ANALYSES

« Il faut un ‘Plan Macron’ pour l’Europe »

Interview
11 mai 2017
Le point de vue de Olivier de France
À présent élu président, quelle orientation Emmanuel Macron voudra-t-il donner à l’Union européenne (UE) ?

La belle histoire voulait que la France – éternel pays des Lumières – montre la voie à l’Europe et fasse barrage à une révolution populiste dont les dominos étaient tombés successivement outre-Atlantique et outre-Manche. On s’était réveillé avec la gueule de bois après cette année 2016 mais cette série s’arrêterait aux frontières de l’hexagone, comme le fit jadis le nuage de Tchernobyl.

La mobilisation des électeurs français a été forte et la France a élu un président de 39 ans europhile, optimiste et énergique. Pour l’image du pays en Europe et à l’international, son élection est positive. Cela signifie-t-il pour autant le reflux de la vague populiste ? L’élection de M. Macron incarne-t-elle la France des Lumières, phare de l’Europe ? Le Front national est à un niveau historique et il serait erroné de croire que l’élection de M. Macron fera taire les colères, les insatisfactions, voire les haines suscitées par les dégâts d’une mondialisation que l’on disait heureuse. Les passer sous silence reviendrait à s’exposer à un retour de bâton sérieux en 2022. Donald Trump a bien succédé à Barack Obama.

Concernant l’Europe, Emmanuel Macron dispose d’un capital politique qu’il serait peu judicieux de ne pas utiliser. C’est assez rare pour le souligner mais sa campagne ne s’est pas uniquement focalisée sur le plan intérieur. Il a donné maintes interviews aux médias étrangers et européens en particulier. Il est allé en Allemagne pour exprimer sa solidarité face aux attentats. Cette dimension européenne a ressurgi lors de son discours de dimanche dernier, lorsqu’il est entré sur l’hymne européen. Ce geste a été apprécié à l’étranger et associe ainsi l’UE à la jeunesse et au renouveau, alors que les gazettes de ces dernières années ont offert l’image d’une Europe désunie, en proie aux crises économiques ou migratoires.

Enfin, il a pu lier cet aspect européen au récit national français dans le décor du Louvre. Cela illustre la double dimension du projet d’Emmanuel Macron : rejeter le nationalisme car la France n’est grande que lorsqu’elle est européenne, tandis que l’UE n’est grande que lorsqu’elle est entraînée par Paris. Nul doute que les intérêts économiques divergents de l’Allemagne ressurgiront à la première occasion mais le nouveau président français s’est au moins assuré un réservoir de bonnes volontés. Il semble de ce point de vue avoir la capacité à mettre en œuvre une stratégie et à penser au coup d’après.

Emmanuel Macron est également en faveur d’une Europe de la défense. Concrètement, comment compte-t-il développer ce projet?

Du point de vue de la défense, Emmanuel Macron s’inscrit dans la continuité de François Hollande. Le nouveau président est favorable au renouvellement des deux composantes de la dissuasion nucléaire française : la composante maritime (SNLE NG et M-51) et la composante aéroportée. Cette décision est tout à fait engageante du point de vue budgétaire et structurante pour la politique de défense française, même si peu de gens en ont pris la mesure. M. Macron a ainsi annoncé qu’il souhaitait atteindre les 2% de PIB en dépenses de défense d’ici 2025.

Sur les questions d’Europe de la défense, le projet du nouveau président français s’inscrit là aussi dans la continuité de celui de François Hollande, qui était plutôt réussi sur le plan extérieur. La différence avec le quinquennat précédent réside toutefois dans la rupture stratégique que constitue l’administration Trump. Elle ouvre une fenêtre d’opportunité pour que l’Europe réalise enfin qu’elle ne peut pas dépendre indéfiniment de la garantie américaine. Il faudrait donc que l’UE prenne ses responsabilités pour assurer sa sécurité et ses intérêts, au moins dans un environnement proche.

Comment faire pour essayer de profiter de cette fenêtre d’opportunité ? En réalité, toute la boîte à outils nécessaire est déjà présente dans les traités européens. De plus, lors du quinquennat Hollande, Bruxelles s’est doté d’outils supplémentaires. Par exemple, la Commission européenne a franchi un Rubicon en s’investissant sur les questions de recherche en défense. De même, la création d’une structure européenne de commandement des opérations extérieures de l’UE constitue une avancée, alors que les Britanniques ont longtemps été opposés à ce projet. La Haute-représentante de l’UE a aussi couché sur papier une stratégie globale en matière de politique étrangère et de sécurité européenne, ce qui permet de formuler une philosophie commune. À présent, il faut actionner la machine politique, au moins parmi les grands pays européens, et c’est là où le capital politique de Macron peut être utile.

