06.12.2024
La liste européenne des paradis fiscaux : une vaste plaisanterie
Tribune
5 décembre 2017
Pierre Moscovici nous l’avait annoncée. La voici. Ce mardi 5 décembre 2017, la liste noire européenne des paradis fiscaux est publiée. Pierre Moscovici qui avait découvert l’horreur des paradis fiscaux grâce aux Paradise Papers, avant de se rétracter pour affirmer être au courant depuis longtemps, a promis cette liste pour lutter contre ces territoires opaques.
Ce n’est pas la première liste
Or, ce n’est pas la première liste. Mais depuis plusieurs décennies, les promesses n’ont malheureusement jamais été tenues. En voici quelques exemples :
La liste du GAFI
La liste du GAFI (Groupe d’Action Financière) ou FATF (Financial Action Task Force), liste des « pays et territoires non coopératifs », devenue liste des « juridictions à haut risque et non coopératives », s’est peu à peu vidée, décrédibilisant totalement cet organisme supranational créé au Sommet de l’Arche à Paris en 1989. L’objet était de pointer du doigt les pays suspects en termes de lutte anti-blanchiment. Au départ, une soixantaine d’États apparaissaient. Mais petit à petit, les noms ont disparu pour ne laisser au final qu’une poignée de pays, pourtant tellement peu stables politiquement que le risque de blanchiment y était très faible. Aujourd’hui encore, seuls onze pays sont concernés : Bosnie-Herzégovine, Éthiopie, Iran, Irak, Corée du Nord, Sri Lanka, Syrie, Trinité-et-Tobago, Tunisie, Vanuatu et Yémen. En fait, des territoires qui s’avèrent absolument sans danger sur le plan du blanchiment et de la fraude fiscale internationale.
La liste de l’OCDE
Il y eut ensuite la fameuse liste de l’OCDE publiée le 3 avril 2009 suite au G20 de 2008 et avant la déclaration le 23 septembre 2009, sur TF1 et France 2, du Président Nicolas Sarkozy : « Les paradis fiscaux, le secret bancaire, c’est terminé. »
Parce que la liste établie en 2000 ne comptait plus que 3 pays, il était alors nécessaire de l’actualiser. Or, seuls 4 pays apparurent sur la nouvelle liste noire en 2009 ! Le Costa Rica, la Malaisie, les Philippines et l’Uruguay, qui disparurent au bout d’une semaine pour laisser une liste totalement vide. À l’époque j’avais affirmé que ces pauvres pays n’étaient même pas considérés comme paradis fiscaux mais qu’ils avaient surtout peu d’alliés dans les grandes puissances pour échapper à l’opprobre. Comble de l’ironie, la Chine apparaissait sur la liste blanche, tout comme la Russie et Jersey. Pire, Macao et Hong-Kong, considérés comme territoires particuliers, ne pouvaient être évalués et demeuraient ainsi hors liste, grâce notamment aux tractations entre la Chine et la France. Une liste grise fut élaborée incluant 38 pays dont Monaco, le Liechtenstein, la Suisse, le Luxembourg et la Belgique, États qui s’étaient engagés à respecter les règles de l’OCDE mais qui ne les avaient pas « substantiellement appliquées » (sic).
En juin 2017, Trinidad-et-Tobago est l’unique pays à figurer sur la liste noire. Le Panama, pourtant au centre du scandale mondial des Panama Papers, figure dans la catégorie des pays qui « respectent largement » (sic) les critères, aux côtés d’Andorre, du Liban, de Vanuatu ou encore de Samoa.
Pascal Saint-Amans, Directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE, a quant à lui affirmé avoir des doutes sur le Panama lorsque les Panama Papers éclatèrent et s’interrogeait sur l’Île de Man au moment des Paradise Papers. Je laisse le lecteur goûter ce trait d’humour.
La liste française
Enfin, en 2013, Pierre Moscovici, alors ministre des Finances et qui trouvait à juste titre les listes internationales insuffisantes, décide à son tour d’établir chaque année une liste noire des paradis fiscaux « à la française ». On pouvait imaginer y trouver l’Autriche, la Suisse, mais aussi la Grande Bretagne ou les États-Unis. Or cette attente ne fut jamais satisfaite.
Pire, le 19 janvier 2014, Bercy décide de retirer les Bermudes et Jersey, au grand dam d’Élisabeth Guigou, à l’époque Présidente de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, qui précisa dans un communiqué officiel que rien ne justifiait cette décision.
Aujourd’hui seule une demi-douzaine de pays sans grand intérêt subsiste, tels que Nauru ou Niue.
Des listes officieuses plus fiables
Heureusement, parallèlement, les experts et les ONG proposent des listes plus sérieuses de paradis fiscaux, en toute indépendance et sur des critères objectifs et rationnels. Car il est parfois tentant pour les autorités officielles de restreindre les définitions du paradis fiscal pour permettre aux pays amis de sortir des listes. C’est d’ailleurs souvent l’argument des défenseurs de ces territoires, qui brandissent la définition du paradis fiscal pour démontrer que le leur ne l’est pas.
