début des années 1990, quelques années après la démocratisation, il se traduisait par la production d’une culture populaire pour un public national, avec quelques succès en Chine (justifiant les critiques et l’appellation de « vague »). Après la crise asiatique de 1997, qui a fortement affecté la Corée, ce soft power s’est traduit par une véritable industrie portée par les grands groupes, et visant à l’exportation vers le reste de l’Asie, l’Asie du Sud-Est surtout. C’est dans ce contexte que la K-Pop a commencé à s’exporter, et que des dramas comme Winter Sonata (2002) connurent un grand succès dans des pays de l’ASEAN. La troisième vague, au début des années 2010, visait un public élargi, avec notamment les premiers concerts de K-Pop dans le monde occidental ou le succès phénoménal de « Gangnam Style » de Psy. Les retombées sont avant tout commerciales, avec non seulement le produit de la vente de cette industrie, mais aussi les innombrables placements de produits. C’est aussi la promotion d’un modèle de société que l’on retrouve dans les productions du soft power coréen, ce qui explique pourquoi les autorités ont choisi de s’y impliquer, avec la création de plusieurs agences chargées de la promotion de Hallyu. L’image de la Corée du Sud dans plusieurs pays asiatiques, notamment en Asie du Sud-est, fut considérablement renforcée par cette industrie culturelle.

Le gouvernement coréen semble largement bénéficier de ce rayonnement culturel. Dans quelle mesure en profite-t-il pour développer son soft power ? Comment analyser cette politique qui semble être à contrecourant des autres pays de la région?

La Corée du Sud est un petit pays entouré par deux grandes puissances, le Japon et la Chine, et un voisin qui est également un ennemi et une menace sécuritaire. Le soft power y est perçu comme une formidable opportunité de renforcer la visibilité de ce pays et de son modèle de développement. Il s’agit donc d’une stratégie politique que la vitalité de la société civile, démocratique, de la Corée du Sud accentue. Les autres pays asiatiques ont également des stratégies de soft power, en plus de miser sur leur outil militaire ou leur économie. Mais la Corée du Sud est un succès remarquable.

 
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