ANALYSES

Covid-19 : quelles avancées contre la pandémie ?

Tribune
12 février 2021


Depuis déjà plus d’un an, la pandémie de Covid-19 met à rude épreuve l’OMS, qui vient d’envoyer des experts en Chine, afin d’en trouver l’origine. Alors que la Covax devait permettre un partage équitable des vaccins, les pays les plus riches ont fait cavaliers seuls captant la grande partie des doses. Le point sur la situation avec Anne Sénéquier, médecin, chercheuse et codirectrice de l’Observatoire de la Santé à l’IRIS.

Quels sont les objectifs des experts de l’OMS dépêchés à Wuhan ? Leurs recherches sont-elles libres et peuvent-elles apporter des solutions quant à la gestion actuelle de la pandémie ?

L’objectif des experts de l’OMS était d’en savoir plus sur l’origine du virus du Covid-19. On sait à l’heure actuelle qu’il s’agit d’une zoonose, une maladie du monde animal qui a eu l’opportunité de passer chez l’être humain. La question demeure de savoir quel est cet animal, et quelle est cette opportunité. Le patient 0 avait été identifié au marché aux frais de Wuhan. Jusqu’alors, pour toutes les différentes zoonoses qu’a connues l’Humanité, on a pu identifier l’animal source, ce qui est primordial pour éviter une seconde émergence et pour essayer de comprendre où l’opportunité a eu lieu afin d’éviter ce genre de situation à l’avenir.

Ces recherches sont faites à chaque émergence d’une nouvelle zoonose, mais dans le cas du Covid-19, elle a été particulièrement médiatisée, du fait qu’il s’agisse d’une pandémie mondiale, mais aussi en raison de l’antagonisme très important entre la Chine et les États-Unis. L’OMS est du reste devenue une arène dans laquelle les deux nations se sont opposées.

L’objectif était donc de savoir d’où venait ce virus et d’infirmer ou confirmer plusieurs hypothèses. La première hypothèse est celle d’une zoonose provenant du monde sauvage à travers les animaux en vente (vivants ou non) sur le marché aux frais de Wuhan. La deuxième hypothèse concerne un accident de laboratoire, en raison de l’existence d’un laboratoire P4 à Wuhan, et d’une « fuite » du virus. La troisième hypothèse, évoquée notamment par la Chine, est l’arrivée du Covid-19 sur le territoire chinois à travers l’importation extérieure d’aliments congelés, ce qui signifierait dans ce cas que le virus ne vient pas de Chine.

Les experts de l’OMS ont procédé à de nombreuses visites et rencontres au cours des derniers jours, avant de rendre leur rapport lors d’une conférence de presse qui s’est déroulée mardi dernier. Ils ont évoqué ce qu’ils n’avaient pas trouvé plutôt que d’évoquer ce qu’ils avaient trouvé. Ils n’ont pour l’instant ni identifié l’espèce animale d’où est venu le Covid-19 ni d’hôte intermédiaire.  C’est assez problématique, et il faudra continuer à travailler sur cette question. Néanmoins, ils ont décrété qu’il était fortement improbable que le Covid-19 vienne du laboratoire P4.

Depuis le début de cette crise, plusieurs problématiques demeurent quant à la transparence sur les données, le nombre de cas, de décès, sur les protocoles et les procédures dont fait preuve la Chine. Il a fallu plus d’une année pour que l’équipe d’experts soit montée. L’enquête ne peut se dire indépendante dans le sens où ils ont dû demander l’aval des autorités pour rencontrer des gens et visiter des structures. Toutefois, tout est ni blanc ni noir, il ne faut pas partir du principe que tout ce qui vient du gouvernement chinois est faux et, à l’inverse, il ne faut pas trop être optimiste et penser que tout est su.

La problématique avec la zoonose est qu’on focalise sur des origines nationales du virus, et donc ici chinoises. Or, aujourd’hui, des zoonoses émergent partout. C’est vrai en Asie avec le Sars-Cov-1. C’est vrai au Moyen-Orient avec le Mers, en Afrique avec Ebola et Zika. C’est aussi vrai en Amérique du Nord avec la maladie de Lyme qui a pris énormément d’ampleur suite à la fragmentation du couvert forestier sur la côte est-américaine et qui prolifère aujourd’hui en Europe. Il ne s’agit donc pas d’une problématique nationale, mais plutôt d’environnement qui est propice aux opportunités qui génèrent des passerelles pour les maladies zoonotiques vers les humains. De plus, une étude a mis en avant l’existence de facteurs de risque. Les zones à risque se situent surtout sur la bande tropicale avec des changements d’utilisation des terres, un couvert forestier qui devient une zone agricole, une faune sauvage qui ne trouve plus son habitat dans les zones périurbaines. Mais c’est aussi vrai dans la fragmentation des forêts primaires dans l’hémisphère nord, en Europe et sur la côte Est des États-Unis. Tout cela représente un risque. Si l’on avait pris les choses par ce biais-là, on aurait pu probablement moins se braquer les uns contre les autres et permettre une meilleure transparence.

