ANALYSES

Une guerre pacifique, et non une Guerre froide

Presse
19 juillet 2020
L’idée que la Chine et les États-Unis sont engagés dans une nouvelle guerre froide n’est pas nouvelle, mais elle fut l’objet d’un ouvrage publié récemment par Graham Allison, dans lequel il invoque même le piège de Thucydide pour prophétiser une transition de puissance conflictuelle. Avec la crise du Covid-19, la mention de guerre froide a envahi la sphère médiatique, témoignant d’un binarisme que la fin de la Guerre froide – la vraie – n’est pas parvenue à effacer. Cette lecture de la relation entre les deux pays est très inappropriée pour de nombreuses raisons.

D’abord, il n’y a pas aujourd’hui de lutte idéologique entre la Chine et les États-Unis, or l’idéologie était au cœur de la Guerre froide. On constate par ailleurs une très grande dépendance mutuelle entre Washington et Pékin, l’un et l’autre évoluant dans le même système-monde, or la Guerre froide était une opposition de deux systèmes-monde qui évoluaient séparément. La Guerre froide fut une rivalité revendiquée par les deux principaux intéressés, ce qui n’est pas le cas actuellement, puisque seul Washington semble (partiellement) y adhérer, tandis que la Chine met en avant une multipolarité dans laquelle elle entend retrouver un rang que les « humiliations nationales » lui ont fait perdre. Les alliances, au cœur de la bipolarité, sont aujourd’hui remises en cause côté américain, et difficiles à composer côté chinois. On ne relève pas ainsi deux blocs en compétition comme ce fut le cas entre 1945 et 1991. Enfin, la Guerre froide n’a pris fin que dès lors que l’un des deux belligérants – l’URSS – s’est avoué vaincu. Or, dans la situation actuelle, on imagine difficilement les États-Unis reconnaître une défaite (d’autant que la nature de cette dernière resterait à définir, ce qui n’est pas une évidence) et on imagine encore moins la puissance émergeante qu’est la Chine courber l’échine comme l’a fait Moscou à la fin des années 1980.

Parce qu’elle est plus complexe que toutes les relations qui ont concerné les grandes puissances par le passé, parce qu’elle est à la fois d’une grande proximité et emprunte d’une méfiance réciproque qui invite nécessairement à la prudence, à Pékin comme à Washington, parce qu’elle est parfois d’une grande violence (dans la rhétorique surtout) mais évitera tant que possible de basculer en conflit armé, la relation entre les États-Unis et la Chine est une guerre pacifique, qui impose de nouvelles grilles de réflexion.
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