ANALYSES

Covax : « Une forme de solidarité, mais tout le monde n’a pas joué le jeu »

Presse
24 mai 2021
Interview de Nathalie Ernoult - France info
La campagne de vaccination dans le monde traduit-elle actuellement une injustice ?

Je pense que c’est assez clair. Les chiffres ne trahissent pas du tout la situation. On a effectivement des pays riches qui ont pu acheter précocement un certain nombre de vaccins et qui ont réussi à lancer la vaccination et atteignent déjà des taux de vaccination assez importants, quand de nombreux pays à bas revenus qui dépendent de la Covax sont aujourd’hui un petit peu à la traîne.

Pour que cela n’arrive pas, il faudrait que la santé soit un bien public mondial et soit géré par une organisation comme l’OMS. Ce n’est pas le cas aujourd’hui ?

Au début de la crise, c’était vraiment l’idée qui avait été portée par de nombreux chefs d’Etats, y compris le président Macron. Cela a eu beaucoup de mal à se traduire dans les faits. Aujourd’hui, certains pays y reviennent, parce qu’ils font face à cette iniquité et savent bien qu’il y a un danger à ne pas avoir un certain nombre de populations vaccinées. On le sait très bien avec l’Inde, notamment avec la multiplication des variants. Donc ce sujet revient aujourd’hui sur la table. Et assez récemment, notamment à Rome la semaine dernière au sommet mondial, il y a eu un certain nombre de déclarations qui sont allées dans ce sens pour essayer de compenser le retard de la Covax en promettant de donner des doses dites en surplus pour les populations ciblées par cet organisme.

L’argument de dire qu’il faudrait qu’une plus grande partie du monde soit vaccinée pour que les risques d’une poursuite de la pandémie soient les moins forts n’a pas été entendu ? Ces risques sont passés en dessous des égoïsmes nationaux ou politiques ?

Complètement. Ils sont passés en dessous. Et je pense que c’est bien le sens de l’appel du directeur de l’OMS. Si on prend l’Afrique, il y a 1,7% de la population qui est vaccinée aujourd’hui. Majoritairement, les pays dépendent de la Covax. Et l’Inde, qui a dû arrêter ses exportations et qui est le premier fournisseur de vaccins de la Covax, ne pourra pas reprendre ses livraisons de vaccins avant la fin de l’année. Donc, vous voyez bien que le système international est aujourd’hui extrêmement en difficulté. (La Covax) est une forme solidarité, mais tout le monde n’a pas joué le jeu. La Covax n’a pas pu acheter à risque un certain nombre de vaccins. Elle en dispose d’assez peu et est exclusivement dépendant à ce jour des approvisionnements indiens, ce qui la met en difficulté en termes de livraisons. Il faut rappeler que la Covax, sur les deux milliards qu’elle doit livrer d’ici la fin de l’année, en a livré actuellement 70 millions. Donc, vous voyez bien qu’on est très, très loin du compte. Il y a un vrai problème d’équité. La solution, notamment portée par la France et quelques pays européens, est de donner des doses à la Covax pour essayer de combler le retard de livraisons par l’Inde et essayer de permettre à la Covax quand même de pouvoir livrer ses vaccins. Cela ne suffira pas.

Va-t-on tirer des leçons de ce qui s’est passé ?

On l’espère. Mais les discussions qui ont eu lieu à Rome au sommet mondial ne laissent pas forcément présager d’une véritable prise en compte des problèmes de fond, notamment du problème de production sur le continent africain, par exemple, où il faudrait faire en sorte que des transferts de technologie soient mis en place. Aujourd’hui malheureusement, on le voit du côté de l’industrie pharmaceutique, il n’y a eu aucun engagement. Il y a un engagement européen d’aller dans ce sens-là, mais pas du tout du côté des industriels.

 

Propos recueillis par France info.
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