Le magazine américain Forbes n’avait pas hésité à publier en 2010, la liste des dix meilleurs paradis fiscaux et judicaires du monde :
– États-Unis (Delaware)
– Luxembourg
– Suisse
– Îles Caïman
– Royaume-Uni (City of London)
– Irlande
– Bermudes
– Singapour
– Belgique
– Hong-Kong
Édouard Chambost, auparavant, avait écrit plusieurs éditions de son fameux guide[1] qui présentait tous les avantages des territoires non coopératifs. Conseiller fiscal et avocat international, il conseillait une clientèle en recherche d’oasis financières qu’il orientait grâce à un réseau de correspondants locaux basés dans une soixantaine de paradis fiscaux.
Le classement le plus intéressant est basé sur l’indice d’opacité financière FSI (Financial Secrecy Index) qui évalue le degré de secret atteint par chaque juridiction et sa résistance à coopérer avec des autorités administratives ou judiciaires étrangères. Ces facteurs confèrent à chaque centre financier un « score d’opacité » qui est ensuite combiné à l’importance des activités financières internationales. Tax Justice Network a ainsi classé en 2015, 92 pays[2] selon leur degré d’opacité.
Enfin, plus récemment, mais il y aurait bien d’autres listes à présenter, celle de l’ONG Oxfam a été publiée le 27 novembre 2017. Elle comporte 35 pays qu’elle estime devoir figurer sur la liste européenne[3], auxquels il conviendrait d’ajouter pour l’Europe : l’Irlande, le Luxembourg, Malte et les Pays-Bas. Qu’en est-il finalement ?
La liste « Moscovici »
Ce 5 décembre 2017, la nouvelle liste européenne dite liste « Moscovici » est publiée à la suite du scandale des Paradise Papers, dans le cadre d’Ecofin, la réunion des ministres des finances de l’Union européenne. En Juin 2015, la Commission européenne avait créé une liste globale en compilant les listes noires des 28 pays membres de l’Union européenne, soit 18 listes au total, présentant 85 territoires non coopératifs. Finalement, seuls les pays apparaissant sur au moins dix de ces listes furent retenus, mais sans tenir compte des critères de sélection utilisés par chacun des États. Ainsi seules 30 juridictions furent considérées comme non coopératives.
Depuis un an, un groupe de travail prépare cette nouvelle liste : le « Code de conduite (fiscalité des entreprises) », dit le « Code ». D’après des fuites le 27 novembre au journal Le Monde[4], les tractations étaient âpres et seuls 25 à 29 pays avaient été retenus. Par ailleurs, certains avaient encore le temps de promettre de se conformer aux exigences, pour sortir de la liste.
À la vue de cette liste du 5 décembre, apparaît un premier et grave problème que nous connaissions en amont : les pays européens sont d’emblée exclus de cette liste, car ils sont censés se conformer au droit de l’Union Européenne en matière de lutte contre l’évasion et la fraude fiscale. Quand on connaît les pratiques des Pays-Bas par exemple, cette décision semble totalement impensable et décrédibilise la liste dès sa parution. C’est en outre insultant et condescendant car cela signifie que l’Europe est par défaut propre, pas les pays hors de l’Europe.
D’autre part, Pierre Moscovici, Commissaire européen aux Affaires économiques et financières, admettait dès le 22 novembre[5] que cette liste avait une faiblesse majeure : « Le simple fait d’apparaître sur la liste n’est pas une sanction en soi. »
Autre faiblesse, récurrente avec les listes de territoires non coopératifs officielles : les États privilégient toujours les considérations diplomatiques et autres « intérêts supérieurs », au détriment de l’équité fiscale internationale. Par conséquent, les pays les plus forts ou les plus amis, voire soumis, échappent à l’indignité de la liste noire.
Résultat, nous voici avec une liste européenne de 17 pays, après plusieurs retraits in extremis !
– Bahreïn
– Barbade
– Corée du Sud
– Émirats Arabes Unis
– Grenade
– Guam
– Îles Marshall
– Macao
– Mongolie
– Namibie
– Les Palaos
– Panama
– Samoa
– Les Samoa américaines
– Sainte Lucie
– Trinidad et Tobago
– Tunisie
Donc, ni le Delaware, ni les Îles Vierges, ni les Îles Caïmans, ni Hong-Kong, ni Singapour, ni la Chine, ne semblent poser problème. On ne va pas froisser les amis et les créanciers.
Une liste grise d’une vingtaine de juridictions pourrait apparaître, avec les pays qui s’engagent à se mettre en conformité vis-à-vis de l’Europe. Mais elle risque de demeurer secrète, donc sans grand intérêt.
Voilà pourquoi il faut en rire… pour ne pas en pleurer.
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1] E. Chambost (2005), Guide Chambost, Favre, 8ème édition (éditions précédentes : 1977,1983, 1989, 1990, 1993, 1996, 1999).
[2] http://www.financialsecrecyindex.com/jurisdictions ;
http://www.financialsecrecyindex.com/introduction/fsi-2015-results.
[3] http://bit.ly/2i2GBSa.
[4] http://mobile.lemonde.fr/europe/article/2017/12/01/ultimes-tractations-a-bruxelles-sur-la-liste-noire-des-paradis-fiscaux_5223466_3214.html.
[5] http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2017/11/22/20002-20171122ARTFIG00310-pierre-moscovici-il-faut-que-la-liste-des-paradis-fiscaux-soit-credible.php?redirect_premium.