Il faut donc continuer les recherches en Chine, mais aussi un peu partout dans le monde. Les experts n’ont cherché qu’à un seul endroit. Ces recherches auront un impact que lorsque l’on aura trouvé le pourquoi du comment afin de mettre en place toutes les mesures pour limiter de nouvelles émergences du Covid-19 et prévenir les autres pandémies.

Qu’est-ce que la pandémie révèle sur la place et le rôle de l’OMS, alors que ses préconisations semblent ignorées par de nombreux pays ?

L’année écoulée et ses antécédents sont pour beaucoup dans le manque de confiance que connait aujourd’hui l’OMS de la part des populations et des gouvernements. C’est très dommageable, car l’OMS avait un rôle de coordinateur en réponse à la pandémie, et de chef d’orchestre. En 2020, elle a donné de nombreuses consignes, à essayer de coordonner, de donner des caps sur les recherches, de proposer une réponse coordonnée et commune. C’est la première fois qu’il y avait, hors réchauffement climatique, un ennemi commun au niveau international. L’OMS a aussi mis en place le programme Covax pour que tous les pays puissent être vaccinés en même temps et ainsi avoir une réelle pertinence au niveau sanitaire et une diminution des décès du Covid-19 plus importante que si l’on vaccinait les pays riches en premier.

Cela préfigure la nécessité d’une réforme de l’OMS. Le financement fait partie des points à réformer. Basé sur les contributions obligatoires des pays, ils ne suffissent plus à l’organisation pour faire ce qu’on peut attendre d’elle. Le budget de l’OMS n’est même pas équivalent à celui des hôpitaux de Paris. On peut difficilement gérer une pandémie avec ce budget, alors que les hôpitaux de Paris eux-mêmes n’arrivent pas à gérer les patients d’une seule ville. C’est illusoire. Il est donc nécessaire de trouver des financements innovants, mais aussi de donner un peu plus de pouvoir à l’organisation.

Le problème est que l’organisation a le pouvoir que les États membres lui donnent, soit quasiment aucun. Pour que l’OMS enquête dans un pays, il faut que ce pays l’accepte, l’invite. C’est d’ailleurs pour cela que l’an dernier les représentants de l’OMS n’ont pu se déplacer que fin janvier. On voit bien ici les limites d’un système.

L’OMS avait aussi été beaucoup critiquée en 2009 suite à ses alertes sur la grippe aviaire, qui avaient provoqué une panique dans le monde et généré des achats de vaccins par millions. En 2014, avec Ebola, l’OMS a pris du retard dans sa réaction, à cause de 2009. À chaque fois, ils agissent en fonction de la crise précédente. Il faudrait aujourd’hui un peu plus d’anticipation et arriver à construire une organisation qui ait les moyens financiers et les ressources humaines pour agir.

Mais pour l’instant, l’OMS demeure un chef d’orchestre qu’on n’écoute pas, une bibliothèque scientifique que l’on ne consulte que lorsque l’on en a besoin. D’autant plus que les pays qui ont leur propre unité de santé comme le Centers for Disease Control and Prevention (CDC) américain ou européen sont aussi moins attentifs à ce que peut évoquer l’organisation.

Alors que l’efficacité du vaccin AstraZeneca est remise en doute et que les variants se propagent, où en sont les vaccins et les vaccinations ? Et ce avec quelles disparités géographiques ? 

L’efficacité du vaccin AstraZeneca n’est pas tant remis en cause, il n’est cependant pas recommandé pour les plus de 65 ans (pour l’agence européenne du médicament). L’OMS avait mis comme seuil d’efficacité un seuil proche de 50%, mais les vaccins ARN messager de Pfizer et Moderna ont mis la barre très haute avec une efficacité à 90%. C’est d’ailleurs ce qui explique l’abandon de certains candidats vaccins qui n’arrivaient pas à avoir des taux pertinents. Cela aurait créé une vaccination à deux vitesses qui n’aurait été ni acceptable ni pertinente.

Pour le moment, on a trois variants : V1 (Angleterre), V2 (Afrique du Sud) et V3 (Brésil). On a demandé à ne pas les nommer comme variant anglais, variant sud-africain et variant brésilien, pour ne pas retomber peu à peu dans la faute nationale, comme ce qui s’est passé avec le « virus chinois ». Ces variants offrent une double problématique. Pour le moment, V1 et V2 sont déclarés comme étant plus transmissibles à hauteur de plus de 70%. Ce qui signifie que plus de personnes vont attraper le Covid et développer une pathologie grave. Il y a donc un réel intérêt à ce que les vaccins soient efficaces avec ces variants. Pour le V1, il semblerait que le vaccin soit efficace. Pour le V2, la question de l’efficacité commence à se poser. Pour le V3, cela reste à vérifier. C’est d’autant plus problématique si par exemple le V3 prend le lead et devient dominant et résistant à la vaccination ; il faudra alors sortir un second vaccin et revacciner la population des pays riches qui a déjà été vaccinée. Ce serait un peu le même système que la grippe annuelle, où chaque année une nouvelle vaccination s’impose, celle de l’année précédente n’étant plus efficace.

