06.12.2024
Course aux vaccins contre le Covid-19 : quels enjeux géopolitiques ?
Interview
30 novembre 2020
Depuis le début de la pandémie, le vaccin apparait comme la seule véritable solution pour endiguer le Covid-19. Il est alors devenu plus que jamais un enjeu géopolitique, mettant un peu plus en lumière les inégalités mondiales. Entretien avec Nathalie Ernoult, chercheuse à l’IRIS, co-directrice de l’Observatoire de la santé mondiale.
Face à la multiplication des annonces sur la découverte potentielle d’un vaccin, quels sont les acteurs et les enjeux géopolitiques de la course au vaccin ?
Dans le cadre de la multiplication des annonces, la visibilité médiatique a été donnée principalement aux vaccins issus de la recherche des pays du Nord – États-Unis ou certains pays d’Europe – qui ont été les premiers à annoncer des résultats. Comparativement, on parle moins d’autres pays comme la Chine ou la Russie.
Les fabricants des pays du Nord ont majoritairement bénéficié de soutiens financiers publics relativement massifs pour la recherche et le développement de ces vaccins ainsi que pour l’augmentation des capacités de production et cela dans le but de couvrir les besoins qui sont colossaux. Ils ont notamment préacheté des doses sans connaître les résultats des essais cliniques, soutenant ainsi l’achat à risque de doses sur un portefeuille de 5 à 6 vaccins.
L’engouement est totalement différent lorsqu’on évoque les vaccins russes ou chinois. La Chine a plusieurs vaccins, dont trois à un stade relativement avancé. La Russie a, elle, fait des annonces quant aux résultats d’efficacité relativement importante de son vaccin Spoutnik. Mais pour ces derniers nous n’avons pas encore accès aux données cliniques.
Il existe donc un système d’aide internationale à deux vitesses, avec un engouement et un soutien financier différents entre les pays traditionnellement impliqués dans la recherche et la production pharmaceutique, à savoir les États-Unis et les pays de l’Union européenne, et la recherche et les productions chinoises ou russes. Ne pas en parler ne veut pas dire pour autant qu’il ne se passe rien. En effet, ces derniers passent des accords de vente avec un certain nombre d’autres pays comme c’est le cas avec le Brésil et l’Indonésie par exemple.
Il y a une réalité géopolitique et économique qui est à l’œuvre dans le cadre de contrats d’achat de ces doses de vaccins, mais on a relativement peu accès à ces différentes réalités.
Aussi, compte tenu du niveau de besoin mondial en termes de production de vaccins, l’ensemble des fabricants ont rapidement passé des contrats dans différentes zones géographiques. Ces contrats se sont notamment multipliés avec l’Amérique du Sud, avec certains pays en Afrique ou encore avec l’Asie. Il est intéressant de voir que ces contrats de production, qui ne sont pas des contrats de transfert de technologie, qui se faisaient traditionnellement au Nord, se font aussi aujourd’hui avec des pays à revenus intermédiaires.
Quels sont les risques d’inégalités quant à l’accès aux vaccins ?
Dans la logique d’accès au vaccin, plusieurs éléments doivent être mis en avant.
Au début de la crise, l’idée de la communauté internationale était de créer un mécanisme mondial qui aurait permis de favoriser la mobilisation des ressources et de permettre un achat groupé. La Covax Facility est l’un des mécanismes à l’intérieur de l’accélérateur pour l’innovation des produits Covid (ACT-A) sous la facilitation de l’OMS. Ce pilier pour la vaccination devait permettre le financement de la recherche, le regroupement des achats et la redistribution.
Malheureusement, dès le moment où certains industriels se sont dits en capacité de fournir un vaccin, certains pays, dont les États-Unis et le Royaume-Uni ou encore l’Union européenne, ont commencé à passer des accords bilatéraux et ont ainsi très vite capté la plus grande partie des doses que les compagnies sont en capacité de produire. Alors que certains pays vont être servis, le reste du monde devra patienter avant de recevoir des doses et de se lancer dans une campagne de vaccination.