Pour ce faire, il faudrait proposer un plan Macron – qui pourrait facilement devenir un plan Macron-Merkel ou Macron-Schultz. Ce plan devrait être enclenché après les élections allemandes fin septembre : Emmanuel Macron pousserait pour tenir un conseil de défense franco-allemand avec le nouveau leader allemand et les ministres concernés. Cette réunion bilatérale aurait vocation à s’élargir, en préparant un conseil européen pour décembre 2017 afin de se concentrer sur la volonté politique. Cela serait suivi au printemps par une réunion des ministres de la Défense coordonnée par l’Agence européenne de défense (AED), afin de mettre en application cette volonté politique de haut niveau. Enfin, ces ministres devraient rendre compte aux chefs d’États et de gouvernement en juin 2018 de l’avancement sur les questions de défense.

In fine, cela permettrait de voir si la fenêtre d’opportunité ouverte par le président américain a été comblée par l’Europe. Si ce n’était pas le cas, cela signifierait que l’UE n’a pas réussi à prendre en compte les changements stratégiques incarnés par le Brexit et l’élection de Donald Trump. Alors, il est possible que les peuples européens se disent que l’UE a abandonné une fois pour toute l’idée de s’adapter, ce qui distendra son lien avec les citoyens de manière presque définitive.

Du point de vue du contenu, ce projet devrait toucher et lier différents aspects : capacitaire, opérationnel, financier et politique. Il faut discuter de projets phares qui permettraient de faire comprendre aux Européens que l’UE se démène pour progresser. On pourrait imaginer une réflexion sur un futur système aérien européen qui mutualiserait les capacités existantes en matière d’avions de chasse, de drones, de ravitaillement en vol et de transports stratégiques. Cela impliquerait une spécialisation des tâches entre pays européens, l’Allemagne s’occupant du bas du spectre et la France du haut. Pour ce type de projet, on peut utiliser les mécanismes à disposition, telle qu’une coopération renforcée. Il faut privilégier l’efficacité à la dimension institutionnelle ; autrement dit, la priorité est que les choses avancent, pas que l’on parle indéfiniment de l’inclusivité. À moyen terme, il faut enfin constituer une plateforme pour partager les moyens militaires, voire les développer en commun. Car si pour son futur système de combat aérien, les Européens finissent par choisir le F35 américain, cela porterait un coup significatif à l’industrie de défense européenne.

Quelle est la position de M. Macron vis-à-vis de l’OTAN ?

Là encore, Emmanuel Macron s’inscrit dans la continuité de François Hollande. Le nouveau président ne sortira pas du commandement militaire intégré de l’OTAN. Lors du sommet de l’organisation le 25 mai, où sera forcément de nouveau abordée la question du 2%, Macron devrait tenter de construire une narration proprement européenne sur ce sujet. Actuellement, l’UE subit une vision des 2% qui ne correspond ni à ses intérêts, ni à ses objectifs, ni à sa vision. L’Europe étant une puissance économique et commerciale qui a des intérêts et objectifs propres, elle devrait être capable de formuler des objectifs de politique étrangère en adéquation avec ses objectifs politico-commerciaux, qui ne sont pas forcément les mêmes que les États-Unis. Or, quand l’OTAN parle de 2%, c’est devenu un 2% américain.

Autrement dit, on devrait s’inscrire dans un 2% européen qui envisagerait la sécurité et la défense au-delà de la simple force militaire. Pour résoudre les crises, la force militaire est certes déterminante mais pas suffisante car il faut aussi des leviers diplomatiques, politiques, économiques, etc. Si l’UE y réfléchissait, elle se rendrait compte qu’un 2% européen n’est probablement pas un 2% pur. Ce serait un autre critère, qui devrait être à cheval sur les dimensions de sécurité et de défense. Surtout, ce devrait être un critère intelligent. Aujourd’hui, le 2% est un critère d’input, c’est-à-dire se rapportant à l’argent investi mais non pas aux effets retirés. L’OTAN n’a jamais réussi à construire un critère de l’output, à savoir un critère s’interrogeant sur l’effet recherché, sa mesure et son objectif. Le rôle de l’UE pourrait donc être de développer une méthodologie propre de l’input et de l’output.
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