ANALYSES

Coronavirus : comment gérer la crise selon les principes de Confucius

Presse
12 mars 2020
Beaucoup ont estimé que si la Chine était parvenue à maîtriser relativement rapidement l’épidémie de coronavirus c’était à cause de mesures certes efficaces mais qui ne pourraient fonctionner dans un état démocratique. Or cela semble assez relatif puisque la Corée du Sud suit le même chemin. Les stratégie de lutte contre le virus étaient-elles similaires dans les deux pays ? Quelles sont les différences notables ?

Emmanuel Lincot : Sans avoir une approche culturaliste et confucéenne par le primat du collectif sur l’individuel, il faudra peut-être y voir un volontarisme social fortement encouragé de part et d’autre par l’Etat. Tests obligatoires menés sur de très grandes échelles, fermeture en Corée des lieux de culte et discipline du corps social ont permis d’enregistrer des résultats à la baisse sur le nombre de personnes infectées. Le discours martial de Xi Jinping et celui de son homologue sud-coréen Moon Jae-in déclarant l’un comme l’autre la guerre au coronavirus et provoquant par là-même une mobilisation générale semblent porter ses fruits. Et dans les deux cas, l’armée ou les services de sécurité ont été mobilisés dans des campagnes de désinfection après que les autorités chinoises puis coréennes n’aient – rappelons le – que très tardivement réagi à l’étendue du phénomène. Faut-il y voir là encore et paradoxalement une spécificité commune à ces cultures ? Le retard pris par le Japon dans la gestion de cette crise semble le confirmer.

Barthélémy Courmont : Beaucoup de choses ont été dites sur la gestion du coronavirus en Chine, et beaucoup se sont avérées inexactes et excessives. En particulier sur les mesures de confinement imposées à des millions de personnes. L’Italie a, après la Corée du Sud et à une plus grande échelle, choisi de mettre sa population en quarantaine. Cela ne signifie pas que les démocraties s’inspirent des pratiques d’un régime autoritaire, mais qu’elles en reconnaissent la pertinence pour contenir l’épidémie. Le développement du virus en Corée du Sud a cependant suivi une trajectoire très différente de celle de la Chine. D’abord, les autorités coréennes connaissaient déjà le coronavirus quand les premiers malades furent identifiés, ce qui n’était pas le cas en Chine, foyer de l’épidémie. C’est une différence de taille, car on peut légitimement considérer que quand les autorités chinoises prennent des decisions – à temps ou trop tard et de bonne manière ou pas, peu importe ici – Le virus s’est déjà propagé dans de nombreuses provinces. Cela a rendu plus difficile le travail de pistage des malades et la mise en place des mesures de confinement, d’où l’impression de chaos au début de la crise sanitaire. En Corée, les porteurs du virus furent très vite identifiés et leurs parcours analysé. Les contacts humains relevés dans des cérémonies religieuses de l’Eglise de Shincheonji ont rapidement fait croître le nombre de malades, ce qui fut d’ailleurs reproché au gouvernement, mais les zones contagieuses sont restées assez limitées, permettant d’éviter plus facilement une contagion à grande échelle. On constate ainsi que plus de 60% des malades l’ont été en relation avec leur groupe religieux. En Chine en revanche, les profils des malades sont très différents, et si la province du Hubei fut la plus impactée, l’ensemble du pays fut touché, imposant une véritable mise en arrêt de toutes les grandes agglomérations. Les deux pays ont donc adopté des stratégies très différentes car les situations étaient très différentes

Quels ont été spécifiquement les moyens employés par la Corée du Sud pour maîtriser l’épidémie ?

Emmanuel Lincot : L’interdiction drastique comme en Chine des rassemblements de personnes et surtout une cohérence après une longue période de flottement et de réaction quant à la prise de décision. Que la Corée ait mobilisé l’armée permet aussi de galvaniser la population et de la préparer à une toute autre éventualité: la guerre bactériologique que mènerait à son encontre la Corée du Nord. Enfin, il y a une question d’honneur et de fierté que de faire face à cette crise. Observez ce que l’on appelle désormais la « diplomatie du masque » : la Chine propose des masques aux pays les plus atteints – à l’Iran notamment – après avoir été elle-même en pénurie. Rien ne nous interdit de penser que la Corée du Sud finisse par lui emboîter le pas.

Barthélémy Courmont : Les Coréens se sont montrés très critiques de la gestion du coronavirus par le gouvernement, et plusieurs pétitions rassemblant dès centaines de milliers de signatures ont même exigé des sanctions, et jusqu’à la démission du président Moon Jae-in. Mais depuis que le nombre de nouveaux malades se ralentit, les autorités coréennes retrouvent du credit, et sont même louées à l’international pour ce qui s’avère finalement être une excellente gestion. Les Coréens étaient surtout mécontents de constater que le nombre de malades augmentait rapidement en Corée tandis qu’il est resté très faible à Taïwan – pourtant plus facilement exposé, et où le Diamond Princess a fait escape -, à Hong Kong ou à Singapour. Dans le classement des pays touchés par le coronavirus, les premières places ne sont pas très prisées… Mais comme à Taïwan, la Corée a d’abord pratiqué des tests à très grande échelle (notamment sur tous les pratiquants de Shincheonji), ce qui a permis d’identifier très vite les foyers infectieux. On a ainsi effectué jusqu’à 15 000 tests gratuits par jour, pour un total supérieur à 200 000, soit très nettement plus que dans les pays occidentaux (où ils ne sont pas toujours totalement pris en charge). Les moyens déployés pour les hôpitaux furent très importants, à Daegu en particulier, et l’armée fut même mobilisée pour désinfecter les villes. Enfin, la Corée a utilisé des moyens technologiques interessants, comme les tests « drive in » pour éviter les contacts, et les informations transmises par smartphone aux malades pour leur demander de ne pas sortir de chez eux et garder le contact en cas de détérioration de la santé pour des interventions rapides. Résultat, on ne compte que 60 morts en Corée contre plus de 800 en Italie pour un nombre de malades équivalent, et dans des pays disposant de moyens a priori comparables.

Quelles leçons devrions-nous en tirer en Europe ? De quelles méthodes coréennes devrions-nous nous inspirer ?

Emmanuel Lincot : Coréennes et chinoises. Discipline sociale et cohérence dans les choix décisionnels qui paraissent à ce jour incohérents. Bref, Confucius comme antidote à la confusion !

Barthélémy Courmont : Sans doute les méthodes mentionnées précédemment mériteraient-elles d’être considérées. Cependant, on relève depuis le début de cette crise sanitaire une inquiétante tendance des pouvoirs publics de pays touchés à adopter des mesures nationales et qui ne tiennent que rarement compte de ce qui a été fait ailleurs. On continue ainsi de regarder de haut la stratégie chinoise, mais on continue aussi de négliger les moyens déployés dans des pays démocratiques. La Corée du Sud et Taïwan nous offrent de beaux exemples, et il serait avisé de mieux étudier les stratégies que Taipei (avec un développement très limité du virus) et Séoul (avec une épidémie a contenir) ont mis en place avec succès. La méthode des tests à grande échelle et en évitant les contacts que la Corée a utilisée est un bon exemple à suivre.
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