10.10.2024
L’OCDE et l’Union européenne sonnent le glas des paradis fiscaux
Presse
13 octobre 2021
Depuis quelques jours et grâce encore une fois au consortium de journalistes IOJ, le dossier des Pandora Papers vient raviver le désabusement face à un nouvel avatar d’un système révélé au grand public par les dossiers Panama Papers et Paradise Papers. Par un hasard du calendrier, le vendredi 8 octobre, un communiqué annonçait un accord entre 136 pays, représentant 90 % du PNB mondial, sur un nouvel ordre fiscal mondial, qui pré voit entre autres une taxation des multinationales à un taux minimum 15 %. Après des années de travail sous l’égide de l’OCDE, cela signifie-t-il que l’avenir des paradis fiscaux est compté ?
Pour mieux comprendre, revenons aux Pandora Papers. Ils présentent deux particularités par rapport aux précédentes affaires d’optimisation fiscales révélées par le IOJ. La première porte sur le nombre de prestataires de services offshore: quatorze sociétés sont impliquées, là où les Panama et Paradise Papers n’en visaient qu’une, respectivement Mossack Fonseca et Appleby. Dès lors, on peut penser que les services d’opacification ou d’optimisation fiscale poussée à l’extrême (le « Tax planning » pour les purs esprits) seraient consubstantiels à ces officines qui partagent une passion pour l’arc caribéen, les Émirats ou quelques confettis du Pacifique sud.
Des « Personnes Politiquement Exposées », mais pas de hors-la-loi dans les Pandora
La seconde particularité des Pandora Papers porte sur la publicité faite autour de la présence de « Personnes politiquement exposées » (PPE), pour reprendre le terme officiel en matière de lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent. Trois cents PPE sont identifiées, qu’il s’agisse des PPE intuitu personae ou de leurs proches. Dans la quasi-totalité des cas, on comprend que la richesse par habitant de leur pays d’origine a incité ces habitués du pouvoir à faire preuve de discrétion, à défaut de retenue.
On pourrait croire qu’une forme de justice qui finira bien par les rattraper. Mais le problème c’est que jusqu’ici, rien ni personne ne tombe dans l’illégalité: les prestigieux cabinets (Backer McKenzie est le principal cité dans les Pandora Papers) ne sont pas plus hors la loi que les sulfureuses officines qui se chargent des basses besognes de montage de sociétés coquille dans des territoires permissifs. Chacun tire opportunément (ou cyniquement) parti des stratégies court-termismes de territoires dépourvus d’avantage comparatif, et qui donc décident de lui substituer un avantage concurrentiel.
Paradis fiscal moins d’impôts et plus d’anonymat
Finalement un paradis fiscal, qu’est-œ que c’est ? Le paradis, cet état de « complète félicité », ne peut être atteint que si vos besoins sont comblés. Or les Pandora Papers révèlent au moins deux besoins distincts. Le premier, qui colle bien à la définition du paradis fiscal, est bien sûr de diminuer le paiement de l’impôt. Il a fait longtemps florès auprès des entreprises qui cherchent à tirer profit d’une distorsion de fiscalité entre pays. C’est justement cette stratégie qui est ciblée par l’OCDE et son programme BEPS (Base Erosion and Profit Shifting), dont est issu l’accord conclu vendredi dernier.
Le second besoin- et le plus fondamental – est de dissimuler l’identité des bénéficiaires effectifs (BE) réels des fortunes détournées, qu’ils agissent derrière un homme de paille, un trust, ou toute autre technique dont la finalité est de cacher qui dispose de la propriété réelle des actifs. S’agissant de personnes physiques et par le truchement de montages ad hoc, ce besoin est potentiellement une nécessité pour parachever les crimes et délits de toute nature, y compris les pratiques de corruption et de blanchiment d’argent. Et dans ce cas, le paradis n’est plus principalement fiscal, mais devient le paradis de l’incognito avant tout, laissant imaginer une origine possiblement délictuelle des avoirs. La propreté étant l’image du reflet de l’âme, la volonté de blanchir porte son lot de doutes.
Afin de lutter contre l’opacification des montages, l’Union européenne a porté le projet et la mise en œuvre en Europe de « registres des bénéficiaires effectifs », qui devraient logiquement être interconnectés dans les pays de l’UE. Une fois publics et obligatoires, ces registres permettent de lutter contre la dissimulation des BE, qui est en outre reprise comme un acte de blanchiment dans le Code pénal.
Le manque à gagner pour les économies spoliées
Quel est l’impact macroéconomique des distorsions de concurrence induites par ces paradis ? L’Union européenne l’illustre bien puisque la construction d’un socle commun en matière de politique économique a fait la part belle à la politique monétaire, en préservant le droit régalien des États de prélever l’impôt. Parfois créatrice de valeur et d’emplois, une politique fiscale peut devenir un accélérateur de croissance et un outil de cohésion sociale. A contrario, une fiscalité organisée dans le but de siphonner une richesse au préjudice des territoires à l’origine de cette richesse revient à dérouter des flux financiers sans considération pour l’équilibre des économies lésées. L’ONG Tax Justice Network relevait par exemple qu’en 2019, la politique fiscale accommodante du Luxembourg aura permis à ce territoire de percevoir environ 300 millions d’euros d’impôt, provoquant un manque à gagner de plus de 12 milliards d’euros pour ses voisins européens.
La fin de l’anonymat et des distorsions de fiscalité ?
Impôts réduits et anonymat garanti assurent donc – chacun et plus encore quand ils sont cumulés – l’attractivité de territoires qui avaient fait le choix du moins-disant en termes de transparence et d’équité. Mais ces deux caractéristiques vivent, espérons-le, leurs dernières années. L’accord signé vendredi dernier à l’OCDE porte un coup à l’intérêt des transferts de prix indus (Base Erosion), aux frais administratifs facturés par les Samoa, aux redevances de licences honorées au Vanuatu ou aux Tonga. Les décisions de l’Union européenne en faveur des registres des bénéficiaires effectifs se diffusent au-delà des frontières de l’Europe, portées par le travail des experts du Groupe d’action financière (GAF1), organisme intergouvernemental de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, qui est logé … dans les murs de l’OCDE.
L’heureuse conclusion des travaux de l’OCDE va sans doute permettre de corriger certaines outrances. Il en va singulièrement du respect des populations lésées, la relocalisation de l’impôt permettant enfin de rebattre les cartes. A ce titre, l’OCDE mériterait à mon sens de concourir pour le « Nobel de l’équité », tant l’impact de l’accord de vendredi dernier est porteur d’espoirs.