L’accès au vaccin se fera sans doute en trois étapes, avec des modalités différentes. Tout d’abord les pays riches qui ont préfinancé et couvert les risques de recherche et qui vont capter la majeure partie des doses – on sait par exemple que 80% de la production de Pfizer est déjà vendue aux États-Unis. Puis, les pays à bas revenus qui devraient bénéficier d’un mécanisme global de subvention par le biais de la Covax Facility avec une contrepartie financière afin d’accéder aux vaccins. Et enfin les pays à revenus intermédiaires qui ont rapidement compris qu’ils pouvaient dans cette course être les grands perdants. Ces derniers ont néanmoins essayé de tirer parti de leur potentiel en passant des accords avec les groupes industriels pour accueillir des essais cliniques, pour mobiliser leurs capacités de productions, ce qui souvent s’accompagne aussi par des accords d’achats de doses. Ces États sont dans une logique de collaboration et s’appuient sur leurs ressources pour avoir accès à ces produits.
Concernant le prix, il y a peu de visibilité. Pfizer propose un vaccin autour de 20/30 dollars, Moderna entre 25 et 50 dollars et AstraZeneca propose lui des doses autour de 3 ou 4 dollars ; d’autres encore proposeront sans doute des doses autour de 2 ou 3 dollars. Cette inégalité des prix vient poser la question de l’accès au vaccin. Pour certains pays, plus le vaccin est cher, moins important sera le nombre de doses qui pourront être injectées.
Une des questions qui se pose également autour du prix du vaccin est celle des investissements publics qui ont été massifs et se comptent en milliards de dollars pour leur développement. La logique et la demande de certains États et sociétés civiles sont que le vaccin soit dès lors vendu à prix coûtant. En effet, les investissements et les risques traditionnels n’ont pas été pris par l’industrie pharmaceutique, mais par les États, et cela doit se refléter dans le prix final du vaccin.
En plus des inégalités d’accès existe également le risque des inégalités entre vaccins. Certains vaccins pour leur utilisation nécessitent une chaîne de froid à des températures extrêmes allant jusqu’à -70°C et -80°C. Les pays à ressources limitées n’ont que peu, voire pas, d’infrastructures permettant de réceptionner ce type de vaccins. D’autres vaccins, pouvant être conservés à des températures plus classiques, seront sûrement plus intéressants pour ces pays-là. Seront alors utilisés divers vaccins dont l’efficacité sera variable en fonction des groupes de population, avec des profils de produits et des utilisations qui seront à prendre en compte pour définir la stratégie vaccinale. On risque alors d’avoir un, deux – voire davantage – de vaccins par pays.
De nombreuses campagnes anti-vaccins émergent. Comment doivent être interprétés ces mouvements ?
Il y a toujours eu des mouvements de résistance à la vaccination dont je ne suis pas une spécialiste. Le point à mettre en avant ici est probablement le manque de transparence sur les essais cliniques, sur les protocoles utilisés et sur le partage des données, sur l’efficacité exacte de ce type de vaccin, mais aussi sur les contrats passés avec les industriels et sur les prix. Les gouvernements ont passé de nombreux contrats protégés par le secret des affaires. Il y a donc ici un manque absolu de transparence alors que des fonds publics sont engagés.
Par ailleurs, juste avant les élections américaines, il y a eu une pression politique pour obtenir un accès rapide aux vaccins. Le politique vient ainsi se mêler soudainement à la santé publique et lorsqu’il s’en mêle trop, cela crée des doutes, des questionnements, des zones d’ombre sur les agendas portés par les pays et les industriels sur ces questions.
Ce manque de transparence global peut soulever des questions et des questionnements et contribuer à renforcer la résistance à la vaccination.
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Cet article est publié dans le cadre de l’Observatoire (Dés)information & Géopolitique au temps du Covid-19 de l’IRIS.