ANALYSES

Une Algérie en crise

Interview
26 novembre 2020
Le point de vue de Brahim Oumansour


En ces temps de pandémie, l’Algérie n’échappe pas à la crise sanitaire et à ses conséquences économiques, qui viennent s’ajouter à un climat politique déjà tendu entre les dirigeants et l’opposition, incarnée par le Hirak[1]. Dans une volonté d’accalmie et de légitimation, le nouveau président vient de proposer une réforme constitutionnelle. Le point sur la situation algérienne avec Brahim Oumansour, chercheur associé à l’IRIS.

Le pouvoir vient de faire voter un référendum constitutionnel afin de contenir les oppositions. Que signifie cette réforme pour le pays ? Annonce-t-elle des changements importants ou n’est-elle là que pour calmer les colères ?

La révision constitutionnelle visait tout d’abord à marquer symboliquement une rupture avec l’ère Bouteflika, consacrant quelques réformes dont la limitation à deux mandats présidentiels. Elle devait aussi doter l’actuel président Abdelmadjid Tebboune de la légitimité populaire, qu’il n’avait pu récolter lors de son élection le 12 décembre 2019. L’opposition et de nombreux Algériens restent néanmoins sceptiques quant à la volonté du pouvoir de traduire cette réforme par un changement réel du système politique et de gouvernance.

L’autorité nationale indépendante des élections algériennes a annoncé que la participation avait été de 23,7%, soit un taux historiquement bas. Ce résultat est le fruit de plusieurs facteurs, tels que le contexte délétère marqué par une politique répressive contre les militants du Hirak ou encore les arrestations de journalistes et d’opposants condamnés à des peines sévères. Ce qui n’a pour effet que d’aggraver la crise de confiance et de renforcer l’esprit de défiance envers le pouvoir. S’ajoute à cela l’expérience de déception vis-à-vis des anciennes réformes constitutionnelles. Celle de 1996 avait donné un espoir pour la consolidation des principes démocratiques, mais elle n’avait pas empêché les dérives qu’a connues le pays notamment sous le règne de Bouteflika teinté de corruption et de clientélisme.

Aussi, cette nouvelle constitution n’apporte pas les réformes et les changements profonds tels que revendiqués par les militants du Hirak pour garantir la séparation des pouvoirs, celle-ci continuant à octroyer d’énormes pouvoirs au président. Cette réforme possède aussi une visée sécuritaire avec une loi autorisant les opérations hors frontières. Ce volet, qui ne modifie pas la doctrine en place, vise à consolider le poids géostratégique du pays et à soutenir la diplomatie algérienne. L’hospitalisation du président algérien en Allemagne, donc hors du pays, le jour même du référendum, n’a pas arrangé les choses.

Où en est aujourd’hui le Hirak alors que la pandémie de Covid-19 sévit dans le pays ?

Si les Algériens ont continué à manifester après l’élection présidentielle, considérant que les revendications du Hirak n’étaient pas satisfaites, la crise sanitaire a néanmoins contraint les militants à suspendre les marches hebdomadaires, qui avaient lieu le vendredi, et le mardi pour les étudiants. Mais les mouvements se poursuivent sous d’autres formes, notamment sur les réseaux sociaux avec des échanges, des dénonciations contre la répression et les condamnations. L’abstention record au référendum est en partie liée à la campagne de boycott sur les réseaux sociaux. Cela montre à quel point la fronde populaire reste vivace. L’absence du président et les raisons de son hospitalisation en Allemagne renforcent un peu plus le scepticisme et la défiance envers le pouvoir, rappelant celles très nombreuses de l’ancien président Bouteflika, et son effacement de la sphère publique, y compris lors de sa campagne électorale pour un cinquième mandat.

Aujourd’hui, l’avenir du Hirak est incertain. Mais le contexte politique, la détérioration de la situation économique et sociale, la situation dégradée dans les hôpitaux et l’incapacité du système de santé algérien à gérer la crise sanitaire pourraient pousser les Algériens à revenir dans la rue. Quelques marches ont déjà repris notamment en Kabylie.

