ANALYSES

Taïwan : « L’élection de janvier 2020 sera une lutte à distance entre Pékin et Washington »

Interview
16 juillet 2019
Le point de vue de Barthélémy Courmont
 


L’élection présidentielle de Taïwan qui aura lieu en janvier 2020 opposera la présidente sortante Tsai Ing-wen à un candidat de l’opposition nouveau venu, replaçant de nouveau la relation Taipei-Pékin dans la campagne. En ces temps de tension avec Pékin suite à des commandes d’armes américaines, quels sont les enjeux de ce scrutin ? Éclairage par Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS.

Le candidat de l’opposition (KMT, nationaliste) à la présidentielle de Taïwan de 2020 vient d’être désigné, il s’agit de Han Kuo-yu, maire relativement peu connu jusqu’ici. Qualifié de populiste pro-Pékin, que révèle sa percée sur la scène politique taïwanaise ? Les relations entre Taipei et Pékin vont-elles être remises au cœur du débat ?

Assez peu connu du grand public en effet il y a encore peu de temps, Han Kuo-yu a remporté en 2018 l’élection municipale de Kaohsiung, deuxième ville du pays, et bastion du DPP (le parti démocrate progressiste) depuis 1998. Cette victoire l’a propulsé parmi les présidentiables au KMT, mais il n’a décidé de se lancer dans les primaires que très tardivement, début juin. Une campagne expresse donc, et couronnée de succès face à Terry Gou, le fondateur de Foxconn, et Eric Chu, le maire de New Taipei City. Sa percée politique traduit un manque de leadership au KMT et de grandes difficultés à définir une nouvelle ligne politique depuis la fin de la présidence de Ma Ying-jiou, en 2016. D’ailleurs, Han s’est montré à plusieurs reprises très critique de Ma, qui soutenait de son côté Gou. Le parti historique de Chiang Kai-chek n’avance pas en ordre de bataille vers l’élection présidentielle de janvier 2020, et pourtant ses chances de succès sont réelles.

Il faut cependant se montrer prudent quant aux qualificatifs de « populiste » et « pro-Pékin » dont les médias américains, le New York Times en tête, se sont immédiatement emparés pour décrire la personnalité de Han. Gou semble en effet davantage correspondre à cette description, avec notamment la révélation de la déesse Mazu ayant justifié son entrée en politique, ou encore son engagement auprès d’un rapprochement inter-détroit. Sans doute d’ailleurs ces excès n’ont pas plu à une grande partie de ses supporters. De son côté, Han n’est pas un nouveau venu en politique, puisqu’il fut parlementaire de 1992 à 2002, avant une carrière dans le monde agricole et ce retour remarqué. Il fut également candidat à la présidence du KMT en 2017. Concernant sa proximité avec Pékin, il convient d’abord de signaler que « pro-Pékin » ne signifie pas grand-chose à Taïwan, ou en tout cas ne doit pas être entendu de la même manière qu’à Hong Kong. Si Han met en avant un discours « pro-Pékin » (à savoir une volonté d’unification politique), ses chances de victoire seront quasiment nulles. En revanche, si son propos consiste à rechercher un partenariat accru avec la Chine, économique et commercial en particulier, comme sa visite à Hong Kong, Macao, Shenzhen et Xiamen en mars dernier en fut l’objet (sur les questions agricoles), son discours se rapproche de celui de Ma Ying-jiou, président de 2008 à 2016. Il est donc encore trop tôt pour juger des intentions de ce candidat. Mais il est certain que, comme les scrutins précédents, celui de janvier 2020 se fera dans l’ombre de la relation avec la Chine continentale.

Taïwan a récemment conclu une nouvelle commande d’armes avec les États-Unis. La Chine a annoncé le 12 juillet des sanctions envers les entreprises américaines impliquées dans cette transaction. Que signifient ces menaces pour Washington et Taipei ?

Les États-Unis sont, avec la Chine, l’autre grand acteur qui va jouer un rôle dans cette élection taïwanaise, et une fois encore, l’article du New York Times ne fait que le démontrer. S’il est inutile de revenir ici sur la longue relation entre Washington et Taipei, il est en revanche important de signaler quelques faits récents. D’abord l’échange téléphonique entre Tsai Ing-wen et Donald Trump au lendemain de l’élection de ce dernier, en novembre 2016, et conséquence d’un balai d’élus républicains à Taïwan entre l’élection de Tsai en janvier et celle de Trump en novembre. Cet échange téléphonique très médiatisé était une première, et un geste symbolique fort, puisque le président américain, peu au fait des réalités géopolitiques asiatiques, avait ensuite critiqué le statu quo inter-détroit. Ensuite, les (énièmes) ventes d’armes américaines à Taïwan, justifiées par la défense face aux velléités chinoises. Enfin, et de manière plus événementielle, la visite de Tsai Ing-wen aux États-Unis (non officielle, statut de Taïwan oblige) et ses appels répétés, et sans doute justifiés, à un plus grand soutien des États-Unis. Le contexte politique dans la région et sur le sujet de la relation avec la Chine est celui que l’on connaît, avec des pressions diplomatiques et économiques que Pékin fait peser sur Taipei, et la question de Hong Kong, dont l’incidence sur le scrutin taïwanais sera évidente. Les États-Unis, par ailleurs engagés dans un bras de fer sur tous les sujets avec la Chine (et qui a débuté bien avant l’arrivée au pouvoir de Donald Trump), vont chercher à favoriser l’élection du candidat qu’ils estiment le plus hostile à Pékin, et c’est Tsai Ing-wen.

Taïwan est considérée comme une province sécessionniste par Pékin et reste peu reconnue au niveau international. La Chine n’excluant pas une réunification par la force, quelles sont ses velléités pour les années à venir ? Taïwan aurait-elle les moyens de résister ?

S’il est nécessaire de faire mention des manœuvres américaines à Taïwan, justifiées par les ventes d’armes et la lutte d’influence avec Pékin, c’est évidemment surtout du côté de la Chine que les regards inquiets se tournent. Depuis l’élection de Tsai Ing-wen, la Chine s’est engagée dans une vaste campagne de dénigrement de l’exécutif taïwanais, et c’est la Chine qui a rompu les contacts. Isolement diplomatique accru, humiliations récurrentes dans les instances internationales, limitation du nombre de touristes chinois à Taïwan, ou encore l’annonce de mesures de rétorsion contre des entreprises travaillant avec Taïwan dans des secteurs jugés hostiles à Pékin sont la concrétisation d’une politique de sabotage. Les discours va-t-en-guerre, notamment celui de Xi Jinping début janvier, s’ajoutent à ces manœuvres délétères et attisent un nationalisme chinois qui reste obsédé par la question taïwanaise. Les élections municipales en 2018 avaient déjà été marquées par une ingérence de Pékin, et cette tendance ne va que s’amplifier avec le scrutin présidentiel. Pour la Chine, l’équation est simple, le KMT (jugé plus conciliant) doit revenir au pouvoir. L’élection de janvier 2020 sera ainsi, en plus d’une traditionnelle confrontation démocratique entre deux visions de Taïwan et sa société, une lutte à distance entre Pékin et Washington.
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