ANALYSES

Négociations sur le nucléaire, accords stratégiques : vers une réorientation de la politique étrangère iranienne ?

Interview
20 octobre 2021
Le point de vue de Thierry Coville


L’Union européenne vient notamment de renouer le contact avec Téhéran dans le but de relancer les négociations sur le nucléaire iranien. La tâche s’avère cependant compliquée entre refus de l’Iran de se remettre à la table des négociations, et menace militaire étasunienne à l’encontre de Téhéran. En attendant, le nouveau gouvernement iranien, au pouvoir depuis juin dernier, ne semble pas isolé sur tous les plans et poursuit ses alliances à l’Est. Quel avenir pour l’économie iranienne et ses relations avec le monde ? Quelle stratégie a été adoptée par le gouvernement iranien ? Le point avec Thierry Coville, chercheur à l’IRIS spécialiste de l’Iran.

Où en sont les négociations sur le nucléaire iranien alors que les États-Unis laissent planer une menace militaire à l’encontre de Téhéran pour la pousser à se remettre à la table des négociations ? Quid du rôle de l’Union européenne, alors que son négociateur en chef vient de rencontrer le vice-ministre iranien des Affaires étrangères ?

Les négociations pour relancer l’accord international de Vienne de 2015 sur le nucléaire iranien entre l’Iran, les États-Unis et les cinq autres puissances encore signataires de l’accord (Allemagne, Chine, France, Royaume-Uni et Russie) avaient repris en avril dernier avant de finalement être suspendues en juin 2021. En cause, les élections présidentielles en Iran : le gouvernement iranien a expliqué qu’il fallait arrêter les négociations, car une nouvelle équipe gouvernementale arrivait au pouvoir, équipe qui doit se charger des négociations. Depuis, celles-ci n’ont pas repris, ce qui s’avère problématique. On sait qu’il y a de nombreux débats en interne à ce sujet dans le nouveau gouvernement, s’agissant du sujet le plus important actuellement compte tenu de l’impact des sanctions américaines sur l’économie iranienne.

Outre la nécessité de désigner une nouvelle équipe de négociateurs et sans doute une nouvelle stratégie, on peut penser que ce délai s’explique par le fait que le gouvernement iranien ne veut certainement pas donner l’impression qu’il est aux abois et cherche à tout pris un accord en raison de la crise économique. Il se refuse à négocier en étant en position de faiblesse et joue donc la montre. Face à cela, les impatiences sont nombreuses tant en Iran de la part des autres partis, que du côté étasunien s’illustrant par la déclaration du secrétaire d’État américain lors de la visite au ministre des Affaires étrangères israélien aux États-Unis expliquant que d’autres options étaient possibles au sujet de l’Iran, notamment celle militaire… Cette dernière reste cependant peu probable, car Joe Biden s’est notamment fait élire en promettant de revenir dans l’accord de Vienne et d’utiliser la diplomatie pour les relations avec l’Iran. L’option la plus plausible semble être un renforcement des sanctions, notamment à l’encontre de la Chine qui achète du pétrole à l’Iran.

Quant à l’Union européenne, la Commission a envoyé un responsable à Téhéran pour négocier et obtenir des informations. Le fait que Téhéran ait accepté de commencer à discuter au sujet du nucléaire avec les Européens ce mois-ci représente une avancée positive bien que ces négociations ne se fassent qu’avec les Européens. Le processus de Vienne reste donc pour le moment à l’arrêt, mais les négociations vont en quelque sorte repartir avec les Européens. Mais, cette situation n’est pas suffisante : l’objectif est que les États-Unis reviennent dans l’accord. Il faut donc absolument que l’Iran discute avec eux et les 5 autres signataires.

Accord stratégique signé avec Pékin en mars, promesse d’adhésion à l’Organisation de Shanghaï en septembre, annonce d’un accord stratégique avec Moscou en octobre. Comment interpréter la stratégie de l’Iran vis-à-vis de son ouverture à l’Est ?

Il ne faut pas surinterpréter cette ouverture à l’Est. Il y a toujours eu une vision binaire d’un Iran soit pro-occidental, soit pro Russie ou Chine. Du fait de leur histoire et de leur situation géopolitique, les Iraniens ont intérêt à développer des relations avec tous les pays du monde.

Avec l’Occident, leurs relations passent par la levée des sanctions et un retour des États-Unis dans l’accord sur le nucléaire. Quant aux relations avec la Chine, celles-ci sont très bonnes et Téhéran vient en effet de signer avec Pékin un accord sur les 25 prochaines années, et veut en faire de même avec la Russie. Quant à son adhésion au sein de l’organisation de Shanghai, Téhéran demandait à en être membre depuis des années. Cette adhésion n’est donc pas complètement surprenante. Les relations géopolitiques qu’entretient l’Iran suivent ainsi une certaine logique, notamment géographique.

Quant à l’annonce de la signature d’un partenariat stratégique avec la Russie en octobre 2021, c’est aussi sans doute une manière pour Téhéran de montrer qu’il n’est pas obsédé par le développement de ses relations avec l’Occident, et que l’Iran est au contraire prêt à développer ses relations avec les pays de l’Est. Il s’agit bien là d’une des lignes politiques du nouveau gouvernement iranien qui considère que le précédent gouvernement était trop pressé de développer ses relations avec les pays occidentaux.

Quelle ligne politique aussi bien sur la scène nationale qu’internationale se dessine quelques mois après la prise de fonction du président conservateur Ebrahim Raïdi ?

Si l’on analyse les voyages qui ont été entrepris par le nouveau ministre des Affaires étrangères iranien, on constate que sur le plan international, la volonté de Téhéran est de développer des relations avec les pays de la région. Le ministre iranien s’est effectivement déplacé en Irak et en Syrie. L’Iran continue également à négocier avec l’Arabie saoudite. Par ailleurs, comme le reflète l’annonce de l’accord avec la Russie, l’Iran veut aussi renforcer ses liens avec des grandes puissances en dehors du camp occidental comme la Russie donc et la Chine.

Au niveau national, il semble que l’ambition du gouvernement soit de montrer qu’il est efficace et pragmatique. Par exemple, depuis le début de la pandémie de Covid-19, l’annonce par le Guide Ali Khameini de son opposition aux vaccins venant du Royaume-Uni et des États-Unis avait conduit à des retards sur la vaccination. Or, le nouveau gouvernement vient de décider d’importer de grandes quantités de doses de vaccins, notamment produits aux Etats-Unis comme Pfizer et Moderna.

Néanmoins, les Iraniens attendent surtout des résultats quant à la situation économique du pays qui est catastrophique avec une inflation qui atteint récemment 46%. Et si rien n’est fait pour lever les sanctions américaines, la situation pourrait encore s’aggraver. Un rapport de l’Organisation de la Planification et du Budget avance même que la monnaie iranienne pourrait s’effondrer dans les 2 à 3 années à venir.

On voit ainsi tout le paradoxe. Le gouvernement veut se montrer efficace et pragmatique alors que tout le monde l’attend sur la question de l’économie. Or, pour sortir l’économie du pays de la crise actuelle, il faut absolument que les sanctions américaines soient levées. Cela implique que les États-Unis reviennent dans l’accord de 2015. Mais le gouvernement iranien ne se montre paradoxalement pas pressé de négocier. Jusqu’à quand ?
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