En plus de la pandémie qui impacte fortement le pays, le FMI a annoncé que l’économie algérienne était dans le rouge. Quelle est la situation actuelle du pays ? Avec quelles conséquences à court et long termes pour le pays et son gouvernement ?

La situation économique du pays est très inquiétante. La crise sanitaire a durement frappé une économie algérienne déjà affaiblie par une crise politique et économique marquée par la récession. L’économie algérienne étant très dépendante du marché mondial, la chute du cours des hydrocarbures liée aux confinements planétaires a obligé le gouvernement à diviser par deux le budget de l’État pour l’année en cours. Les exportations de pétrole, qui représentent 60% du budget de l’État, ont baissé de 41%. En 2021, il faut prévoir une baisse des réserves de change à moins de 47 milliards de dollars, soit un peu plus de la capacité d’importation de marchandises et de services annuels en Algérie qui s’élève à 45 milliards de dollars. Le déficit devrait par conséquent se creuser davantage.

Cette crise résulte de facteurs structurels – dépendance aux hydrocarbures, mauvais choix en termes de politique économique, système financier non modernisé, etc. –, mais aussi des 20 ans de spoliation programmée des richesses du pays sous la présidence Bouteflika.

Depuis la chute de Bouteflika, il y a eu une purge profonde dans le cadre de la lutte anticorruption de hauts responsables politiques et de militaires, qui sont aujourd’hui en prison ou écartés du pouvoir. La nouvelle élite à la manœuvre fait face à un défi majeur : la relance économique, avec des conditions nationales et mondiales très défavorables. Les nouveaux dirigeants veulent à tout prix éviter de recourir au FMI pour ne pas revivre l’expérience de 1994, impliquant une politique d’austérité budgétaire, lourde de conséquences en matière sociale, politique et économique.

Le pays, qui a déjà commencé une politique d’austérité, pourrait dans les prochains mois être obligé de la durcir, avec la possibilité d’un gel des salaires au moins ponctuel. L’inflation a déjà commencé, et touche les produits de base. Les couches populaires, mais aussi les classes moyennes, pourraient être gravement impactées. L’Algérie dispose néanmoins de quelques ressources alternatives, telles que le phosphate, avec un accord d’exploitation entre l’entreprise algérienne Sonatrach et l’entreprise chinoise CITIC. Bien que ne pouvant compenser la baisse des cours des hydrocarbures, elles pourront aider à minimiser les risques de cette crise économique. Les dirigeants peuvent aussi diversifier leurs sources d’emprunt en ayant recours par exemple à la Chine, à la Banque africaine. L’Algérie n’aura sans doute pas recours aux fonds souverains des pays du Golfe, ses dirigeants souhaitant prendre leurs distances avec les pays affichant leur soutien au Maroc dans le cadre du conflit au Sahara occidental. La période est en effet marquée par un regain de tensions entre l’armée royale et le Front Polisario soutenu par l’Algérie.

La réforme constitutionnelle prévoit par ailleurs l’annulation de la loi 51/49 (exigeant 51% d’actionnaires nationaux résidents), ce qui pourrait encourager les investissements étrangers directs et ainsi permettre à l’Algérie de faire entrer un peu d’argent sur son territoire.

La marge de manœuvre se rétrécie en tout cas. L’hospitalisation prolongée du président Tebboune et l’opacité quant à son état de santé laisse planer le spectre de la vacance du pouvoir. Cela étant, c’est bien le règlement de la crise politique qui est aujourd’hui la condition sine qua non pour déminer le terrain et pouvoir mobiliser l’ensemble des compétences algériennes en faveur d’une relance économique en évitant les éventuelles dérives.

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[1] Littéralement, le mot Hirak signifie « mouvement ». Le Hirak désigne pour l’Algérie les mouvements de contestation qui secouent le pays depuis février 2019, au départ pour s’opposer à la candidature de Abdelaziz Bouteflika pour un cinquième mandat présidentiel.
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