De plus, les vaccins Pfizer et Moderna n’ont pas prouvé leur efficacité concernant la diminution de la transmission intrapersonnelle. Avec les nouveaux variants, l’immunité collective n’est plus estimée à 60%, mais bien plus, jusqu’à 80%. Dans cette configuration, il faut vacciner tout le monde et abandonner l’idée d’une immunité collective.

Le fait que les pays occidentaux aient coadapté la vaccination risque de provoquer l’émergence de nouveaux variants. Une des hypothèses de l’origine des variants concerne les Covid longs chez des personnes vulnérables qui vont garder le virus en elles plusieurs semaines, plusieurs mois. Le virus va donc avoir l’opportunité de muter plus souvent avant d’être transmis à quelqu’un d’autre. En ayant fait le choix de vacciner des populations nationales entières plutôt que vacciner les populations vulnérables, on a fait le choix de prendre le risque de voir de nouveaux variants émerger. Et potentiellement de voir un jour les vaccins actuels ne plus fonctionner face aux nouveaux variants et qu’il faille revacciner tout le monde. On peut craindre qu’une fois de plus, le choix soit fait de vacciner les pays riches en premier.

Le vaccin polyvalent est un véritable besoin pour lutter contre les variants. Comme c’est le cas pour la polio, avec des vaccins trivalents où il y a la cellule souche du virus de la polio, mais aussi les variants qui ont émergé par la suite.

En termes de vaccinations, les pays occidentaux ont réussi à acheter des doses très tôt grâce aux accords bilatéraux avec les laboratoires pharmaceutiques. Il existe plusieurs vaccins. Au niveau occidental, il y a pour l’instant Pfizer, Moderna et AstraZeneca. Les deux premiers utilisent une nouvelle technologie : l’ARN message. Le vaccin AstraZeneca est un vaccin plus classique avec un vecteur viral. On a pris un virus que l’on connaissait déjà qui va véhiculer l’information que l’on veut au sein des cellules. Ce vaccin est logistiquement plus simple, il n’a pas besoin d’être conservé à -70°C. Il peut être conservé à 5°C pendant plusieurs mois. Il est donc aussi beaucoup moins cher, ce qui le rend plus utilisable dans les pays à revenu faible et intermédiaire pour une question de prix et de facilité de transport puisqu’il y aurait moins de risque de rupture de chaine du froid.

Il existe d’autres vaccins. Il y a le vaccin russe Sputnik V. Il a commencé à être administré en Russie dès l’été. En l’absence de publication scientifique, le vaccin a été mis en doute par les Occidentaux. Mais récemment une étude dans le Lancet, a annoncé une efficacité à 91%. Les puissances occidentales ont alors commencé à regarder vers la Russie, d’autant plus que les vaccins occidentaux commencent à connaître des ruptures de stock. La Chine a, quant à elle, cinq vaccins en phase d’essai, qu’elle administre depuis l’été dernier.

La Russie, la Chine ou encore l’Inde se positionnent au chevet des pays à revenu faible et intermédiaire pour leur proposer des accords, initiant une véritable diplomatie des vaccins.

L’Inde, au travers d’un partenariat avec Oxford, a fait un transfert de capacité de production permettant au Serum Institute of India de produire le vaccin AstraZeneca. Le pays va le proposer aux pays limitrophes, à savoir le Bangladesh, le Népal, la Thaïlande, etc., travaillant son influence régionale. La Chine a notamment avancé ces pions en Amérique latine en testant ses vaccins (lors des phases II et III de ses essais cliniques) sur la population, en échange de doses. La Russie positionne elle aussi ses pions en Amérique latine et au Moyen-Orient. Il est important de suivre de près cette géopolitique des vaccins, susceptible de dessiner les contours des relations internationales de demain.

Aujourd’hui, les pays occidentaux ont fait le choix d’une réponse individuelle à défaut d’une réponse collective. Il est fort probable que cela ait un retentissement sur les futures décisions des pays à revenu faible et intermédiaire qui s’en souviendront certainement. Mais au-delà de cela, ce choix n’est pas pertinent au niveau sanitaire : cela ne diminue pas le nombre de décès comme le ferait une vaccination prioritaire sur l’ensemble des populations vulnérables. Ni même au niveau économique : les pays en voie de développement ne pourront reprendre une activité économique totale sans vaccination, or ils nous fournissent les produits bruts qui font tourner nos économies. Et au niveau sociétal, c’est une fois de plus la mise en avant d’une distinction entre les pays du Nord et ceux du Sud. Il n’y a pas meilleur moyen pour engranger les problèmes de demain. Notre approche des choses est une vision à très court terme sans aucun sens de la prospective.
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