ANALYSES

Corée du Sud : élections législatives victorieuses pour Moon Jae-in par temps de Covid-19 ?

Interview
20 avril 2020
Le point de vue de Barthélémy Courmont


Malgré la pandémie de Covid-19, la Corée du Sud a maintenu, le 15 avril dernier, son scrutin législatif. Avec un taux de participation très élevé et grâce à une gestion de la crise sanitaire souvent qualifiée d’exemplaire, le parti démocrate du président Moon Jae-in sort vainqueur avec une majorité absolue. Entretien avec Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS.

La gestion de la crise pandémique de Covid-19 a-t-elle joué en faveur de Moon Jae-in dans sa victoire aux législatives le 15 avril en Corée du Sud ? De quelle manière ?

Bénéficiant d’une très large popularité après son élection en mai 2017, et à la faveur de la politique de main tendue vers la Corée du Nord en 2018, Moon Jae-in était, depuis quelques mois, critiqué pour sa gestion économique du pays, qui présente une croissance assez faible. Cette élection était ainsi perçue comme un test, d’autant que les présidents en exercice (pour un mandat non reconductible en Corée du Sud) ont eu toutes les peines du monde à terminer avec succès leur mandat de cinq ans. Mais le succès fut très net, puisque le parti démocratique remporte la majorité absolue des sièges, ce qui assure au président deux années de mandat au cours desquelles il aura un pouvoir renforcé. L’explication de ce revirement de l’électorat est effectivement à trouver dans la gestion de la crise du Covid-19. Au départ critiqué pour sa lenteur, tandis que le pays était le deuxième foyer infectieux après la Chine, le gouvernement coréen est parvenu à contenir l’épidémie. Et si le risque d’une « deuxième vague » est pris très au sérieux, la situation actuelle est très positive et force le respect, quand on la compare avec d’autres pays développés, Europe et États-Unis en tête, mais aussi, dans une moindre mesure, le Japon ou Singapour. Les Coréens ont conscience que la gestion de cette crise a été très bonne, d’autant que le confinement ne fut pas nécessaire. Sans doute que sans le Covid-19, le résultat de cette élection eut été tout autre.

Le taux de participation était de 66,2 %, soit 8 points de plus qu’en 2016. Pour quelles raisons les autorités sud-coréennes ont-elles décidé de maintenir l’organisation de ce scrutin en pleine crise de coronavirus, alors qu’aux États-Unis les primaires démocrates ont été repoussées et que l’organisation du premier tour des élections municipales en France a été vivement critiquée ?

Il s’agit effectivement d’un taux de participation très élevé, dans un pays où les électeurs se mobilisent généralement assez peu. Mais Moon avait déjà bénéficié d’un soutien très large en 2017 (des jeunes électeurs en particulier), et il faut donc y voir le maintien de la mobilisation de son électorat. La raison pour laquelle ce scrutin a été maintenu est évidemment liée aux résultats spectaculaires, et au fait que l’épidémie est désormais quasiment endiguée dans ce pays. Repousser l’élection aurait pu provoquer de fortes critiques. De même, la Corée du Sud se distingue par le civisme de sa population, comme on le constate dans d’autres sociétés confucéennes d’Asie orientale, et la distanciation sociale est préservée, même sans avoir recours au confinement. Ajoutez à cela les technologies, qui se sont très tôt mises au service du traçage des malades (applications sur smartphones, comme on l’évoque désormais en France et en Europe), et qui ont eu pour effet de rassurer la population. Malheureusement, le cas coréen reste isolé, et d’autres pays ne peuvent aujourd’hui se permettre d’organiser des élections, sous peine de voir l’épidémie se développer à très grande échelle. Enfin, il faut noter dans le cas présent que les partis d’opposition sortent très affaiblis de ce scrutin. Une histoire étonnante par ailleurs, celle de Thae Yong-ho, ancien diplomate nord-coréen en poste à Londres, qui a fait défection en 2016, et a été – démocratiquement – élu en Corée du Sud lors du scrutin du 15 avril. Il sera le premier parlementaire dans ce cas, de quoi alimenter tous les fantasmes dans la relation à venir avec Pyongyang.

Au vu de la conjoncture actuelle, la Corée, citée en exemple dans sa gestion de la crise, sortira renforcée de cette crise, tant sur le plan politique qu’économique ou stratégique ?La Corée du Sud pourrait, en effet, faire partie des « vainqueurs » de la crise du Covid-19, même s’il convient de rester prudent sur ce point, la crise pouvant encore évoluer de manière imprévisible. D’abord, pour les raisons évoquées précédemment, à savoir la remarquable gestion de la crise, ensuite parce que le pays est « retourné au travail » avant d’autres, ce qui permettra de limiter l’impact économique – qui sera cependant réel et important – en Corée du Sud. C’est surtout le soft power sud-coréen qui sort renforcé de cette crise, un pays qui renvoie une image de modernité, de capacité de gestion de crise sanitaire et de faculté à se redresser très vite. Cela aura un impact très important, notamment dans des régions comme l’Asie du Sud-est où la Corée du Sud fait « rêver ». Au niveau stratégique cependant, il n’y aura pas de modification notable à courte échéance, d’autant qu’en marge de la crise du Covid-19, la Corée du Nord – qui n’a officiellement aucun cas – a procédé à de nouveaux essais balistiques, ce qui vient fragiliser le processus de paix dans la péninsule et ne fait pas nécessairement les affaires de Moon Jae-in.
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