ANALYSES

Libye : vers une transition pacifique de long terme ?

Interview
31 mars 2021
Le point de vue de Brahim Oumansour


Le début d’une transition pacifique s’opère actuellement en Libye, avec un gouvernement d’union nationale qui prend ses marques. Mais les défis restent nombreux pour ce pays dont la situation interne impacte fortement la scène régionale et internationale. Entretien avec Brahim Oumansour, chercheur associé à l’IRIS, sur la situation de la Libye et sur les récentes déclarations d’Emmanuel Macron quant à la « dette » de la France envers elle, référence à son intervention armée en 2011 sur son territoire.

Ce jeudi 25 mars a été annoncée la volonté d’un retrait des mercenaires étrangers sur le sol libyen par le gouvernement récemment constitué. Une telle disposition permettrait-elle à l’État libyen de consolider sa souveraineté ?

La Libye fait un grand pas en avant par la formation d’un gouvernement d’union nationale, issu du Forum de dialogue réuni à Genève sous l’égide de l’ONU, chargé de gérer la transition jusqu’aux élections prévues pour le 24 décembre prochain afin de sortir le pays du chaos. L’élection d’un exécutif intérimaire, qui a obtenu le soutien des deux factions rivales majeures (le gouvernement d’entente nationale et l’Armée nationale libyenne de Haftar), permettant l’arrêt progressif de la violence, a été actée par le cessez-le-feu conclu le 23 octobre 2020. Toutefois, le contexte reste fragile en raison des fractures et tensions internes sur fond de guerre civile, attisées par l’ingérence des acteurs régionaux qui apportent du soutien militaire aux différentes factions rivales induisant le transfert d’armes et près de 20 000 mercenaires sur le sol libyen venus principalement de Syrie et du Soudan ainsi que des sociétés privées comme Wagner, en violation de l’embargo de l’ONU de 2011 réitéré lors des accords issus de la conférence de Berlin le 19 janvier 2020.

L’arrêt de l’ingérence extérieure directe et le retrait des mercenaires étrangers sont une condition sine qua non du règlement de la crise libyenne ; l’arrêt des hostilités armées étant une étape importante dans le processus de sortie de crise et la reconstruction du pays sur les plans politique, économique et social. En revanche, cela ne va pas suffire, car la possibilité d’un règlement pacifique à cette crise repose aussi sur la capacité de ce nouvel exécutif d’asseoir son autorité sur le territoire libyen et de renforcer sa légitimité aux yeux de multiples acteurs locaux influents. Pour réussir, ce gouvernement doit faire face à de nombreux défis : unifier les institutions politiques et former des appareils sécuritaires pour le maintien de l’ordre et de la sécurité qui accompagnera le désarmement des milices locales, privilégier une politique inclusive et une gestion transparente et équitable des richesses pétrolières afin de consolider l’union nationale et d’éviter la reprise des hostilités dans un contexte très complexe et fragile, rappelons-le. Le rôle de l’ONU, par le biais de la MANUL, est également indispensable pour veiller au respect du cessez-le-feu et accompagner la transition.

Une transition pacifique se profile actuellement en Libye, notamment depuis l’obtention de la confiance du Parlement le 10 mars dernier. Le retour d’un climat moins conflictuel en Libye présage-t-il des évolutions quant à la stabilité de la région sahélienne ?

En effet, la crise libyenne a énormément contribué à l’instabilité régionale et à la dégradation de la sécurité au Sahel où des États fragiles, comme le Mali et le Burkina Faso, n’ont pas pu résister à la montée en puissance du terrorisme islamiste et du crime organisé. D’autres pays frontaliers, comme l’Algérie, l’Égypte et la Tunisie, résistent, mais souffrent beaucoup de l’instabilité en Libye. L’impact du chaos libyen s’étend aussi sur plusieurs pays du continent africain, du pourtour méditerranéen et du Proche-Orient. Depuis la chute du régime Kadhafi en 2011, la Libye devient un territoire de transit de trafic de tout genre ; une situation aggravée par le transfert de grandes quantités d’armes de plus en plus sophistiquées par les acteurs régionaux et dont une partie importante tombe dans les mains de groupes terroristes, comme Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI)et Daech, et les organisations criminelles. Le retour à une paix, même relative, en Libye serait donc plus que salutaire pour la stabilisation du Sahel. Le retour de la stabilité dans ce pays permettra de freiner le flux d’armes vers la région sahélienne et de réduire le trafic et la contrebande qui constituent une manne financière aux groupes terroristes.

Suite à l’accueil à Paris du nouveau président libyen Mohammed El-Menfi le 23 mars 2021, Emmanuel Macron a reconnu publiquement la « dette » de la France, référence à son intervention armée en 2011 en territoire libyen. Comment peut-on interpréter une telle déclaration ? Est-elle un simple rappel ou traduit-elle une réelle volonté de la France de faire évoluer ses relations avec la Libye ?

On ne peut pas ignorer la responsabilité de la France dans le chaos libyen. Bien que l’intervention franco-britannique en 2011 s’inscrive dans le cadre de résolution de l’ONU visant la protection de la population révoltée de Benghazi, cette intervention militaire est allée au-delà du cadre fixé par l’ONU provoquant la chute du régime de Kadhafi qui a plongé les Libyens dans la guerre civile qui a ravagé le pays ; d’autant que rien n’a été fait depuis pour éviter la dérive.

La décision de Macron d’accueillir le président libyen et de reconnaître la responsabilité de la France est un geste important et nécessaire pour la diplomatie française. Il arrive dans un contexte local et international très favorable présageant une issue pacifique à la crise libyenne, appuyée notamment par Washington qui exerce une pression sur ses alliés impliqués dans le dossier, comme la Turquie, l’Égypte et les Émirats arabes unis. Le président Macron a fini par comprendre, à mon sens, que la responsabilité morale de Paris dans la crise libyenne pèse énormément sur la diplomatie française et son influence dans la région. Des États concurrents comme la Turquie, la Russie et l’Italie, l’ont souvent rappelé dans le but de fragiliser la position de la France ; une responsabilité que risque de nous faire payer une nouvelle élite qui prendrait les règnes du pouvoir à l’issue des élections prochaines. La reconstruction de la Libye constitue un enjeu économique et stratégique énorme pour la France. De plus, le retour à la stabilité en Libye et une éventuelle coopération avec les autorités libyennes offriront un soutien de taille à l’opération Barkhane au Sahel dans le cadre de la lutte contre le terrorisme local et international. En revanche, la communication de Macron ne pourra être efficace si elle est appuyée par des actes sincères et un rôle plus actif au sein du Conseil de sécurité de l’ONU pour accompagner la transition libyenne et garantir le respect du cessez-le-feu et l’arrêt de l’ingérence étrangère. Car les Libyens s’en souviendront pour longtemps.
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