ANALYSES

Nucléaire, investissement sur la scène régionale : quel est le jeu iranien ?

Interview
25 mars 2021
Le point de vue de Thierry Coville


Comment le dossier sur le nucléaire iranien peut-il évoluer alors qu’une nouvelle administration vient de prendre place aux États-Unis ? Quel est le jeu de l’Iran sur la question alors que le pays rencontre des difficultés quant à son positionnement sur la scène régionale et son soutien indéfectible au régime Assad ? Entretien avec Thierry Coville, chercheur à l’IRIS, spécialiste de l’Iran.

Seulement un mois et demi après le début de son mandat, la menace iranienne est au cœur de la politique étrangère de Joe Biden. Que peut-on attendre de l’administration américaine sur le dossier iranien ?

Pour le moment, le flou demeure en ce début d’administration quant à leur positionnement sur la question iranienne. Cependant, des points importants sont à relever.

Tout d’abord, Joe Biden a bien annoncé vouloir revenir dans l’accord sur le nucléaire de 2015, marquant sa différence avec l’administration précédente concernant sa politique vis-à-vis de l’Iran et du Moyen-Orient. Au regard de la composition de son administration et notamment de la nomination de Robert Malley comme responsable de l’Iran au Département d’État, Joe Biden semble montrer qu’il va privilégier la diplomatie avec l’Iran.

Mais de nombreux éléments semblent pour l’heure bloquer le retour des États-Unis dans l’accord. Tout d’abord, l’administration américaine attend que l’Iran fasse le premier pas, puisque l’Iran a, du fait de la sortie des États-Unis de l’accord en mai 2018, pris toute une série de mesures pour sortir graduellement de l’Accord de 2015. L’Iran exige, quant à lui, que les États-Unis reviennent en premier dans l’accord. Mais ce qui pose surtout problème est que les États-Unis considèrent le retour dans l’accord comme une étape intermédiaire, ayant pour réel objectif d’ouvrir des négociations pour un nouvel accord sur le nucléaire ainsi que sur la politique régionale et le programme balistique de l’Iran. Or, l’Iran refuse catégoriquement d’ouvrir de nouvelles négociations sur ces sujets.

On peut noter l’ambiguïté de l’attitude de Joe Biden. Il critique la politique de Trump tout en maintenant les sanctions prises par ce dernier pour faire pression sur l’Iran et l’obliger à ouvrir de nouveaux champs de négociations. Or, c’est là la clé de la relation Iran-États-Unis : on ne voit pas d’évolutions possibles dans cette relation tant que les sanctions réimposées par Trump sont maintenues. Les États-Unis et l’Iran vont-ils arriver à s’entendre pour organiser un retour coordonné dans l’accord ? Les États-Unis vont-ils comprendre que, pour renouer avec l’Iran, ils doivent absolument lever une partie ou l’ensemble des sanctions ?

Où en est le positionnement de l’Iran vis-à-vis de son programme nucléaire, et notamment depuis l’élection de Joe Biden ?

L’Iran continue sa politique, initiée en juin 2019, consistant à prendre régulièrement des mesures pour détricoter l’accord de 2015. Selon lui, ces mesures seraient des réponses face à la sortie des États-Unis de l’accord en mai 2018. Poursuivant cette politique début 2021, l’Iran a commencé à enrichir l’uranium à 20 % et limité les possibilités de contrôle sur son programme nucléaire des inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). On commence à se demander ce qu’il reste réellement de l’accord de 2015… La logique iranienne n’est toutefois pas de se tourner vers la bombe nucléaire, mais bien de répondre à la sortie des États-Unis de l’accord en 2018, et de faire pression sur l’administration Biden pour qu’elle y revienne rapidement.

Dix ans après le début du conflit en Syrie, l’Iran remet-il en question son investissement sur la scène régionale et en particulier auprès du régime Assad ?

Non, il ne remet pas en question son investissement en Syrie malgré son coût financier et politique. La popularité de l’Iran, notamment au sein des populations sunnites de la région, a décliné. Des protestations ont lieu sur le sol iranien, dénonçant l’engagement financier de leur gouvernement pour faire la guerre en Syrie, alors qu’une crise économique sévit en Iran. Cependant, les objectifs qui ont poussé le régime iranien à intervenir dans cette région sont toujours valables. Son principal objectif était de sauver l’axe de résistance contre Israël, menacé par le soulèvement syrien. Un deuxième objectif était d’éviter l’installation en Syrie de groupes extrémistes sunnites comme Daech et Al-Qaïda. Un troisième objectif a pris davantage d’importance ces dernières années. Durant le mandat de Donald Trump, les risques d’attaque militaire envers l’Iran de la part des États-Unis, mais aussi d’Israël, se sont accrus. Pour les Iraniens, leur présence régionale est la meilleure manière de répondre à ces menaces. En cas d’attaque, le pays peut à tout moment engager une guerre dans la région grâce à sa présence au Liban, en Syrie, en Irak et au Yémen.
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